La Liberté

«Une aide à la transition birmane»

En pleine crise des réfugiés rohingya, le pape François commence aujourd’hui sa visite en Asie du Sud

propos recueillis par Raphaël Zbinden

Publié le 27.11.2017

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Tension régionale »   C’est un voyage à très haute teneur politique que celui du pape François – à partir de ce lundi en Birmanie et au Bangladesh –, alors que la crise provoquée par l’exil des Rohingya vers le Bangladesh a créé une forte tension régionale. Lueur d’espoir, un accord sur le retour des populations réfugiées a été conclu la semaine dernière entre responsables birmans et bangladais.

A l’exception de certains bouddhistes ultranationalistes, «les Birmans attendent l’arrivée de François avec beaucoup de fierté et d’espoir», souligne Olivier Guillard. Le politologue français estime que la visite du pape peut aider à la paix et à la transition démocratique. Chercheur à l’Institut des relations internationales stratégiques (IRIS) à Paris, Olivier Guillard est un spécialiste de la politique asiatique et notamment de la Birmanie. Entretien.

Le pape a assuré vouloir apporter un message de paix. Quelles sont ses chances d’être entendu?

Olivier Guillard: Le pape va certainement parler en faveur de la réconciliation nationale. Ce qui est une bonne chose. Cette dernière n’est en effet pas facile. Il y a plus de 130 groupes ethniques dans le pays. Celui des Birmans représente 70% de la population. Ils sont majoritairement bouddhistes et se considèrent comme les vrais habitants du pays. Ils entretiennent donc parfois des relations difficiles avec les autres ethnies et religions. Des groupes ethniques, notamment dans les régions frontalières, sont en opposition armée au gouvernement. Le cas le plus grave est celui de l’Arakan, où des violences terribles se produisent entre l’armée birmane et des groupes musulmans.

La démocratie birmane, ­dit-on, est une façade, et en ­coulisse ­l’armée garde la main sur tout…

C’est en grande partie vrai. Rien ne peut se faire dans ce pays sans les militaires, qui tirent pratiquement toutes les ficelles. Néanmoins, les haut gradés birmans ont la particularité d’être extrêmement pragmatiques. Leur but est de conserver leurs prérogatives et leurs richesses. Mais ils ont tiré les leçons de ce qui s’est passé dans d’autres pays, notamment lors du «Printemps arabe», où des peuples se sont soulevés. Ils ont donc décidé, depuis 6 ou 7 ans, d’engager le pays dans une transition démocratique.

Sait-on exactement ce qui se passe dans l’Arakan?

Il serait faux de dire qu’on le sait exactement. La région a été bloquée, et même les humanitaires ne peuvent y accéder. Mais j’éviterais d’avoir une lecture binaire de la situation. Probablement que l’armée a commis des exactions et qu’elle a sa responsabilité dans le départ de centaines de milliers de musulmans au Bangladesh voisin. Les militaires font à peu près ce qu’ils veulent. Mais de l’autre côté, il est vrai qu’il y a parmi les Rohingya des éléments islamistes radicaux, qui usent de violence, notamment contre les forces de l’ordre.

Est-on bien informé sur la situation réelle sur le terrain?

Les médias ont également tendance à avoir une lecture très partielle de la situation. Ils parlent beaucoup du sort des Rohingya, qui est bien sûr tragique, mais passent souvent sous silence d’autres faits. C’est encore plus flagrant quand il s’agit des médias des pays arabes. Par exemple, un charnier de 53 personnes, dont des femmes et des enfants, a ainsi été découvert récemment dans un village d’hindouistes de l’Arakan. Je n’en ai vu aucun rapport dans les médias.

Le pape a promis de ne pas ­prononcer le terme «Rohingya», lors de sa visite. Un compromis diplomatique regrettable?

Il est certain que le terme «Rohingya» associe directement ce groupe à la région de l’Arakan. Or, la plupart des Birmans considèrent qu’ils ne sont que des réfugiés venus du Bangladesh. C’est une réalité, même si certaines familles sont arrivées il y a plusieurs générations. Ce qui est sûr, également, c’est que le pouvoir birman n’a jamais fait d’efforts pour les intégrer et qu’ils les ont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone. Mais au vu de la sensibilité de ce terme en Birmanie, je pense qu’il est effectivement préférable que le pontife ne l’utilise pas.

Mais ce besoin de paix concerne aussi d’autres ethnies que les Rohingya…

Effectivement, il y a encore au moins 13 groupes ethniques dans le pays qui sont en conflit armé avec le gouvernement central. Ils ne revendiquent d’habitude pas l’indépendance, mais la mise en place d’un système de type fédéral, avec notamment la reconnaissance de leur spécificité culturelle. Si j’étais un conseiller du pape, je lui dirais d’envoyer un message clair de soutien aux minorités ethniques et religieuses. Mais je l’aviserais aussi de ne pas trop insister sur ce point, parce que le fait de froisser les militaires pourrait provoquer un «retour de bâton» contre ces peuples.

Le pape se rendra aussi au ­Bangladesh. Choix judicieux?

Absolument. Le fait est que près de 400 000 Rohingya se sont réfugiés dans le pays. Cela a passablement aggravé les relations déjà tendues avec la Birmanie. La visite du pape dans les deux Etats pourrait faciliter l’apaisement et le rapprochement entre les deux pays. Un mouvement qui va dans le sens de l’action actuelle de la communauté internationale. Sous le feu des projecteurs, ils doivent au moins faire mine de chercher un règlement. cath.ch

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