La Liberté

Matteo Salvini a raté son pari

Le leader d’extrême droite a finalement subi un sévère revers à l’issue des élections en Emilie-Romagne

Publié le 28.01.2020

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Italie » Le chef de l’extrême droite italienne Matteo Salvini a raté son pari, échouant à remporter dimanche la région «rouge» d’Emilie-Romagne et à renverser le gouvernement. Mais celui-ci reste fragile après une défaite monumentale des 5 étoiles, premier parti au parlement.

Le leader souverainiste avait misé son va-tout sur ce scrutin régional, sillonnant sans relâche un territoire dominé par le Parti communiste italien puis le centre-gauche depuis 70 ans.

Au final, c’est le président sortant de la région, Stefano Bonaccini (PD, centre-gauche), qui l’a emporté largement avec 51,4% sur la candidate de la Ligue de Salvini, Lucia Borgonzoni, avec 43,6%, selon les résultats officiels diffusés hier.

Les investisseurs internationaux ont réagi avec soulagement: le spread, le très surveillé écart entre les taux italiens et allemands à 10 ans, a reculé fortement à 140,6 points contre 156,5 points.

«Excès d’assurance»

«Ce matin personne ne sonnera au Quirinal (palais présidentiel) pour réclamer des élections anticipées», a commenté l’éditorialiste politique Stefano Folli dans le quotidien La Repubblica, estimant que Salvini a «péché par excès d’assurance et même une certaine arrogance».

Celui que ses troupes surnomment le «Capitano» avait promis d’aller présenter un «avis d’expulsion» au gouvernement de Giuseppe Conte, qui s’appuie sur une majorité formée par le PD (centre gauche) et le Mouvement 5 étoiles (M5S, anti-establishment). Il a assuré hier depuis Bologne que «ce n’est que partie remise».

Fort d’intentions de vote le créditant de plus de 30% des voix, soit théoriquement le premier parti d’Italie, Salvini avait défié la gauche dans l’un de ses fiefs en surfant notamment sur le mécontentement d’une classe moyenne inquiète des effets de la mondialisation, dans une région pourtant prospère et championne en matière de santé et d’éducation.

Faute sur la personne

«L’histoire italienne récente enseigne que lorsqu’on organise un référendum sur sa personne, on le perd, comme cela a été le cas de Matteo Renzi», l’ex-chef du PD fin 2016, souligne à l’AFP Emiliana De Blasio, professeure de sciences politiques à l’université Luiss de Rome.

Pour cette chercheuse, le PD a bénéficié clairement de l’émergence des Sardines, un mouvement civique né il y a seulement deux mois, justement à Bologne, qui a mobilisé l’électorat de gauche, alimentant une participation énorme (67,7% contre 37% aux précédentes régionales de 2014).

«Trou noir» des 5 étoiles

Si le gouvernement PD/M5S peut presser un soupir de soulagement, il ne sort pas pour autant renforcé du scrutin de dimanche, selon les experts. L’effondrement du Mouvement 5 étoiles (sous les 10%), alors qu’il était le premier parti italien aux législatives de 2018 avec environ 32%, est l’une des principales données du scrutin.

L’avenir de la coalition dépendra, selon les experts, de la stratégie du M5S, qui n’a plus de patron depuis la semaine passée après la démission de Luigi Di Maio, resté chef de la diplomatie italienne. ats/afp


COMMENTAIRE

Echouage sur un banc de poissons

Matteo Salvini est-il un piètre stratège? A trop vouloir s’emparer seul et contre tous du pouvoir, le leader d’extrême droite vient de rater une victoire qui lui semblait à portée de main dans un fief historique de la gauche italienne.

L’été dernier déjà, il cassait brutalement l’alliance qu’il formait avec le Mouvement 5 étoiles (M5S) afin de provoquer des élections anticipées dont il était alors favori. Mauvais calcul, puisque le Parti démocrate (gauche) est parvenu à faire à ses dépens une coalition avec le M5S. Rebelote ce week-end. En effet, en cas de succès de La Ligue en Emilie-Romagne, Salvini avait annoncé qu’il exigerait à nouveau des élections législatives anticipées.

Trop caricatural dans son obsession à faire de l’immigration l’alpha et l’oméga des maux de l’Italie, Salvini a suscité à son tour dans la population une sorte d’anticorps connu sous le nom de «Sardines». Un mouvement de citoyens, apolitique mais résolu à briser l’image d’un pays xénophobe, replié sur lui-même. Une Italie qui ressemblerait trop à des voisins du nord (Hongrie, Pologne), emmenés par des leaders en rupture de ban avec les valeurs démocratiques européennes.

En suscitant une telle prise de conscience, en poussant les gens à aller voter, les Sardines ont évité un nouveau naufrage à la gauche. Ce qui ne présume en rien de l’avenir de la fragile coalition en place, avec un M5S en chute libre et un Parti démocrate, très divisé, qui a perdu 5 présidences de région en 2019. Provisoirement échoué sur un banc de sardines, Matteo Salvini attend sans doute la prochaine marée haute pour reprendre sa marche sur Rome… Pascal Baeriswyl

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11