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Attentats de Paris: La question du rapport de l'islam avec la violence reste posée

Analyse • Alors qu'après les sanglants attentats de Paris, sur internet, les hashtags #NotInMyName et #IAmAMuslim dénoncent les extrémistes et affirment que leurs messages de haine n'ont rien à voir avec l'islam, qui est «une religion de paix».

Alors qu'après les sanglants attentats de Paris, sur internet, les hashtags #NotInMyName et #IAmAMuslim dénoncent les extrémistes. © DR
Alors qu'après les sanglants attentats de Paris, sur internet, les hashtags #NotInMyName et #IAmAMuslim dénoncent les extrémistes. © DR

Cath.ch

Publié le 18.11.2015

Temps de lecture estimé : 11 minutes

De nombreux musulmans partout dans le monde se solidarisent avec les victimes – du grand imam d'Al-Azhar aux simples croyants – mais la question du rapport de l'islam avec la violence reste posée.

Lors des attentats du 13 novembre dernier à Paris, comme celui qui visait le 7 janvier de cette année les journalistes de l'hebdomadaire satirique «Charlie Hebdo», des témoins rapportent que les terroristes ont crié «Allahou akbar» («Dieu est le plus grand»), au moment d’ouvrir le feu. «Dire, au nom de Dieu, qu’on tue dans l’islam, c’est évidemment une abomination», déclare à CathoBel, le site officiel de l’Eglise catholique en Belgique francophone, Mgr Guy Harpigny, évêque de Tournai. Spécialiste de l’islam, il est, au sein de la Conférence épiscopale belge, l'évêque référent pour le dialogue interreligieux.

«Chez ces terroristes, il n’est pas question de religion mais bien d’idéologie»

«Le pape a employé le mot ‘blasphème’, il a raison. La plupart des musulmans croyants diront que ça n’a rien à voir. Chez ces terroristes, il n’est pas question de religion, mais bien d’idéologie avec des dérives. Tout geste que l’on pose et toute idéologie doit être critiquée par la raison et par ce qu’on connaît de la foi. Dans l’islam, on peut trouver toutes sortes de textes pour justifier des actes abominables, mais ce n’est pas ça l’islam».

Mgr Harpigny estime cependant que nous avons le droit de porter un regard critique sur ce qui se passe et de demander aux musulmans s’ils sont d’accord ou pas avec ces actes. L’évêque de Tournai apprécie en ce sens la distanciation prise par l’exécutif des musulmans de Belgique qui a rapidement condamné ces attentats dans un communiqué. «Nous nous mettons ensemble pour lutter contre certaines dérives sectaires et contre des crimes abominables. Nous sommes tous appelés à être des artisans de paix, chacun avec nos ressources: la prière, le dialogue et la dénonciation de ce qui est contraire à la dignité humaine».

L’interprétation des textes permet de progresser dans la connaissance de Dieu

«Dans n’importe quelle religion on peut trouver des textes à partir desquels on justifie de tuer au nom de Dieu», remarque Mgr Harpigny, «mais tout le monde sait que ce n’est pas juste». Dans le christianisme aussi, il y a, à certaines périodes, des gens qui ont lu des passages de l’Ancien testament dans lequel on disait qu’il fallait tuer tous ceux qui étaient non juifs, mécréants», poursuit-il.

«Mais on sait que dans une religion, il y a des textes, une communauté et une relation avec Dieu. C’est l’interprétation des textes qui permet de progresser dans la connaissance qu’on a de Dieu et dans la relation qu’on a avec Dieu et avec tous les frères humains».

La violence est autorisée par le Coran

De son côté, le Père Samir Khalil Samir, professeur d’islamologie et spécialiste de la pensée arabe, confie à cath.ch que la violence est autorisée par le Coran, voire requise selon les cas. Il veut par conséquent inciter le monde islamique à poursuivre l’ouverture de la porte de l’interprétation du Coran, qu’on appelle ‘l’ijtihâd’, que les milieux musulmans conservateurs et intégristes veulent à tout prix garder fermée.

D’origine égyptienne, le Père Samir Khalil Samir, qui a de nombreux amis musulmans, refuse le parler «politiquement correct». Le religieux, qui a enseigné de longues années à l’Université Saint-Joseph (USJ), à Beyrouth, est depuis 41 ans professeur à l’Institut Pontifical Oriental (IPO) de Rome. Islamologue de renom, il sait de quoi il parle quand il analyse la religion islamique.

Il relève que la violence est omniprésente dans l’islam, que ce soit dans le Coran lui-même ou dans le «khabar» ou les «hadith», qui recueillent les traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons.

«On trouve tout ce que l’on veut dans la tradition»

«On trouve tout ce que l’on veut dans la tradition, et on prend ce qui arrange, selon les circonstances. Tout ce que font les extrémistes trouve sa justification dans une sourate du Coran, dans le ‘khabar’ ou les ‘hadith’. Il s’agit seulement de choisir un passage, pour justifier tel ou tel acte. Chaque groupe de djihadistes dispose de son propre mufti, qui édicte ses ‘fatwas’, des décrets religieux fondés sur les Ecritures».

Et pour justifier l’extermination du «kâfir», le mécréant ou l’infidèle, les textes fondateurs de l’islam ne manquent pas. La violence est présente dans de nombreuses sourates du Coran. Ainsi la sourate 5, 33-37: «Voici quelle sera la récompense de ceux qui combattent Dieu et son apôtre,… vous les mettrez à mort ou vous leur ferez subir le supplice de la croix; vous leur couperez les mains et les pieds alternés; ils seront chassés de leur pays».

Extermination de la tribu juive des Banû Qurayza

Mahomet, en 627, après la ‘bataille du fossé’ ou ‘bataille des coalisés’ – un des épisodes de la guerre entre Mahomet, exilé à Médine, et les habitants de La Mecque qui l’avaient contraint à la fuite en 622 – punit la tribu juive des Banû Qurayza, accusée de ‘traîtrise’.

«Mahomet donna l’ordre d’exterminer ces juifs, soit entre 600 et 800 hommes passés au fil de l’épée. Ils furent décapités, et les femmes et les enfants réduits en esclavage. On peut le lire dans le récit de la vie du prophète», relève le Père Samir Khalil Samir. Le «Kitâb al-Maghâzî» («Livre des razzias») d’Abû l-Qasim ‘Abd al-Rahman, écrit vers l’an 750, énonce une soixantaine d’attaques guerrières et de razzias des hommes de Mahomet.

«Défendre la vérité avant tout, si on veut construire la paix»

«L’islam doit reconnaître sa connivence avec une telle violence!» Pour l’islamologue égyptien, ces passages ne sont pas un dévoiement de l’islam, mais un aspect de l’islam qui a existé.

«Si je cite ces passages, c’est parce qu’ils ont été écrits et qu’on peut s’y référer. Ce faisant, je ne suis pas islamophobe, et j’ai des amis imams qui viennent me trouver, d’Iran, d’Irak, du Liban… Je défends les musulmans, mais il s’agit d’être honnête, de défendre la vérité avant tout, si on veut construire la paix. En tant que chrétiens, nous avons une mission, celle d’aider les musulmans à sortir de cette impasse».

En Syrie, la violence vise les minorités, mais aussi les musulmans modérés

Chrétiens, musulmans sunnites modérés, chiites, yézidis… toutes les minorités religieuses sont frappés par la violence terroriste en Syrie, en Irak, en Egypte, au Nigeria, au Kenya, au Pakistan. «Une telle flambée est le signe d’une crise profonde de l’islam qui la mine depuis des décennies. L’islam n’a pas encore affronté le discernement du monde moderne et préfère se réfugier dans l’islam du passé», souligne le Père Samir Khalil Samir. Et il estime que la porte de ‘l’ijtihâd’ (l’effort d’interprétation) n’a jamais été fermée, contrairement à ce que beaucoup prétendent.

«On doit faire une exégèse, contextualiser le Coran. Cette démarche existait déjà à la fin du XIXe siècle, avec le grand mufti d’Al-Azhar, Mohamed Abduh (mort en 1905), fondateur avec Jamal al-Din al-Afghani du modernisme islamique. «Ses commentaires du Coran font huit volumes! Il a demandé que l’on contextualise chaque phrase du Coran. Le président égyptien Abd Al-Fattah Al-Sisi, dans un discours prononcé à Al-Azhar en décembre dernier, a appelé à lutter contre l’idéologie extrémiste. ‘Nous devons changer radicalement notre religion’, a-t-il lancé, en réclamant un discours religieux qui soit en accord avec son temps».

A Al-Azhar, les Frères musulmans n’ont pas disparu

Le Père Samir émet cependant des réserves: «Si dans l’islam, on a un urgent besoin d’interpréter les textes dans le contexte du XXIe siècle, et même si Al-Azhar dépend du gouvernement et que ses imams sont payés par l’Etat, ils sont encore loin d’être capables d’épurer leurs livres…» Des centaines de professeurs et d’assistants dépendant de la confrérie des Frères musulmans sévissent encore au sein de l’Université d’Al-Azhar.

Le religieux jésuite rappelle l’époque de la renaissance arabe, la «Nahda», qui depuis le XIXe siècle jusque dans les années 1930-1950, a permis de nombreuses tentatives de réformes. «Mais la confrérie des Frères musulmans, fondée en Egypte en 1928 par Hassan el-Banna, a tout bloqué. Il s’agit pour ce mouvement de réislamiser l’islam, de réintroduire la charia, de revenir au passé».

Le wahhabisme, une vision puritaine et rigoriste de l’islam

Venu de la Péninsule arabique, soudain enrichie par le pétrole, le mouvement politico-religieux wahhabite, fondé au XVIIIe siècle en Arabie saoudite par Mohammed ben Abdelwahhab, s’est également répandu un peu partout. Cette vision puritaine et rigoriste de l’islam, qui ne correspond pas aux traditions de l’islam africain ou asiatique, infecte ces continents, grâce à ses moyens financiers. Dans la même veine, les salafistes veulent revenir à l’islam de la première génération, c’est-à-dire à l’islam du VIIe siècle.

«Ils veulent restaurer les us et coutumes de l’époque, dans les moindres détails, jusque dans la coupe de la barbe et la forme des vêtements. Est-ce qu’une femme peut mettre du rouge à lèvre, s’allonger les cils, que peut-on manger ? Tout est classifié ‘halal’ ou ‘haram’, permis ou interdit…»

«Le malheur est que ces écrits s’appliquaient à une civilisation qui vivait dans le désert… au VIIe siècle! Des milliers de fatwas de ce type sont ainsi publiées chaque année en Egypte. Et les milliers et milliers de penseurs musulmans libéraux, qui aimeraient faire évoluer leur religion, ne font pas le poids face à la masse des musulmans dans le monde».

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