La Liberté

Plongée dans le passé avec «PlanetSolar»

Histoire vivante - Archéologie • Cet été, le futuriste catamaran solaire participera à une expédition à la recherche des plus vieux villages d’Europe, au large de la Grèce. Une première archéologique menée par le chercheur genevois Julien Beck.

Le catamaran «PlanetSolar», avec son pont arrière couvert de panneaux solaires, d’où pourront être effectuées certaines mesures sous-marines. © Julien Beck/Planetsolar/DR
Le catamaran «PlanetSolar», avec son pont arrière couvert de panneaux solaires, d’où pourront être effectuées certaines mesures sous-marines. © Julien Beck/Planetsolar/DR
Le site de fouilles se trouvera au large de la grotte de Franchthi (à droite sur la photo du haut), dans le golfe de Nauplie, au sud du Péloponnèse. © Julien Beck/Planetsolar/DR
Le site de fouilles se trouvera au large de la grotte de Franchthi (à droite sur la photo du haut), dans le golfe de Nauplie, au sud du Péloponnèse. © Julien Beck/Planetsolar/DR
Le capitaine de «PlanetSolar», Gérard d'Aboville, se réjouit de relever le défi de TerraSubmersa au large des côtes grecques. © PlanetSolar/DR
Le capitaine de «PlanetSolar», Gérard d'Aboville, se réjouit de relever le défi de TerraSubmersa au large des côtes grecques. © PlanetSolar/DR

Pascal Fleury

Publié le 04.07.2014

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Transformé en véritable plate-forme scientifique l’an dernier, lors de l’expédition DeepWater le long du Gulf Stream, le «MS Tûranor PlanetSolar», le plus grand catamaran solaire au monde, prendra cet été le cap de la Grèce pour une nouvelle aventure, cette fois archéologique, à l’enseigne de TerraSubmersa.

Lors de cette expédition sous-marine, le vaisseau futuriste battant pavillon suisse se mettra au service du passé pour rechercher, au large du Péloponnèse, des vestiges des plus anciens villages d’Europe, qui remonteraient à environ 7000 ans avant Jésus-Christ. Explications du responsable du projet, l’archéologue Julien Beck, chargé de cours au Département des sciences de l’Antiquité à l’Université de Genève.

- Quels soutiens offrira «PlanetSolar» au projet TerraSubmersa?

Julien Beck: «PlanetSolar» aura un double rôle de plate-forme scientifique et de support de communication. A son arrivée en Grèce, le catamaran sera équipé d’instruments de pointe qui permettront de dresser la cartographie en trois dimensions des anciennes zones côtières du golfe de Nauplie, telles qu’elles apparaissaient durant la préhistoire, et de repérer d’éventuelles traces d’activités humaines de l’époque. Le Centre hellénique de recherche maritime, qui mettra à disposition ce matériel de mesures géophysiques, engagera également son bateau «Alkyon» dans l’opération.

Des sonars à balayage et des échosondeurs bathymétriques permettront de déterminer les profondeurs et le relief sous la mer. Des mesures sismiques seront aussi effectuées pour établir une coupe en profondeur du fond marin. Des fouilles sous-marines seront ensuite entreprises par des plongeurs. L’expédition bénéficiera du savoir-faire du Laténium de Neuchâtel en matière d’archéologie subaquatique, la Suisse ayant 150 ans d’expérience sur les sites palafittiques (maisons sur pilotis).

- Vous dites que «PlanetSolar» sera aussi un outil de communication…

La préhistoire est peu connue en Grèce, l’archéologie étant surtout axée sur l’époque classique. Grâce à la notoriété de «PlanetSolar», qui attire les foules à chaque escale en raison de son caractère spectaculaire, futuriste et écologique, l’expédition TerraSubmersa sera plus visible. Dès le 1er août, et pendant sa première semaine de présence en Grèce, le catamaran proposera diverses manifestations de sensibilisation à bord, destinées au grand public, aux écoliers ou aux spécialistes, dans les villes d’Erétrie, d’Athènes et enfin de Nauplie. Les deux semaines qui suivront seront entièrement consacrées aux mesures scientifiques en mer.

- Quel site allez-vous prospecter?

Le site de fouilles se trouvera au large de la grotte de Franchthi, qui est située sur la rive nord de la baie de Kalidha, dans le golfe de Nauplie. Cette grotte, qui se trouve tout près du rivage, a la particularité d’avoir des traces d’occupation sur environ 35 000 ans, du paléolithique au néolithique, soit durant les dernières phases de la préhistoire les plus déterminantes pour l’homme, ce qui en fait un site d’intérêt européen.

»La grotte a été fouillée dans les années 1960 et 1970 par une équipe américaine. Ce qui nous intéresse désormais, c’est ce qui se trouve peut-être - car c’est une hypothèse - au large de cette cavité naturelle. Lors de la dernière période glaciaire, il y a 20 000 ans, le niveau de la mer a en effet été jusqu’à 115 mètres plus bas qu’aujourd’hui. On va donc établir la ligne du rivage d’autrefois puis fouiller le paysage submergé en espérant y trouver des traces d’activités humaines.

- Est-ce usuel d’investiguer au large d’une côte maritime?

Absolument pas. Dans ce domaine de l’exploration des paysages préhistoriques submergés, on n’en est qu’aux débuts. En Méditerranée, il y a des milliers de kilomètres carrés de zones côtières qui étaient hors de l’eau pendant la préhistoire, mais qui n’ont jamais été explorées. Ces zones pourraient être très intéressantes à fouiller, car il y avait déjà autrefois beaucoup de mouvements de population le long des côtes. Actuellement, il n’y a qu’un autre petit projet en cours en Grèce, mené par le Centre hellénique de recherche maritime. Notre expédition TerraSubmersa sera l’une des toutes premières explorations du genre à être réalisée avec des mesures systématiques.

- Pour vous, ces fouilles sont l’un des plus grands enjeux du XXIe siècle pour l’archéologie…

On se trouve actuellement dans une situation très délicate en archéologie, en Méditerranée et dans le Proche-Orient. En raison du développement économique et touristique de la société moderne, des conflits et des pillages, la menace est permanente. La situation n’a jamais été aussi grave qu’aujourd’hui. Face à ce douloureux problème, l’exploration des paysages préhistoriques submergés redonne espoir. Car ces zones côtières ont été largement épargnées jusqu’à présent. Ces milliers de kilomètres carrés forment un continent inconnu encore à découvrir!

- Qu’espérez-vous trouver lors des fouilles sous-marines de cet été?

La toute grande découverte serait celle de vestiges d’un village. La grotte voisine a été utilisée jusqu’au néolithique, une période durant laquelle les êtres humains sont passés du stade de nomades, vivant essentiellement de la chasse et de la cueillette, à celui de sédentaires, devenant éleveurs et agriculteurs. Un mode de vie important, puisqu’il perdurera dans toute l’Europe jusqu’à la révolution industrielle. Dans la vase, on espère trouver des vestiges en bois ou en cuir, en plus des éclats de silex et des tessons de céramique. Et pourquoi pas, les restes d’une embarcation…

- Ce village que vous cherchez serait l’un des plus vieux d’Europe?

Oui, si l’on se réfère à certains vestiges trouvés dans la grotte, qui sont datés de la première moitié du VIIe millénaire avant J.-C. En fait, jusqu’à présent, on situait les premiers villages européens à la frontière turque, en Bulgarie et au nord-est de la Grèce. Car on estimait que le mode de vie sédentaire était arrivé du Proche-Orient par voie terrestre. Mais des recherches faites ces dernières années ont montré que la navigation était beaucoup plus ancienne en Méditerranée qu’on ne l’avait imaginé. Notre découverte, si elle se confirme, permettra de revoir la géographie de la diffusion de la vie sédentaire, avec un rôle clé pour la Grèce.

***

Le capitaine d’Aboville enthousiaste

Déjà capitaine de «PlanetSolar» l’an dernier lors de la première expédition scientifique du catamaran solaire le long du Gulf Stream, le célèbre navigateur français Gérard d’Aboville, initiateur des traversées océaniques à la rame en solitaire, s’apprête à relever de pied ferme le nouveau défi archéologique de l’aventure TerraSubmersa, en Grèce.

«PlanetSolar» est une excellente plate-forme scientifique», nous confie-t-il de sa cabine de pilotage, quelque part entre Majorque et Minorque.

Et Gérard d’Aboville d’expliquer: «Le catamaran est très spacieux, avec une grande salle de réunion pour accueillir les ordinateurs, des aménagements ouverts mais protégés à l’arrière du bateau pour plonger des sondes dans l’eau et faire divers travaux de mesures, de l’énergie électrique à gogo grâce aux 512 m2 de cellules photovoltaïques, des cabines pour accueillir éventuellement les chercheurs… Et le tout pour un coût d’utilisation relativement réduit, puisque «PlanetSolar» n’utilise pas de carburant!»

Le catamaran est de plus «très manœuvrant: il peut être positionné à quelques mètres près», souligne le capitaine. Un atout appréciable pour l’expédition grecque: «Mais ce ne sera pas de la routine, insiste Gérard d’Aboville. Il faudra naviguer avec une extrême précision pour cartographier la zone. Et en plus être vigilant aux risques de coups de vent.»

Le capitaine reste toutefois serein face à ce nouveau défi: «Nous allons travailler avec une nouvelle équipe de scientifiques. Je suis sûr que ce sera aussi bien que l’an dernier. Il y avait eu une très bonne osmose entre les chercheurs de l’Université de Genève et l’équipage. Cette fois, il y aura en plus une équipe grecque avec ses propres moyens nautiques. Ce sera passionnant!» PFY

50 ans d’école archéologique

Outil de communication remarquable auprès du public, «PlanetSolar» démarrera son expédition grecque par une halte au port d’Erétrie sur l’île d’Eubée, le 1er août. L’occasion de marquer dignement la fête nationale helvétique. Mais aussi et surtout de célébrer 50 ans de fouilles suisses sur place. L’Ecole suisse d’archéologie en Grèce (ESAG), partenaire du projet TerraSubmersa, mène en effet depuis 1964 des recherches dans cette ville qui fut un grand port commercial de l’Antiquité. Récemment encore, les archéologues suisses ont retrouvé des bains de l’époque impériale romaine et repéré le probable site du temple d’Artémis Amarysia, à 12 km d’Erétrie. Le jubilé sera aussi célébré le 21 novembre à l’Uni de Lausanne, où se trouve le siège de l’ESAG. PFY

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