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Du foot comme dans la cour d’école

Les petits footballeurs du canton jouent désormais sans arbitre. Une nouveauté qui fait grincer des dents

Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
En plus de gérer son équipe et consoler ses joueurs, l’entraîneur est désormais aussi arbitre. © Charles Ellena
En plus de gérer son équipe et consoler ses joueurs, l’entraîneur est désormais aussi arbitre. © Charles Ellena
Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
Du foot comme dans la cour d’école © Charles Ellena
Jean-Jacques Papilloud, responsable du football des enfants en Romandie pour l’Association suisse de football
Jean-Jacques Papilloud, responsable du football des enfants en Romandie pour l’Association suisse de football

François Rossier

Publié le 25.09.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Juniors F » «Stop! Pause! Stop, il est à terre!» «Changement», «Le ballon derrière la tête pour faire la touche», «Tout le monde revient dans son camp après un but», «Attention, on ne tire pas les maillots!» Les entraîneurs des équipes de juniors F (8 ans et moins) du canton ont intérêt à avoir une voix qui porte et de solides cordes vocales. Depuis cette saison, les tournois des petits footballeurs fribourgeois se déroulent en effet sans arbitre. En plus de gérer son équipe, sur et hors du terrain, d’effectuer des changements, de consoler les petits blessés et d’attacher ces maudits lacets, l’entraîneur doit désormais arbitrer les rencontres. «Cela commence à faire beaucoup…» souffle Yvan Marro, coach des juniors Fb de Sarine-Ouest.

Samedi dernier, comme tous les samedis matin de la saison, plus de 2000 footballeurs en herbe ont pris part à leur très attendu tournoi hebdomadaire. A Neyruz, théâtre de l’un de ces rendez-vous bigarré au premier coup d’œil, rien n’a changé par rapport au printemps passé. Michel, grand-papa fidèle au poste derrière les panneaux publicitaires, avoue n’avoir «même pas remarqué l’absence des arbitres». A sa décharge, il faut reconnaître que certains d’entre eux, très jeunes pour la plupart, savaient se faire très, très discrets…

La banane d’abord

«Nous cherchons les meilleures conditions pour le bien-être des enfants. Depuis quelques années, nous ne collectons plus les résultats, nous avons abandonné les classements et désormais nous jouons sans arbitre. L’important est le plaisir de l’enfant», explique Christophe Delley, président de la Commission technique de l’Association fribourgeoise (AFF).

Si le plaisir et l’excitation sont bien au rendez-vous, la nouvelle donne fait grincer bien des dents. «Les enfants sont déjà dans la compétition. Ils veulent gagner, connaître leur résultat et leur classement», soutient Grégoire, le papa d’un junior. Sylvie, la maman d’un autre, estime, elle, qu’il «faut apprendre les bonnes bases aux enfants». «Ils se poussent, personne n’intervient et cela crée des tensions au bord du terrain», regrette-t-elle. Encore plus remontés, certains parents envisagent même de lancer une pétition…

Domingo Mendez, secrétaire et responsable de Foot Sarine pour les juniors E et F, a déjà entendu ces remarques. «Je vais régulièrement parler avec les entraîneurs et les parents pour leur expliquer cette nouveauté qui doit encore entrer dans les mœurs. Nous parlons de formation et pas de compétition. Nous ne cherchons pas le nouveau Messi ou le nouveau Cristiano Ronaldo, nous voulons juste que les enfants s’amusent et qu’ils aient la banane», rappelle-t-il.

Question de bonne volonté

Si en fin de matinée les sourires sont largement majoritaires, certains enfants ruminent un penalty non sifflé ou une faute oubliée. «Il y a plus de coups qu’avant», assure Amaël. Les plus malins n’ont pas tardé à s’adapter… Pour Mathieu Muller, coach à Prez-Grandsivaz, qui a passé sa matinée au milieu du terrain, un arbitre n’a «aucune utilité à ce niveau-là»: «Je viens de commencer, donc je n’ai jamais assisté à un tournoi avec des arbitres, mais à 5-7 ans, les enfants sont très fair-play. Il n’y a pratiquement pas de fautes. Ils s’écoutent et s’excusent très volontiers.»

La situation peut être plus tendue entre entraîneurs. Andreas Kolly, qui gère une des équipes de Villars-sur-Glâne, est mitigé par rapport à cette nouveauté. «Le fond est bon, mais pas la forme. Cela fonctionne très bien si les deux parties sont honnêtes et de bonne volonté. Mais quand une situation est litigieuse, l’entraîneur, soutenu par quelques parents, parfois alcoolisés, se sent tout-puissant. Cela peut vite déraper. Avant, l’arbitre était là pour prendre des décisions. On pouvait être d’accord ou pas, mais au moins quelqu’un décidait!» Christophe Delley s’interroge sur l’attitude du coach. «Nous cherchons des éducateurs plus que des entraîneurs. L’enfant va peut-être changer trois ou quatre fois de sport dans les prochaines années. Si un coach joue la gagne avec des enfants de 5 ans, il n’est sans doute pas à la bonne place…»

Approche convaincante

Appliqués dans la Broye, testés à satisfaction dans le Lac le printemps passé et déjà en vigueur dans de nombreuses régions du pays, les tournois de juniors F sans arbitre sont appelés à perdurer dans notre canton. N’en déplaise à certains. Thomas Oberson, chef technique de l’AFF, est convaincu par cette nouvelle approche: «Les enfants s’arrêtent tout de suite de jouer en cas de faute. Le gardien dit immédiatement si le ballon est derrière la ligne ou pas. Les règles sont finalement les mêmes que dans la cour d’école.» Un univers où les parents n’ont pas voix au chapitre et où il se joue chaque jour des centaines de matches plus acharnés les uns que les autres.


 

Trois questions à Jean-Jacques Papilloud

Quelle est la politique de l’Association suisse de football (ASF) en matière de football des enfants?

Pour nous, l’expérience doit passer avant le résultat. Nous voulons rendre le terrain aux enfants et les encourager à agir par eux-mêmes pour participer au développement de leur personnalité. L’arbitre n’est pas nécessaire chez les petits. Les enfants décident entre eux. A 5-10 ans, il n’y a pas de violence, mais de la maladresse, pas d’insultes mais des remarques. C’est l’intervention de l’adulte qui les perturbe. Les adultes pensent performance alors que les enfants pensent jeu. Le football des enfants n’est pas une Ligue des champions en miniature.

De très nombreux parents et entraîneurs sont défavorables à ces tournois sans arbitre. Comment expliquez-vous leur scepticisme?

Tout ce qui est nouveau fait peur. Il faut laisser du temps au temps. Certains ont peut-être été surpris par cette découverte. Il nous faut encore mieux communiquer. Nous parlons beaucoup avec les responsables cantonaux et les entraîneurs. Nous informons les gens via notre site internet et notre newsletter, mais il manque peut-être un lien avec les parents. J’assiste à des centaines et des centaines de matches par année. Avec les enfants, il n’y a pas de problème. Il y aura toujours des leaders et des enfants qui ont une confiance plus élevée que d’autres, mais les entraîneurs sont là pour gérer les rares situations litigieuses. Et il ne faut pas oublier que les erreurs appartiennent aussi au football.

L’ASF a-t-elle d’autres projets pour le football des enfants?

Le programme est complexe. Nous menons de nombreuses études pour favoriser l’expérience des enfants. Notre base de réflexion est le R-A-R, soit Rire, Apprendre, Réaliser une performance, qui peut être réussir une passe ou marquer un but par exemple. Actuellement, nous travaillons sur un projet qui prend en compte le développement biologique tardif des enfants. Nous essayons de faire jouer les grands ensemble et les petits ensemble. Nous cherchons aussi à valoriser la polysportivité afin de développer les mouvements à travers le jeu. FR

 

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