La Liberté

La logique des sanctions

Paul Dembinski

Publié le 10.03.2022

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion

La ligne de conduite choisie par l’Occident pour faire face à la Russie est de chercher à toucher sa machine économico-politico-militaire tout en évitant de la pousser dans l’irréparable: une frappe nucléaire. Il s’agit d’opérer à plusieurs niveaux – gouvernements, société civile, économie privée – et selon trois axes. Le premier vise l’isolement culturel, sportif et scientifique de la Russie. Le 2e met sous pression au niveau privé le personnel politique et ses proches, alors que le 3e axe vise directement la machine économique, son effet sur la population et les forces armées. L’isolement de la Russie au niveau sportif et culturel est un fait qui découle des récentes décisions d’exclusion prises par des fédérations sportives, des festivals, des centres et concours artistiques, demain peut-être des congrès scientifiques.

Le levier personnel est actionné par «listes» établies par les autorités qui ciblent la garde plus ou moins rapprochée de l’oligo-autocratie. Il s’agit de la frapper dans son confort de vie, ses avoirs, son sentiment d’impunité. Les mesures vont de l’interdiction de séjour pour les familles, la mise sous séquestre des comptes, d’immeubles, d’entreprises ou de moyens de transport, jusqu’à leur confiscation éventuelle. Ce train de mesures relève de la décision politique, et, pour être efficace, exige une exécution rapide et le concours d’un grand nombre de pays. A cet égard, l’adhésion de la Suisse aux premières listes de sanctions européennes a été importante et souhaitée.

Or, cet instrument n’est pas extensible à l’infini. Son objectif est de créer un malaise et d’encourager les dissensions au sein du groupe dirigeant. Même si les sommes articulées sont considérables, ces mesures n’ont pas de portée macroéconomique, les avoirs étant à l’extérieur du pays.

Le 3e axe est celui qui vise l’économie. Il a deux aspects complémentaires: le monétaro-financier et l’industrialo-commercial. Ainsi, le gel des avoirs de la banque centrale de Russie a précipité une dépréciation sans précédent du rouble en quelques heures, avec pour effet le spectre d’inflation. Parallèlement, l’exclusion des principales banques russes du réseau de paiement Swift entrave l’accès du pays à des devises et aux paiements internationaux. Tout en étant inconfortables, ces mesures ne bloquent pas l’économie russe. Il en va autrement des sanctions qui touchent l’énergie. Les gouvernements occidentaux viennent de brandir (mais pas encore l’UE) le spectre d’un embargo sur le pétrole, le gaz ou le charbon russes. Ces exportations s’élèvent à 50% du total et fournissent plus d’un tiers des recettes fiscales. A n’en pas douter, l’embargo est discuté dans les chancelleries, qui parallèlement se concertent avec des acteurs privés clés. Ainsi, la décision de BP de vendre sur-le-champ sa participation de presque 20% dans Rosneft a fait l’effet d’une bombe. En apparence privée, cette action participe de la menace d’étouffement économique que l’Occident teste, via ses groupes industriels, avant de prendre une décision contraignante du type embargo. Espérons que ces menaces, à peine voilées, suffiront pour lui faire (re)prendre raison.

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