La Liberté

«Je comprends les fans, j’étais pareil!»

L'invité du lundi • Laurent Bastardoz, le commentateur, couvrira les mondiaux de hockey sur glace, en mai, puis quittera la télévision durant l’été. Histoire de redécouvrir les joies de la radio et d’être davantage aux côtés de sa famille…

De la télévision, Laurent Bastardoz ne fait pas une montagne. «Ce n’est que de la télé», dit celui qui se définit comme un homme du peuple. © RTS/Jay Louvion (2013)
De la télévision, Laurent Bastardoz ne fait pas une montagne. «Ce n’est que de la télé», dit celui qui se définit comme un homme du peuple. © RTS/Jay Louvion (2013)
Laurent Bastardoz avec son épouse. © DR
Laurent Bastardoz avec son épouse. © DR

Pascal Bertschy

Publié le 20.04.2015

Temps de lecture estimé : 11 minutes

A la télévision, il barbouille ses commentaires d’émotions et de clins d’œil. Dans la vie, il déborde de bonhomie, d’humour, de curiosité, d’anecdotes. C’est le bon vivant qui a tout bon. Laurent Bastardoz a même quelque chose de populaire. Il ne s’agit pas d’un gros mot, pour nous, mais d’un compliment.

Tiens, de notre part, un peu d’encens à Bastardoz? Oui, oui, c’est vrai: nous l’avions asticoté naguère dans le journal (lire ce «Coup de gueule» du 13 mars 2008). C’est le jeu: où irait la presse si elle ne pouvait pas taper de temps à autre sur de chics types? C’est la vie: on se fâche et on se défâche. Reste, à côté de ces petits riens, l’important. Comme ce retour à la radio qui, pour le Neuchâtelois de Troistorrents, sera beaucoup plus que ça.

- Laurent, quitter la télévision pour la radio, c’est original. Et quel bon goût, surtout!

Il y a un peu de ça. La radio, j’ai grandi avec! Mes parents étaient contre la télévision, si bien qu’elle a été longtemps absente à la maison. L’envie de devenir reporter m’est venue d’Alain Kobel, Eric Walter, Bertrand Zimmermann et autres voix que j’écoutais à la radio. Moi qui suis entré dans ce métier par une porte dérobée, je suis content d’avoir fait de la télévision: sans ce passage, il m’aurait manqué quelque chose. Mais voilà, j’ai voulu revenir à mes premières amours.

- Pour quelles raisons, précisément?

Pour retrouver ma liberté de ton et imager mes commentaires, chose qui s’impose à la radio mais déjà moins à la télévision. Si j’ai une qualité, elle se situe là: dans le descriptif. J’échapperai aussi à la pression des fans de hockey. Enfin, la maladie de mon épouse a joué. En allant travailler à Lausanne, je me rapprocherai d’elle. A Genève, je passais quatre-vingts nuits par an à l’hôtel. Ces soirs-là, bientôt, je les passerai tous à la maison.

- Qu’est-il arrivé à Madame Bastardoz?

Elle souffre depuis 2009 d’une sclérose en plaques, dont on a su très vite que sa forme était évolutive et non mortelle. Malgré tout, lorsque tu apprends une telle nouvelle, c’est un choc. Tu sais que la maladie te conduira peu à peu vers la déchéance physique durant les dizaines d’années qui sont devant toi. Et ce dont souffre le plus Sylvie, aujourd’hui, c’est de perdre progressivement son indépendance. Et devenir un boulet pour les autres, c’est tout ce qu’elle ne veut pas!

- Comment va ta belle Sylvie aujourd’hui?

Moyen. Elle est très fatiguée et son quotidien devient compliqué. Nous avons toujours pu compter sur elle et, même si elle est encore relativement indépendante, c’est elle qui doit compter maintenant sur les autres. Il faut quelqu’un pour la conduire chez les médecins et les neurologues, par exemple, et cela la fait beaucoup souffrir. C’est une femme adorable, même plus que ça. Heureusement, nos deux filles et nos six petits-enfants ne sont pas bien loin. Ce sont ces six petits qui tiennent Sylvie en vie.

- Comme ça, à vue de nez, on imagine notre Bastardoz: bon gosse, bon mari, bon père, bon grand-père, bon collègue, bon pote…

Bon fils, ma maman serait d’accord: je compte pour elle encore bien plus que Neuchâtel Xamax, c’est dire! Bon père, en revanche, pas sûr: j’étais plutôt copain et mes filles me l’ont reproché. Ce qui est vrai, en règle générale, c’est que je ne suis jamais de mauvaise humeur. D’ailleurs, si on se moque de moi, c’est parce que je chante presque tout le temps. Il m’arrive de gueuler, comme tout le monde, mais ça passe vite et je vais tout de suite m’excuser. La noirceur n’est pas faite pour moi: j’ai trop besoin d’être rassuré.

- On le sait, les fans de hockey sont féroces. Pour avoir la paix avec eux, tu aurais dû faire comme moi: être pro-Ambri et pro-Langnau…

Mais oui, j’aurais dû y penser! Si tu dis du bien de l’adversaire, le vrai fan t’accusera toujours d’être contre son club. Seulement, mon travail consiste à relater ce qui se passe. Chaque club m’intéresse, à ce titre, et je n’en soutiens aucun. Mais je comprends les fans, j’étais pareil! Gamin, quand Servette ou Lausanne brillait contre Xamax et que Pierre Tripod le relevait à l’antenne, je voyais aussitôt en lui un commentateur anti-Xamax.

- Enfant, t’entraînais-tu déjà à devenir un jour journaliste sportif?

Toucher au sport à travers ce métier, j’en ai toujours rêvé. Entre 8 ans et 13 ans, quand j’allais aux matches à La Chaux-de-Fonds ou à Neuchâtel, c’était avec un petit radiocassette. J’avais mon micro et je commentais. Tant pis si les autres rigolaient! Et lorsque je faisais du foot à Cortaillod, en juniors, j’allais même jusqu’à me commenter: passe à Bastardoz qui DéBORDE SUR L’AILE ET QUI… Bref, J’étais grave.

- Dans la vie active, tu as commencé en travaillant comme représentant.

Pour Philip Morris, oui, puis pour Rivella. Ce travail permettait le contact avec les gens et je l’aimais bien. Mais avec l’apparition des radios locales, au milieu des années 1980, l’horizon médiatique s’est ouvert et je n’ai pas hésité à tenter ma chance.

- Allez, toi qui es un homme en vue, secoue les chefs dans les médias! Dis-leur: arrêtez d’embaucher des surdiplômés et des universitaires, si éloignés de la vie et des réalités…

Eh bien, je le dis! Ce qui fait un bon journaliste, du moins en sport, ce sont la passion, l’amour des gens et de la sensibilité. Ces trois choses valent bien des diplômes, mais permets-moi de nuancer. Certains universitaires ont aussi ces qualités-là, regarde Marc-André Berset: ce garçon est tout simplement brillant! Je me mets aussi à la place des chefs: ils doivent choisir parmi des centaines d’offres et, pour faire un tri, il faut bien se référer aux diplômes des candidats…

- Avec le temps, qu’as-tu appris du sport?

Que c’est une école de vie, donc d’humilité, où tout n’est pas rose. J’ai connu des athlètes heureux et d’autres, détruits. Pour se lancer dans le haut niveau, il faut avoir une fêlure et ensuite lutter pour la transformer en quelque chose de positif. Et d’assister à cette lutte intérieure chez tant de sportifs, cela permet de grandir.

- Avec le sport, toujours pas de lassitude en vue?

Non, le sport me fait vivre. Grâce à lui, je me lève le matin avec le sourire et rencontrerai des gens exceptionnels. Il me donne chaque jour la banane. Le sport, c’est mon monde. Ma vie…

 

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Bio express

Celui qui vient tout droit du val-de-travers

> Né le 4 août 1961 à Peseux (NE).

> A grandi à Couvet (NE) avec son père Eric, prof de gym (décédé en 2007), sa mère Claudine, employée de commerce, et sa sœur Dominique (décédée en 2013). A 14 ans, à la suite du divorce de ses parents, a suivi sa maman à Neuchâtel.

> Vit à Troistorrents (VS) avec son épouse Sylvie. Le couple a deux filles: Fanny, qui a elle-même cinq enfants, et Laure, qui est animatrice à Rouge FM et mère d’un enfant.

> Travaille d’abord comme représentant, de 1981 à 1991, tout en faisant dès 1988 de l’animation radio.

> Devient journaliste à Radio Chablais et rejoint en 1995 les sports de la Radio suisse romande (où il sera aussi correspondant à Neuchâtel).

> Est depuis 2001 reporter sportif à la RTS, ex-TSR, mais quittera la télévision cet été pour retourner aux sports de RTS La Première.

> A pour parrain de confirmation Mario Prosperi, ex-gardien du FC Lugano et inoubliable dieu du stade.

 

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Laurent Bastardoz à l’engagement

> Ce qu’il aimerait qu’on dise de lui: «Que je suis un passionné de la vie, des gens, de sport.»

> Une gourmandise carabinée: «Les boules de Berlin.»

> Un pays où il pourrait vivre: «La Thaïlande, pour sa beauté, pour sa philosophie et ses gens.»

> Une musique: «Genesis, qui me sert de psy! Me suffit d’écouter Genesis, à certains moments, pour aller tout de suite mieux…»

> Un film culte: «Midnight Express». Mais je suis également un nounours qui pleure devant les comédies romantiques…»

> Un maître: «Alain Kobel m’a beaucoup appris. Avant de devenir mon mentor, il avait été un de ces grands reporters qui me faisaient vibrer lorsque, gamin, j’écoutais la radio. Si bien qu’au début, quand je me suis retrouvé à travailler à ses côtés, j’en avais les jambes qui tremblaient…»

> Une belle femme: «Déjà la mienne, puis Sophie Marceau.»

> Ses dieux du sport: «Pelé, Gretzky, Ali et Federer.»

> Ses tops: «L’odyssée d’Alinghi en 2003. La finale Canada-Etats-Unis des Jeux de Vancouver, en 2010, où je me suis senti privilégié: nous étions 16 000 dans la patinoire, tandis que 800 000 personnes se trouvaient à l’extérieur pour suivre le match sur écrans géants. Enfin il y a les mondiaux de hockey de 2013, à Stockholm, avec la médaille d’argent suisse.»

> Et un flop: «En 2008, grâce au fameux but de Montandon, Gottéron élimine Berne. La caméra montre des joueurs bernois en larmes: je parle de leur déception, eux qui ont archidominé le championnat, et je passe à côté de l’exploit de Fribourg durant de longues secondes. Erreur de débutant! Jacques Deschenaux, qui m’avait engagé en 2001, m’est tombé dessus. Ensuite un mec, dans «La Liberté», a écrit que…»

> Ce qui l’effraie le plus: «Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de ne plus vivre.»

> Ce qui le réjouira toujours: «L’amitié.»

 

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Collection privée

Pour lui, ce tableau n’a pas de prix

Avec son épouse: il avait 17 ans et elle 15, quand ils se sont connus. Sylvie, qui a travaillé dans le monde de la petite enfance, a toujours soutenu son mari sans réserve. Y compris lorsqu’il quitta un travail bien payé de représentant chez Rivella, en 1991, pour un modeste stage de journalisme. «Cela impliquait de gros sacrifices financiers, mais Sylvie n’a pas eu peur. Elle est toujours allée dans mon sens, m’a appuyé dans chacun de mes choix. Merci à elle et respect!»

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