La Liberté

Manifestations de la dernière chance

Des milliers de Hongkongais ont défilé hier contre la loi sur la protection de la sécurité nationale

Anne-Sophie Labadie, Hong Kong

Publié le 25.05.2020

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Hong Kong » La pancarte est tenue par une frêle jeune fille plantée sur la chaussée occupée: «Je n’arrive pas à croire qu’on soit encore en train de combattre cette merde.» Comme elle, des milliers de Hongkongais ont essayé hier de résister dans la rue au nouveau coup de force de Pékin. Mais leurs rangs dégarnis par rapport à l’avant-pandémie ont laissé comme un avant-goût de défaite, noyée dans les lacrymogènes.

Depuis que le Parlement chinois a annoncé jeudi qu’il élaborait en express un texte sur la «protection de la sécurité nationale» à Hong Kong, les réseaux sociaux bruissaient d’appels à la mobilisation. Sur le qui-vive, la police a procédé à des fouilles dès samedi dans le métro puis sur les axes routiers stratégiques menant à l’île de Hong Kong et Causeway Bay, point de ralliement supposé des manifestants. Résultat, à l’heure du début du rassemblement, les rues sont peu remplies.

Les plus téméraires

Les regroupements de plus de huit personnes sont interdits à cause du virus. De ce fait, le Front civique des droits de l’homme – mosaïque d’associations à l’origine des rassemblements monstres de 2019 et du 1er janvier – n’a pas appelé à manifester. Seuls les plus téméraires ont bravé l’interdit, avec pour seule protection des masques chirurgicaux. Autour d’eux, la police antiémeute patrouille sous les écrans publicitaires géants du quartier, haut lieu touristique pour le shopping avant la contestation et la pandémie.

«Le gouvernement communiste chinois veut nous infliger une leçon, lance Wai, étudiante, qui a la vingtaine. Ils ont voulu impressionner en arrêtant des figures du mouvement prodémocratie, mais ils n’ont toujours pas compris que le mouvement est sans meneur et que les jeunes haïssent le régime communiste chinois et ne se laisseront jamais faire.»

«On ne peut rien faire contre le régime communiste mais on peut au moins saisir ce qui est peut-être notre dernière chance de défendre la liberté de pouvoir s’exprimer dans la rue», renchérit Lee. Selon elle, «demain, avec la nouvelle loi, ce sera extrêmement risqué car la moindre critique de la Chine ou même une revendication sur le suffrage universel nous vaudra une condamnation».

Moins d’une demi-heure plus tard, la police a troqué ses bérets contre des casques et masques à gaz. Les premiers lacrymogènes sont lancés. Désarmés, les manifestants battent en retraite. Certains s’habillent à la va-vite et adoptent la tenue des «braves»: capuches et masques noirs de ceux qui vont à l’affrontement avec la police. L’hymne des opposants retentit, mais le rapport de force semble inégal et la reprise en main imparable. Vers 16 h 30, heure locale, la police disait avoir procédé à 120 arrestations.

Le gouvernement central, à force de presser les autorités locales de «laver la région du virus politique» sans voir aucun résultat tangible, a perdu patience. Invoquant l’article 18 de la mini-Constitution locale, il fait valoir son droit constitutionnel de promulguer des lois sur le sol hongkongais. Il en a le pouvoir dans le domaine de la défense et des affaires étrangères et «en dehors de la compétence» des instances locales.

Or, en matière de sécurité nationale, les autorités hongkongaises sont compétentes. L’article 23 traite de la sécurité nationale mais jamais le gouvernement hongkongais n’a pu le faire appliquer, contrairement à l’autre région administrative spéciale, Macao. Ces derniers jours, Pékin montre donc qui est aux commandes.

Poches de résistance

La loi sur la sécurité nationale à Hong Kong devra s’appliquer «sans le moindre délai», a ainsi averti hier à Pékin le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, alors même qu’à Hong Kong des centaines de manifestants déployaient leurs parapluies pour se protéger des puissants jets de lacrymogènes de la police. A la nuit tombée la police tentait encore de venir à bout des dernières poches de résistance dans plusieurs quartiers de la région.

La loi préparée à Pékin pourrait être appliquée dès juin si les autorités chinoises accélèrent les procédures. Pourtant, à l’étranger, les appels et condamnations se multiplient, à l’image de ce texte signé par plus de 200 personnalités politiques, dont des députés européens, indiens et australiens. «Si la communauté internationale ne peut faire confiance à Pékin pour qu’elle tienne parole sur Hong Kong, les gens hésiteront à la croire sur d’autres questions», disent-elles en référence au traité sino-britannique censé assurer à Hong Kong ses spécificités juridiques, légales et économiques jusqu’en 2047.

Dans la rue, peu croyaient toutefois être sauvés par des pays étrangers. Certains ne voient pour seule option que de manifester encore, et ce dès mercredi, pour empêcher l’adoption d’une loi criminalisant les outrages à l’hymne chinois. D’autres placent plutôt leurs espoirs dans les élections législatives de septembre. Une échéance qui semble aujourd’hui lointaine et irréelle.

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