La Liberté

«Jésus n’est pas tombé du ciel!»

Une théologienne évoque la Nativité, ce «fait d’histoire» sur lequel les chrétiens fondent leur foi

Propos recueillis par Pascal Fleury

Publié le 23.12.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Noël »   Qui était cet enfant nommé Jésus, venu au monde il y a plus de 2000 ans à Bethléem? Qui était-il vraiment, pour naître dans une misérable étable mais être vu comme le Fils de Dieu? Docteure en théologie dogmatique et déléguée du Vicariat épiscopal pour les orientations pastorales, à Fribourg, Evelyne Maurice nous éclaire sur le mystère de la Nativité, cet événement sur lequel se fonde la foi chrétienne.

Que sait-on aujourd’hui de la naissance de Jésus, en l’état des connaissances scientifiques?

Evelyne Maurice: Nous avons un certain nombre de données historiques. Il n’y a pas de raison de douter du fait que Jésus de Nazareth a vécu en Palestine durant les trois premières décennies de notre ère, probablement de 6 ou 7 avant J.-C. à 30 après J.-C, selon notre calendrier. On peut dire en toute sécurité que Jésus est né au temps de l’empereur Auguste (–63 à +14), qu’il a exercé son activité sous le règne de l’empereur Tibère au moment où Hérode, qu’il traite de «renard» dans l’Evangile de Luc, était tétrarque de Galilée. Enfin, qu’il est mort sous le procurateur romain Ponce Pilate. Autour de ça existe un consensus.

D’où viennent les données historiques que l’on a sur l’homme Jésus?

D’abord de Luc, l’évangéliste qui a le mieux écrit l’histoire de Jésus. Mais aussi d’autres historiens, comme Tacite ou Flavius Josèphe, auteur des Antiquités judaïques vers la fin du Ier siècle, l’une des principales sources historiques de l’époque. C’est lui qui dit, par exemple: «Il y eut un homme sage nommé Jésus.» Tous ces témoignages montrent bien que la naissance de Jésus n’est pas un mythe, mais un événement certifié. Bien sûr, on a pu broder sur cette Nativité. Et on peut s’interroger sur sa symbolique. Reste que le christianisme fonde sa foi sur un fait d’histoire. Au départ, ce n’est pas un message doctrinal, mais bien un événement. Jésus n’est pas tombé du ciel: c’est un enfant qui a pris chair de la Vierge Marie.

Jésus a-t-il été perçu comme le Fils de Dieu dès sa naissance dans une étable?

Il faut replacer la naissance du Christ dans son contexte. Le récit de Luc a été écrit bien après la vie d’homme de Jésus, à la lumière de sa résurrection et des témoignages des premières communautés chrétiennes. Ce n’est pas un reportage journalistique de la naissance d’un fils de roi. Sur place, mis à part Marie, prévenue qu’elle serait la mère du Fils de Dieu, Joseph, également averti en songe, et peut-être quelques rares témoins privilégiés dont Siméon, le vieillard à qui l’on a présenté l'Enfant Jésus, personne ne s’en est rendu compte. Cela aurait choqué beaucoup de monde! Que le Fils de Dieu soit un enfant sans défense, offert à la tendresse des hommes, ce n’était pas vraiment l’image que l’on se faisait d’un Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre! Un Dieu qui se fait homme, qui fait irruption dans notre histoire, c'est stupéfiant!

Cette révélation a dû énormément interpeller les premiers chrétiens?

Ils se sont battus entre eux pour savoir si Jésus était vraiment né d’une femme vierge, s’il n’avait pas été adopté, si le Fils de Dieu n’avait pas seulement pris l’apparence d’un homme. Ces questions agitaient beaucoup les premiers chrétiens. A la fin du IIe siècle, le théologien Tertullien leur a répondu avec un réalisme extraordinaire. Rendez-vous compte, leur a-t-il dit, il est né dans les caillots, il est né dans le sang, comme tout nouveau-né. Jésus n’est pas apparu sur terre à l’âge de trente ans quand il a commencé à prêcher. Ses contemporains, déjà, ont dû se poser la question: «Mais qui est-il vraiment?» Je crois qu’il leur a fallu observer toute sa vie d’homme pour découvrir qui il était. Il a fallu qu'ils comprennent que Jésus devait naître pour être vraiment homme, pour assumer l’humanité entière, pour pouvoir finalement nous sauver par sa résurrection. C’est pourquoi le récit de sa naissance est si important. Il s’est fait homme par amour pour nous.

Cette incarnation, les évangélistes l’attestent aussi par l’énumération d’une longue généalogie...

En montrant que Jésus est descendant de David, les évangélistes veulent encore une fois souligner qu’il n’est pas tombé du ciel. Montrer qu’il assume en lui toute l’histoire passée, toute l’histoire d’Israël. Que l’Ancien Testament n’était qu’une préparation à sa venue. Qu’il s’insère véritablement dans la chaîne humaine, comme enfant d’une humble famille juive, avec une mère qui devait observer fidèlement la loi, réciter les psaumes, faire ses prières. Avec un père nourricier charpentier aussi, et sans doute des frères et sœurs. Jésus a dû s’éveiller à la vie, recevoir une éducation, grandir en sagesse... Il n’a pas fait semblant d’être bébé alors qu’il était le Fils de Dieu! Son humanité n’avait rien d’une blague!

Jésus, en tant que juif, respectait-il la loi hébraïque?

Aujourd’hui, on cherche beaucoup le rapport de Jésus à sa judéité. Jésus n’était pas un révolutionnaire. Il a vécu dans l’environnement de son peuple, allant à la synagogue, participant aux fêtes, respectant les usages. Mais à travers ce quotidien, il avait la mission de dire qui était son Père, de faire découvrir cet «absolu» que chacun cherche sans pouvoir le nommer, mais que lui appelait si simplement Abba, papa.

Il n'était pas un «révolutionnaire». Mais ses propos choquaient parfois son auditoire...

En fait, Jésus utilise les traditions juives pour dire qu’il faut aller plus loin. Par exemple, en accueillant les pécheurs et en leur apportant le pardon de Dieu. Pour un juif, c’était un blasphème. En allant à la rencontre de tous ceux que la société exclut ­– les publicains, les prostituées, etc. –, il ne fait que dévoiler qui il est: un homme libre, pas plus enchaîné aux pharisiens ou aux sadducéens qu’à un quelconque autre courant juif.

Jésus comme modèle de liberté?

Cette liberté, ça devrait être la liberté du chrétien, la liberté de tout homme. Agir en conscience pour aller jusqu’au bout de la mission que nous confie la vie. Ce qui importe, nous dit le Christ, ce n’est pas la stricte observance de la loi. Il ne s’agit pas de faire «tout bien», d’accomplir le parcours du combattant. Mais d’aimer et d’être aimé. Car le salut nous sera offert gratuitement par Dieu, par amour. Jésus, lui, s’est offert tout bébé, gratuitement. Ce n’est pas nous qui allons vers lui, c’est lui qui nous rejoint. A Noël, c’est lui qui vient vers nous. Il nous apporte l’espérance dans notre étouffante humanité. Il nous apprend à mieux vivre. A nous de faire l’expérience de sa présence dans notre histoire.

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