La Liberté

La Suisse parie sur la finance sociale

L’argent manque aux ONG, tandis que des investisseurs privés recherchent de nouvelles opportunités

Anand Chandrasekhar, SwissiNFO

Publié le 14.02.2018

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Obligations »   Il est près de 9 h à Zurich, et la salle de conférence située à 100 mètres de la Paradeplatz, le cœur même du quartier des banques de la ville, est bondée. Plus d’une centaine de représentants d’agences de développement, d’universités et d’une poignée d’investisseurs privés sont présents.

Ils attendent deux poids lourds: Sergio Ermotti, PDG de la plus grande banque suisse UBS et Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, directrice du ­Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) viennent ouvrir la toute première conférence sur les obligations à impact social et sur le développement (SIB et DIB).

Des taux entre 7 et 15%

Les obligations à impact social? Un nouvel instrument financier avec lequel un investisseur verse de l’argent à un fournisseur de services (habituellement une ONG ou un organisme gouvernemental) pour obtenir un résultat me­surable, comme empêcher les détenus de récidiver ou s’assurer que les gens trouvent un emploi. Un payeur final (généralement un gouvernement ou une fondation) rembourse ensuite à l’investisseur un montant qui correspond au niveau des résultats.

L’investisseur ne réalise un profit que si les résultats sont atteints ou dépassés, avec le risque de perdre une partie de sa mise en cas contraire. Si le donneur d’ordre est un gouvernement, on parle d’un social impact bond. Si ce n’est pas le cas, il s’agit d’un impact bond. Les taux d’intérêts auxquels les investisseurs peuvent s’attendre se situent généralement entre 7 et 15%. Et ce pour équilibrer les risques et les motivations non commerciales du projet.

2,5 milliards de dollars

«Dans le climat économique actuel, les sources de financement traditionnelles subissent de fortes pressions», déclare Sergio Ermotti, évoquant le déficit de l’aide au développement pour faire face aux défis mondiaux tels que la pauvreté, la faim et le manque de soins de santé. Les Nations Unies estiment qu’au moins 2,5 milliards de dollars supplémentaires par an seront nécessaires pour ­atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030. Certains espèrent que le financement privé comblera l’écart.

«Alors que les taux d’intérêt dans le monde occidental restent à des niveaux historiquement bas, les investisseurs recherchent activement de nouvelles classes d’investissement», relève Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, dont le travail quotidien consiste à négocier des accords commerciaux pour la Suisse. Il y a une génération émergente de personnes riches qui accordent autant d’importance aux bénéfices sociaux et environnementaux qu’aux bénéfices financiers.»

La valeur ajoutée que les obligations à impact apportent au financement du développement consiste à déplacer le curseur vers les résultats. Les investisseurs ne sont rémunérés que quand les objectifs sont atteints.

La Suisse pionnière

«L’orientation vers un modèle basé sur l’impact permet aux prestataires de services d’avoir beaucoup de flexibilité pour être innovants. Ils assument également le risque s’ils n’atteignent pas les résultats, le remboursement étant nettement inférieur à leur investis­sement», souligne Raymond Furer, ambassadeur et délégué du Gouvernement suisse pour les accords commerciaux.

Selon Toby Eccles, conférencier considéré par certains comme le père des SIB, il y a 107 obligations à impact au niveau mondial, qui ont réuni 378 millions de dollars et ­touché 700 000 personnes. Cependant, la grande majo­rité d’entre eux a été mise en œuvre au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Mais la Suisse est pionnière lorsqu’il s’agit de lancer de tels projets dans les pays en développement, où l’aide est nécessaire. Le pays alpin est derrière les premiers SIB et DIB dans les pays à revenu intermédiaire. Le SECO est le payeur final pour un SIB en Colombie qui vise à aider plus de 500 Colombiens démunis à trouver et conserver des emplois. Il pourrait rapporter jusqu’à près de 4 millions de francs suisses aux investisseurs si les résultats du projet sont couronnés de succès.

UBS dans le coup

L’UBS Optimus Foundation, la branche philanthropique de la banque UBS, a investi dans les premiers DIB en éducation (277 000 dollars) et en santé (3,5 millions de dollars) en Inde pour maintenir les filles dans les écoles et aider à réduire la mortalité infantile dans les hôpitaux privés.

Un autre pionnier est le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a lancé le premier humanitarian impact bond au monde. Son but est de créer des centres de réa­daptation physique dans les pays africains déchirés par la guerre. Il a permis de lever 26 millions de francs suisses auprès d’investisseurs privés, dont 10 millions seront versés par le secteur développement du Département des affaires étrangères (DFAE), en fonction des résultats obtenus.

«La Suisse a l’une des structures financières les plus solides du monde et il est logique de rassembler les idées novatrices du gouvernement et du secteur bancaire pour générer plus d’argent», estime Phyllis Costanza, PDG d’UBS Optimus.

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