La Liberté

FARC: la plus vieille guérilla du monde

Histoire vivante - Colombie • Les Forces armées révolutionnaires de Colombie viennent de fêter leur demi-siècle d’existence. Qui sont-elles? Et où vont-elles? Clés de compréhension, à la veille du second tour de l’élection présidentielle.

Samuel Jordan

Publié le 13.06.2014

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont célébré en mai leur 50e anniversaire. Un événement passé sous silence dans la presse nationale, peu encline à évoquer ce «vilain anachronisme» et occupée à animer le second tour de l’élection présidentielle de ce week-end.

En revanche le commandant en chef de la plus vieille guérilla du monde s’est fendu d’un discours fleuve à la Castro. «Nous ne sommes pas venus au monde une arme à la main, c’est la dure réalité de notre pays qui nous a forcés à nous soulever» a communiqué Timoléon Jiménez sur le site internet de l’insurrection.

Après 18 mois de négociations de paix à La Havane, les FARC se disent toujours prêtes à mettre fin à cette interminable guerre civile qui a provoqué 250 000 morts, 25 000 disparus et cinq millions de personnes déplacées. Carte de visite de la guérilla.

Idéologie

Filles du Parti communiste colombien, les FARC sont d’obédience marxiste-léniniste: «Nous sommes l’armée du peuple, défendant les paysans pauvres contre une oligarchie, les multinationales et l’ingérence américaine. Nous revendiquons un Etat pluraliste, démocratique et patriotique.» Les USA et l’UE les ont mises sur la liste des organisations terroristes. Les autorités colombiennes les qualifient de narcoterroristes ou de brigands apolitiques. Ce qui n’est pas conforme à la réalité, car la pensée marxiste fait partie intégrante de la formation des combattants.

Sur le terrain, du simple troufion au commandant, tous énoncent le même discours. Sans socle politique commun, les FARC n’auraient pu subsister un demi-siècle.

Force de frappe

A leur apogée à la fin des années 1990, les FARC comptaient 20 000 hommes. Elles sont affaiblies et totaliseraient aujourd’hui 8000 soldats selon l’armée et 12 000 à 15 000 selon certains observateurs civils, s’inquiétant d’une recrudescence du recrutement. Les FARC compteraient en outre sur l’appui de 30 000 miliciens urbains.

Grâce au renforcement du soutien militaire américain depuis 10 ans, l’armée colombienne a mis hors de combat de nombreux cadres historiques (lire ci-dessous) et poussé de nombreux combattants à se rendre. Sous la menace constante des avions fureteurs, la guérilla a abandonné des portions de territoires et s’est repliée dans des zones montagneuses et de jungle, protégeant ses positions par des mines antipersonnel. Sa force de frappe reste néanmoins importante. Les analystes de tous bords arrivent à la même conclusion. Les FARC ne prendront pas le pouvoir, mais elles ne pourront être rayées de la carte, à l’image de la défunte guérilla sri-lankaise.

Organisation

La structure des FARC est très hiérarchisée. Au sommet, un secrétariat central de sept membres, issu d’un état-major à vingt têtes. Les troupes sont organisées en sept blocs géographiques, divisés en une soixantaine de fronts de 100 à 400 hommes. Les guérilleros sont soumis à une discipline de fer et sanctionnés par des «conseils révolutionnaires» habilités à prononcer la mort. Aux yeux des FARC, tous ceux qui sont avec le gouvernement, civils compris, sont considérés comme une menace et un objectif militaire.

L’insurrection finance cette machinerie bien huilée par trois sources de revenus: la drogue, les impôts «révolutionnaires» et l’exploitation illégale de minerais. Pour les paysans qui forment la majorité des troupes, l’enrôlement dans la guérilla est un débouché économique, l’obtention d’un statut social et une revanche sur un destin défavorable.

Les FARC sont accusées de recruter des mineurs. Forgés jeunes à la dure, ces implacables et sévères guerriers ne connaissent qu’un métier, celui des armes. Et qu’une vie, celle d’un soldat en constant mouvement, sans attaches. Particularité: les femmes forment le quart des troupes.

Soutien populaire

Mieux vaut ne pas aborder le sujet tabou des FARC avec les Colombiens, surtout les citadins. Les gens sont fatigués du conflit. Ils ont tous été touchés de loin ou de près par la violence et en rendent les FARC en partie responsables. Parler publiquement des FARC ou évoquer des opinons de gauche, c’est le risque d’être taxé de proguérilla, d’être inquiété, voire carrément éliminé. En définitive, la longue lutte des FARC a bloqué le développement d’une force politique de gauche en Colombie. Preuve en est la présidentielle qui voit s’affronter deux candidats de droite.

Dans les campagnes, le soutien populaire est plus conséquent, même si les civils se retrouvent souvent entre le marteau et l’enclume. Ils doivent obéir à ceux qui possèdent les armes, qu’ils soient guérilleros, militaires ou paramilitaires.

La paix?

Depuis novembre 2012, des délégations des FARC et du gouvernement négocient à La Havane une sortie au conflit. Les parties sont parvenues à un accord historique sur la question de la drogue. Elles ont réglé trois des six points de l’agenda. Le commandant en chef des FARC a affirmé que l’insurrection désirait la paix. «Mais pas à n’importe quel prix.» Les négociations de paix en cours pourraient être bloquées si le candidat présidentiel d’extrême droite «va-t-en-guerre» Oscar Ivan Zuluaga l’emporte ce week-end sur son rival de droite Juan Manuel Santos.

Au final, il est fort probable que les FARC célèbrent un anniversaire de plus. Si signature de paix il y a, il s’agira d’en faire de même avec l’autre guérilla - l’ELN - puis de régler deux problèmes plus épineux encore. Celui du retour à la vie civile des guérilleros démobilisés et celui du démantèlement des puissants groupes paramilitaires et mafieux. Un long chemin pavé de mines.

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Vie et mort d’un guérillero

J’ai rencontré le commandant Pedro* en 2005. Je travaillais à cette époque pour le CICR. But du rendez-vous: obtenir des garanties de sécurité dans cette zone montagneuse de la Colombie. Car sans l’aval de tous les belligérants, pas possible pour le CICR de développer ses activités humanitaires. La rencontre a lieu dans une région reculée, difficilement accessible par la route.

Pedro me souhaite la bienvenue. «Vous tombez bien, c’est l’heure du dîner.» Il me sert deux assiettes - un bouillon de poule et du riz. En l’absence de table, j’essaie avec peine de maintenir en équilibre les récipients sur mes genoux. Ce qui fait sourire mon hôte: «C’est la vie de la jungle, que voulez-vous?» Il me dit diplomatiquement: «J’ai accepté de faire votre connaissance, car on m’a dit que vous étiez sympathique. Mais aussi parce que je souhaite l’intervention de votre respectable organisation pour évacuer deux civils décédés dans un accident sur notre territoire.»

Pedro, sorti d’un film sur la révolution cubaine, est l’archétype du guérillero: barbe abondante mais soignée, visage fier et sévère, buriné par le grand air. Impeccable dans son uniforme neuf, malgré un léger embonpoint. Parmi son équipement: un couteau suisse.

Agé d’une cinquantaine d’années, il a rejoint les FARC avec l’un de ses frères au début des années 1980. Pour deux raisons: par idéal - il était membre du Parti communiste - et par esprit de revanche - son père avait été assassiné par des paramilitaires. La violence appelle la violence: scénario tristement classique en Colombie qui explique l’incroyable longévité du conflit. «Certains de mes proches ont heureusement trouvé asile en Europe.»

Pedro, pragmatique: «Notre but n’est pas d’instaurer une dictature du peuple. La lutte armée permet d’exercer une pression constante sur le gouvernement pour l’obliger à engager des réformes sociales et réduire les inégalités.» Selon lui, le combat continuera tant que les autorités défendront les intérêts d’une élite. Il m’a confié être parfois fatigué du maquis. Sans pourtant envisager une démobilisation, de peur d’y laisser sa peau.

Le commandant se montre curieux sur la politique suisse: «Vous avez de la chance, chez vous c’est le peuple qui décide!» Avec un intérêt particulier pour sa politique agricole: «Encore une fois vous avez raison, un pays doit protéger son agriculture pour assurer son indépendance alimentaire.»

J’ai par la suite revu Pedro à plusieurs reprises. Il a été tué à l’aube en 2013, lors d’un bombardement. Une victoire célébrée par l’armée colombienne: «Aujourd’hui est mort l’un des 20 terroristes les plus influents du pays.» Une issue logique pour un combattant. Sauf que Pedro n’est pas mort les armes à la main, mais dans son hamac. C’est la guerre d’aujourd’hui. SJ

*Prénom d’emprunt

***

Chronologie

Mai 1964 Répression d’une insurrection paysanne le 27 mai dans le sud de la Colombie. Acte fondateur des FARC.

Mai 1984 Premières négociations de paix. Création en 1985 de l’Union patriotique, vitrine politique de la guérilla. L’assassinat de deux candidats de l’UP à la présidentielle en 1987 ainsi que le massacre de 4000 militants par les paramilitaires mettent fin au processus.

Juin 1991 Deuxièmes négociations de paix au Venezuela et au Mexique. Echec.

Janvier 1999 Troisième ronde de dialogue. Création, dans le sud du pays (Caguán), d’une zone démilitarisée de 42 000 km2.

Février 2002 Fin des négociations et enlèvement d’Ingrid Betancourt qui passera six ans en captivité.

Dès 2003 Démobilisation partielle des groupes paramilitaires.

Mars 2008 Mort du fondateur des FARC, Manuel Marulanda.

Novembre 2011 L’armée abat le chef des FARC, Alfonso Cano, remplacé par Timoléon Jiménez, l’actuel dirigeant.

Novembre 2012 Le président Santos et les FARC se remettent à la table des négociations à Cuba. Les discussions se poursuivent. ATS/SJ

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