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Cabu, le pourfendeur des religions et de la bêtise nationale

Tuerie à «Charlie Hebdo»  • Pendant près de 60 ans, Cabu, tué à l'âge de 76 ans mercredi avec d'autres dessinateurs dans l'attentat contre «Charlie Hebdo», a épinglé les travers de son époque à la pointe acérée de son crayon. Son «beauf» est entré dans le langage courant.

 
Soixante ans de carrière et plus de 35'000 dessins ont fait de lui un des grands caricaturistes pamphlétaires français. © DR
Soixante ans de carrière et plus de 35'000 dessins ont fait de lui un des grands caricaturistes pamphlétaires français. © DR

ATS/AFP

Publié le 07.01.2015

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Anar rêveur derrière ses lunettes cerclées, le bonhomme à l'éternelle coupe au bol, pilier de «Charlie Hebdo» et du «Canard enchaîné», avait gardé la hargne de ses débuts. Il avouait n'avoir qu'un seul regret, celui de n'avoir pas toujours été assez féroce, que ce soit vis-à-vis du pouvoir, du conformisme, des sportifs ou de la télévision.

Soixante ans de carrière et plus de 35'000 dessins ont fait de lui un des grands caricaturistes pamphlétaires français, dans la lignée d'Albert Dubout et de «L'Assiette au beurre», le grand journal satirique du début du XXe. Ses caricatures de Mahomet étaient parmi les plus caustiques de celles qui avaient valu en 2006 des menaces de mort à l'équipe de «Charlie Hebdo».

Pur plaisir

Mais l'écologiste convaincu, nostalgique d'une France «où on pouvait se baigner dans le Marne», l'amoureux de Paris, le passionné de jazz, savait aussi porter un regard tendre et joyeux sur la société. «Si l'écriture peut-être une souffrance, le dessin est un pur plaisir», disait-il.

Jean Cabut - futur Cabu - était né le 13 janvier 1938 à Châlons-sur-Marne. Il publie ses premiers dessins à 15 ans dans l'«Union de Reims» et entame des études artistiques à Paris. Avant d'embarquer pour 27 mois de service militaire en Algérie, dont il revient avec un antimilitarisme radical.

A son retour, il entre dans le circuit des dessinateurs de presse, place ses crobards dans «Ici Paris» ou «Le Hérisson», puis rejoint François Cavanna qui lance un nouveau mensuel décapant. Ce sera «Hara-Kiri», en 1960, avec la dream team des caricaturistes de l'époque: Reiser, Topor, Fred, Wolinski.

Des monstres

Passé à «Pilote», l'hebdo dirigé par René Goscinny, Cabu crée «le Grand Duduche», le cancre révolté, sympa, qui l'accompagnera tout au long de sa carrière. «C'est le seul personnage positif que j'aie jamais dessiné, les autres sont des monstres», confiait-il à l'AFP lors de la sortie de l'intégrale de la série.

A côté de Sempé, le dessinateur du Petit Nicolas et de l'enfance heureuse, Cabu dessine les angoisses d'une jeunesse qui s'ennuie dans un monde de vieux. Et quelques «monstres» viennent étoffer sa galerie de portraits, comme l'insupportable «fille du proviseur» ou «l'adjudant Kronenbourg», le militaire tortionnaire buveur de bière, souvenir de ses années d'Algérie.

Son «beauf»

Mais son coup de maître sera son «beauf», apparu en 1973 dans «Charlie Hebdo». Une caricature de Français gueulard, alcoolique, raciste, inspiré d'un patron de bistrot, dont il fait une vedette. Au point de le faire entrer dans le dictionnaire: «Beauf. Beauf-frère (d'après une B.D. de Cabu). Français moyen aux idées étroites, conservateur, grossier et phallocrate» (Le Robert).

De de Gaulle, sur qui il s'est fait les dents dans les années 1960, à François Hollande, il a malmené tous les présidents de la Ve République. Avec un faible pour Nicolas Sarkozy, qu'il dessinait en lutin frénétique avec des cornes de diablotin.

La bêtise

«Les dessinateurs vivent de la bêtise et ça ne régresse pas», constatait-il dans un fou rire. Il avait simplement relooké son beauf à moustaches des années 1970, qu'il dessinait ensuite avec piercing et catogan, et lui avait même collé un fils, crâne rasé et crocs saillants, troisième génération de la bêtise nationale.

Le regard sombre, sans concession, que Cabu portait sur le monde moderne, la politique ou la consommation, s'accommodait souvent d'un dessin plus léger, souriant, comme un air de Charles Trenet qu'il vénérait. «Le but, disait-il, c'est avant tout d'essayer de faire rire. Il faut voir ça du côté ensoleillé de la vie.»

 

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