La Liberté

La très longue attente du Kenya

Deux millions saisis dans des banques helvétiques il y a plus de dix ans n’ont toujours pas été restitués

Markus Spörndli, Nairobi, Swissinfo

Publié le 22.06.2019

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Restitution » Dix ans après la révélation de l’affaire, des fonds détournés dans le cadre d’un scandale de corruption au Kenya sont toujours gelés en Suisse. A savoir, environ 2 millions de francs provenant d’une des plus grandes affaires de corruption de l’histoire du Kenya, le scandale de l’Anglo Leasing. Mais l’affaire peine à trouver une solution concrète.

En juillet 2018, le président kényan Uhuru Kenyatta recevait dans la capitale Nairobi son homologue suisse Alain Berset. Une longue histoire peu glorieuse semble alors devoir enfin toucher à sa fin. Les deux hommes signaient une déclaration d’intention fixant les conditions-cadres pour que la Suisse puisse restituer à ce pays d’Afrique de l’Est des fonds issus de la corruption.

Mais l’argent n’a toujours pas quitté la Suisse. En effet, le Ministère public de la Confédération attend qu’un tribunal kényan ordonne la saisie des biens mentionnés, selon le service de presse du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) dans une déclaration commune avec le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI).

Plusieurs procédures

Les experts kényans en matière de corruption estiment pourtant que la Suisse attendra encore longtemps ce jugement. Responsable il y a quinze ans de la lutte anti-corruption au Kenya, John Githongo a été à l’origine de la révélation du scandale, mais il a quitté ses fonctions en cours d’enquête et passé deux ans en exil en raison de menaces et parce qu’il craignait pour sa vie. «Dans cette affaire, plusieurs procédures judiciaires sont en cours depuis des années, affirme ce dernier. Mais aucune n’a abouti et elles ne progressent pour ainsi dire pas.»

Un rapport publié récemment par une organisation non gouvernementale, le Centre africain pour une gouvernance ouverte (AfriCOG), estime qu’on peut parler de «captation de l’Etat» au Kenya. Ce rapport dénonce ainsi une situation de corruption politique systématique où les intérêts privés parviennent à influencer de manière décisive les processus de décision de l’Etat.

«La corruption reste certainement un grave problème au Kenya», affirme pourtant Gretta Fenner, directrice du Basel Institute on Governance. Cette institution à but non lucratif associée à l’Université de Bâle assiste les autorités kényanes de lutte contre la corruption dans les enquêtes sur les cas complexes, en particulier quand elles ont une dimension internationale comme Anglo Leasing.

«Mais les autorités ont enregistré des succès significatifs au cours des dernières années. Elles sont ainsi parvenues à confisquer des biens d’une valeur de 27 millions de dollars au cours des quatre premiers mois de cette année seulement», ajoute John Githongo. Selon celui-ci, il est trop tôt pour parler d’un retournement de tendance. En réalité, les institutions de lutte contre la corruption font preuve d’une forte retenue face à l’élite politico-économique.

Suisse pas responsable

«La Suisse a fait tout ce qu’elle pouvait dans l’affaire Anglo Leasing», poursuit John Githongo. «Les fruits sont mûrs, mais la volonté de les cueillir fait manifestement défaut de notre côté.» Gretta Fenner, du Basel Institute on Governance, pense au contraire que les autorités suisses pourraient en faire davantage: «Elles n’ont pas besoin d’une décision d’un tribunal kényan. Il y a déjà un moment que le Ministère public de la Confédération a ouvert une enquête pénale. Il lui suffirait de la conclure pour séquestrer les biens et les restituer au Kenya.»

Dans leur prise de position, le DFAE et le SFI renvoient à une ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés (Finma) qui oblige les banques et les autres instituts financiers à faire preuve d’une «diligence accrue» dans leurs relations d’affaires avec les sociétés écrans.

Clémence helvétique?

La directrice du Basel Institute on Governance critique toutefois son application pratique: «Nous constatons malheureusement dans les cas où nous sommes impliqués en tant que conseillers que l’argent sale continue de venir en Suisse ou d’y passer.» Le mandat que les politiciens ont donné à la Finma ne suffit pas pour agir efficacement contre les instituts qui ne remplissent pas leurs obligations. «En comparaison internationale, il est toujours étonnant de constater la clémence avec laquelle les instituts financiers défaillants sont traités en Suisse.»

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11