La Liberté

Des catholiques français se sont défoulés sur leurs claviers

Université de Fribourg • Le doctorat honoris causa de la philosophe Judith Butler révolte ses détracteurs, qui mènent une campagne de mails protestataires. Des dizaines d’emails au ton courroucé ont inondé les boîtes mail de plusieurs responsables ecclésiastiques et universitaires fribourgeois ces derniers jours.

Les prises de position de la féministe américaine Judith Butler suscitent l’ire des milieux conservateurs catholiques proches de la Manif pour tous. © Keystone-a
Les prises de position de la féministe américaine Judith Butler suscitent l’ire des milieux conservateurs catholiques proches de la Manif pour tous. © Keystone-a

Marc-Roland Zoellig

Publié le 13.11.2014

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Ces courriels proviennent principalement de détracteurs français de la «théorie du genre» (lire ci-dessous «Ce genre honni») contestant l’octroi, par l’Université de Fribourg, d’un doctorat honoris causa à la philosophe féministe Judith Butler (lire cet artilce).

Selon nos sources, quelques contributeurs helvétiques ont également alimenté cette avalanche de messages critiques, suscitée par un appel à l’indignation lancé sur un site web proche de la droite catholique française. Les défenseurs de la «famille traditionnelle», s’inscrivant dans la mouvance de la Manif pour tous, y ont notamment des relais.

Service de sécurité engagé

Résultat: la conférence que donnera Judith Butler vendredi soir à l’Université de Fribourg sera encadrée par un service de sécurité, explique l’organisateur François Gauthier, professeur associé en sciences des sociétés, des cultures et des religions. Il précise que le thème de la soirée sera la non-violence - un des domaines de réflexion abordés par Judith Butler - et non les «gender studies». Le prof. Gauthier ajoute que les nombreux messages qui font déborder sa boîte mail depuis trois jours ne sont pas à proprement parler menaçants. Ils émaneraient plutôt de personnes «blessées». D’après lui, ces gens se trompent de cible: le message de Judith Butler, et celui des «études genre» en général, est souvent mal compris.

Egalement visé par la campagne orchestrée par les conservateurs catholiques français, le recteur de l’Université de Fribourg Guido Vergauwen remet lui aussi l’église au milieu du village. Il tient à préciser que son service de presse a présenté à tort comme une prise de position officielle du rectorat certains propos qu’il a en réalité adressés, à titre personnel, à des particuliers l’ayant interpellé. Pour rappel, il y estimait notamment que les personnes proposant d’octroyer un doctorat honoris causa «doivent s’en justifier devant Dieu et leur conscience ainsi que devant leur raison scientifique».

Quoi qu’il en soit, la remise de cette prestigieuse distinction à la prof. Judith Butler n’est pas remise en cause. Le rectorat a réaffirmé hier l’autonomie des facultés en matière de désignation des détenteurs de ce titre honorifique.

L’évêque réagit

La Faculté de théologie a ainsi choisi de l’accorder, cette année, au théologien anglican Nicholas Thomas Wright, spécialiste des écrits de l’apôtre Paul. Le doyen de la faculté Franz Mali ne souhaite en revanche pas faire de commentaire sur l’«affaire Butler». Ni sur les propos du Père Benoît-Dominique de la Soujeole, professeur associé en théologie dogmatique, qui a déclaré publiquement vouloir boycotter le Dies academicus.

«La participation ou non à cette manifestation relève de la liberté de chacun», affirme le doyen. Et de préciser qu’il respecte le choix de ses collègues de la Faculté des lettres, choix sur lequel sa propre faculté n’a aucune prise.

Ayant également reçu près d’une trentaine de mails en quelques jours, selon sa porte-parole Laure-Christine Grandjean, le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg a choisi de réagir sur son site internet. Lundi, il a commencé par détromper les nombreux adversaires des «gender studies» persuadés que l’Université de Fribourg est une haute école catholique. En réalité, seule sa Faculté de théologie est formellement liée à l’Eglise. Lors de la fondation de l’Alma mater, le Conseil d’Etat a pris garde à ce que l’évêché n’ait pas son mot à dire sur la vie interne de l’établissement, rappelle le communiqué.

Hier, l’évêque Charles Morerod a suggéré la mise sur pied, par la Faculté de théologie, d’un colloque consacré aux études en genre. «C’est en argumentant, plutôt qu’en insultant (je pense à certains messages reçus), que l’on peut à la fois défendre ses propres idées et discuter celles des autres», écrit-il. Mgr Morerod rappelle par ailleurs qu’une commission de la Conférence des évêques suisses prépare actuellement un texte sur ce qu’il nomme la «théorie du genre».

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Ce genre honni

Présentées par leurs détracteurs les plus virulents comme une idéologie à fabriquer des homosexuels (sic), les études de genre sont en réalité un champ de recherches abordant des questions liées à la construction sociale des identités sexuelles. Elles opèrent une distinction entre «sexe biologique» et «genre».

Dans un article récent, le docteur en psychologie français Pascal Huguet rappelle que le genre est un concept permettant d’«affirmer l’importance de l’environnement social et culturel» dans la construction de l’identité sexuelle. «Au moment de l’enfance, nous ne faisons pas qu’apprendre notre appartenance à l’un des deux sexes. Nous intégrons aussi les valeurs et les rôles sociaux associés par les adultes à cette appartenance.» D’où la persistance de «rôles de genre» qui, contrairement au sexe biologique, sont socialement et culturellement construits. Et induisent des inégalités hommes-femmes.

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