La Liberté

François, déjà cinq ans qu’il surprend

Le pape argentin a été élu le 13 mars 2013. Plusieurs personnalités romandes évoquent son pontificat

Bernard Litzler, cath.ch

Publié le 10.03.2018

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Vatican »   Depuis cinq ans, un homme neuf est installé sur le trône de saint Pierre, à Rome. Elu le 13 mars 2013, après la démission de Benoît XVI, François surprend, bouscule, fait réagir, crée l’événement. A 81 ans, Jorge Mario Bergoglio apporte partout un souffle nouveau, à Rome, en voyage, avec les pauvres. Courageux, voire téméraire, l’ex-cardinal de Buenos Aires n’hésite pas à pointer les difficultés de l’Eglise catholique, ce qui l’expose aux critiques sur sa méthode et ouvre des débats clivants dans les rangs catholiques. Avec la réforme de la Curie, les scandales de l’IOR (la banque du Vatican), les affaires de pédophilie, la publication de deux encycliques, les canonisations, son parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille.

Quatre personnalités romandes donnent leur avis sur ce pontificat qui a changé l’image de l’Eglise catholique. Elles multiplient les éloges, mais émettent aussi quelques critiques et souhaits pour l’avenir. Verbatim. Avec PFY


 

«Grand cadeau de Dieu»

Pascal Desthieux, vicaire épiscopal de l’Eglise catholique romaine de Genève.

«François est un grand cadeau de Dieu pour l’Eglise catholique. Il parle par son exemple. Il fait ce qu’il dit, en choisissant d’habiter à la maison d’accueil Sainte-Marthe avec un mode de vie simple. Le pape touche de nombreuses personnes, même non catholiques. Un musulman me disait l’autre jour: «Il est super votre pape!» Il me semble que l’on grossit un peu trop les tensions autour du pape François. Les cardinaux l’ont choisi il y a cinq ans en connaissance de cause, en appréciant sa volonté de mettre l’Eglise «en sortie» et en lui demandant de réformer la Curie romaine. Le choix de son premier déplacement a été très symbolique: il s’est rendu sur l’île de Lampedusa en juillet 2013 et s’est recueilli à la mémoire de tous les migrants morts pendant la traversée.

Autre moment fort, les célébrations du Jeudi saint: il a délaissé les ors de la cathédrale du Latran pour se rendre dans des prisons (2013, 2015 et 2017), un dispensaire pour personnes âgées et handicapées (2014) ou un centre d’accueil pour réfugiés (2016). Ses paroles et son exemple me stimulent dans ma vie de prêtre. Il m’invite à être un bon pasteur, qui prend soin de ses brebis. Lors d’une rencontre de prêtres, évoquant la parabole de la brebis égarée, il avait dit avec humour qu’aujourd’hui, nous n’avons plus qu’une seule brebis au bercail et que nous devons sortir vers les 99 autres qui nous manquent. Cela demande générosité et courage, car il est plus facile de rester à la maison à bichonner cette unique brebis. Or, le Seigneur veut que nous soyons des pasteurs, pas des coiffeurs de brebis!

Mes vœux? Qu’il puisse effectuer une visite pastorale dans son pays, l’Argentine, qui l’attend avec ferveur. Qu’il continue d’aller visiter les «périphéries». Il est la «voix des pauvres», et cette voix est entendue et respectée. Je n’oublie pas qu’il a déjà 81 ans. Je lui souhaite, quand ce sera le moment, de pouvoir se retirer et passer le relais, comme son prédécesseur Benoît XVI.» BL


 

«Un pasteur de proximité»

Madeleine Duc-Jordan, ancienne conseillère communale de Fribourg et ancienne députée PCS au Grand Conseil.

«Je suis admirative et reconnaissante. Notre pape apporte une profonde réforme des institutions au sommet de l’Eglise et également dans la manière d’assumer la fonction pontificale. L’Eglise de Rome peut être fière et heureuse d’avoir à sa tête un homme d’une pareille intelligence et de tous les combats. Ils sont très nombreux ces moments où l’émotion et l’émerveillement m’ont atteinte. Moment fort, lorsqu'il apparaît sur le balcon du Vatican avec son «Buona sera!». Moment fort et acte courageux à Lampedusa avec les migrants. Actes symboliques aussi: ses voyages serviette sous le bras, ses conférences de presse improvisées, la bénédiction d’un mariage en plein vol… Pour moi, ce sont des actes forts enracinés dans une vraie pastorale de proximité. La lenteur des réformes dans l’Eglise pèse toutefois sur de nombreux chrétiens engagés et provoque des découragements. Les difficultés à mettre en place une pastorale du mariage et des divorcés remariés ou l’ordination d’hommes mariés ont aussi été évoquées dans les préoccupations du pape. Mais des lueurs d’espérance sont apparues au début de son pontificat sur l’évolution du rôle des femmes dans l’Eglise et de leur place dans les lieux de décisions. Parfois nous rêvons de plus de détermination, d’un peu plus de démocratie. Je souhaite qu’il puisse poursuivre son ministère dans l’ouverture.» BL


 

«Un homme de courage»

Denis Müller, pasteur, théologien protestant, ancien professeur aux universités de Lausanne et de Genève.

«C’est indéniablement un temps de renouvellement, mais sans qu’on puisse savoir si les réformes envisagées seront conduites à terme ou seulement esquissées. Le courage du pape force l’admiration. Les critiques internes semblent lourdes et inquiétantes, de la part des conservateurs et des traditionalistes. En même temps, on peut constater une tendance à surinterpréter les volontés de changement de Jorge Mario Bergoglio. Le pape est idéalisé – ce n’est pas nouveau dans le catholicisme –, mais ici l’insistance sur sa personnalité «douce» ferait oublier son côté autoritaire ainsi que l’ambiguïté même de toute figure pontificale. Les avancées? Au plan politique et théologique, la tentative encore inachevée de réforme de la Curie. Dans le domaine moral, la manière de vouloir répondre au défi pédophile. Sur la question de la famille, il est difficile de savoir ce qui va advenir. Sur la place de la femme, l’attitude reste assez traditionnelle, rien n’est dit du mariage des prêtres et de la prêtrise des femmes. En revanche, j’admire la résistance du pape au prêt-à-penser au sujet du mariage homosexuel. J’aimerais lui demander s’il ne trouve pas trop frileux et coincés les théologiens catholiques et si une grande réforme des études de théologie ne devrait pas être effectuée urbi et orbi. Une victoire de l’Argentine au Mondial russe, à l’été 2018, pourrait lui faire du bien!» BL


 

«Un ton nouveau, inouï»

Christophe Büchi, journaliste alémanique vivant en Suisse romande, auteur et traducteur.

«Ce pontificat me semble faire partie des surprises miraculeuses dont l’histoire de l’Eglise n’est pas pauvre. Qu’après un professeur de théologie allemand, le conclave fasse accéder un pasteur argentin sur le trône de Pierre, montre que dans l’Eglise, une subtile dialectique porteuse de basculements inattendus est à l’œuvre. Dès son «Buona sera!», le jour de son élection, le ton était donné, un ton nouveau, inouï. Je suis infiniment reconnaissant pour ces cinq ans de pontificat placés sous le thème de la charité et de la réalité humaine contemporaine. Mais j’ai une interrogation: le pape écoute-t-il suffisamment celles et ceux qui, à tort ou à raison, sont inquiétés par ce qu’ils considèrent comme un changement de cap dans la conduite de l’Eglise? Je pense aussi qu’en mettant l’accent sur «l’option pour les pauvres» et en prenant des positions prophétiques, donc très entières et très exigeantes, par exemple dans la question des migrants, il n’a peut-être pas suffisamment pris en compte les angoisses créées dans les sociétés appelées à accueillir ces migrants. D’où un malaise qu’il s’agit de dissiper, ce qui demande de la bonne volonté à tout le monde. J’ai un souhait: que le pape donne une impulsion nouvelle aux intellectuels ­catholiques et notamment à la doctrine sociale de l’Eglise, afin que les catholiques soient de nouveau présents dans le débat intellectuel.» BL


 

Repères

Parcours

Naissance

de Jorge Mario Bergoglio le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, en Argentine.

Jésuite, ordonné prêtre en 1969. Evêque en 1992 puis cardinal en 2001.

Elu pape le 13 mars 2013. Prend le nom de François.

Pontificat

Réforme de la Curie romaine et assainissement de l’Institut pour les œuvres de religion (la banque du Vatican). Deux synodes sur la famille.

Pastorale: JMJ à Rio de Janeiro. 22 voyages à l’étranger, le prochain étant œcuménique, le 21 juin à Genève. 41 canonisations, dont un groupe de 813 martyrs.

Publications

2 encycliques:

Lumen fidei (La lumière de la foi) et Laudato si’ (Loué sois-tu!). Nombreuses prises de position sur l’écologie, la paix et la justice sociale ou encore les réfugiés. PFY

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