La Liberté

Du bon emploi du français en Suisse

Gilbert Casasus

Publié le 13.08.2022

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Opinion

C’est le genre d’anecdotes auxquelles on ne prête guère attention mais qui, mises bout à bout, méritent réflexion. Tel ce doctorant polonais converti à l’anglais qui, parrainé par un historien français apparemment moins réputé que ne le sont ses confrères de la Sorbonne, de Bruxelles, Lausanne ou d’ailleurs, précise immédiatement que son directeur de thèse a fait toute sa carrière aux Etats-Unis. Ou cet autre moment passé avec un professeur de littérature française auprès d’une université suisse allemande dont la prononciation trahit séance tenante ses origines germaniques. Idem pour cet enseignant made in Germany qui, sans scrupule et au risque de n’être qu’un précieux ridicule, prodigue dans la langue de Molière des cours de communication économique en section francophone. Enfin, ces articles juridiques, d’inspiration allemande, dont la réécriture en bon français mériterait une à plusieurs heures de travail.

Souvent accusée de combat d’arrière-garde, la défense du français n’a rien de suranné. A l’encontre des idées reçues, elle préserve un immense capital culturel qu’il convient urgemment de conserver. En Europe, où la langue du Brexit n’a jamais été tant utilisée, mais également en Suisse, où le français ne joue plus le rôle qu’il devrait jouer. Si les Romands ont malheureusement trop longtemps ignoré l’allemand, les Alémaniques n’accordent désormais plus la même importance à la seconde langue nationale. Au-delà des larmes de crocodile, versées au plus grand bonheur de l’américano- et anglophilie ambiantes, l’heure de la riposte a sonné.

Se présentant à juste raison comme un modèle de multilinguisme, la Suisse est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise. Alors que parler l’allemand à Genève ne sert quasiment à plus rien, l’emploi du français à Zurich relève de la fouille archéologique d’une espèce rare en voie de disparition.

Aucune solution miracle ne saurait pallier cette grave carence intellectuelle. Pourtant, il y va de la responsabilité des instances politiques. Appelée à faire abstraction d’un fédéralisme trop exigu et bien mauvais conseiller en la matière, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique devrait se saisir du dossier et encourager la circulation linguistique sur l’ensemble du territoire national. Faisant fi des enjeux localistes et des lois dictées par la sacro-sainte autonomie de l’enseignement, elle pourrait aussi encourager les échanges des instituteurs et professeurs d’allemand, de français et d’italien dans les écoles et collèges. De même, les universités suisses accorderont la priorité au recrutement de leurs diplômés aux postes clés de directeurs de chaire. Car comparé à ses homologues germaniques, chaque brillant chercheur romand, issu par exemple du non moins brillant département de français de l’Université de Fribourg, offre toutes les qualités requises pour promouvoir les études de la langue française en Suisse allemande.

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11