La Liberté

«Le gospel doit sortir des églises»

A Harlem, une cérémonie gospel est un incontournable. Ses chants séduisent par leur portée universelle

Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR
Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR
Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR
Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR
Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR
Située dans le quartier de Harlem, l’église baptiste FCBC propose trois messes gospel très fréquentées le dimanche, dans une ambiance festive. DR

Kessava Packiry, New York

Publié le 07.07.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

New York »   Elle se lève, les bras en croix, pour crier dans l’indifférence d’une salle quasi comble: «Merci mon Dieu, ohhh merci…» Sa voix puissante fait écho à celles des chanteurs sur scène. Leurs paroles doivent être prenantes: une fidèle arpente la travée, proposant des mouchoirs en papier. Un homme de forte corpulence en demande, pour essuyer délicatement le coin de ses yeux. C’est touchant. C’est prenant. C’est une messe comme les autres, à Harlem.

La First Corinthian Baptist Church (FCBC), à l’angle de la 116e rue et du boulevard Adam Clayton Powell Jr, à New York, ne semble a priori pas la meilleure adresse pour assister à une messe gospel: l’église, parmi les 400 de Harlem, occupe un ancien cinéma avec une salle disposant d’un balcon, où les touristes sont généralement invités à prendre place. Rien à voir avec l’intimité des petites chapelles de quartier, souvent réduites à une pièce minuscule. Mais l’esprit gospel demeure: on y est accueilli avec un sourire sincère (et la petite enveloppe qui servira aux donations) dans la joie des fidèles endimanchés. Ils sont beaux dans ces habits au goût délicieusement suranné.

Negro Spiritual

Le passé est bien présent. Le soir, il résonne à quelques pas d’ici, dans le mythique Apollo Theater, haut lieu du jazz new-yorkais. Et le dimanche, il s’écoute au son du gospel, cette musique unique qui tire ses origines du Negro Spiritual, le chant libérateur des esclaves africains. En quittant les champs de coton pour les lieux de culte, le gospel (qui tire son nom de God Spell, ou parole de Dieu) a évolué dans l’univers musical sans jamais perdre ses racines: «Il aborde toujours ses thèmes propres, comme la force de la foi, la douleur ou l’espoir», explique le Français Alain Dandonneau, directeur de production de Gospel Event, une société qui organise près de 280 concerts ou cérémonies par an en Europe, depuis plus de vingt ans.

A la FCBC, le service, le deuxième sur les trois du matin, commence à la seconde près. Il est 9 h 30 et les chanteurs, accompagnés d’une batterie et d’un synthé, donnent le la avec un Halleluia bien senti. C’est parti pour trois quarts d’heure de chants. Pas de Oh Happy Day, mais des chansons à la gloire du Christ comme He is my rock, my sword, my shield. «Le ministère de la musique prévoit ce qu’il faut chanter à l’avance. Et nous travaillons ensemble à l’élaboration des thèmes spirituels mensuels. Mais rien n’est inscrit: durant la cérémonie, le chœur peut changer de chansons s’il le souhaite», explique la pasteur Desiree Elder.

Debout une bonne partie de la messe, les paroissiens se déhanchent, frappent des mains, reprenant à tue-tête les refrains dont les paroles sont projetées sur trois écrans géants. Certaines personnes semblent en transe. Les nouveaux membres de la communauté, les touristes donc, sont invités à se lever sous les applaudissements de la salle. Puis, les chanteurs, habillés en civil, s’éclipsent pour laisser les écrans diffuser quelques publicités religieuses. Enfin, arrive l’heure du sermon: en tee-shirt blanc et jeans bleus, perchée sur des talons hauts, Desiree Elder vient pourfendre dans un sourire éclatant la fainéantise, thème honni des baptistes. Il lui faudra bien ­quarante-cinq minutes pour convaincre des méfaits de la procrastination.

Show à l’américaine

Il est onze heures. Dehors, une queue de plus d’une centaine de mètres attend pour le dernier service. Sandra, une touriste belge, confie: «C’était très beau! Il y a une ferveur à laquelle nous ne sommes pas habitués. Lorsque j’ai dû me lever, comme tous les nouveaux, une dame à côté de moi a tenu à m’embrasser. J’ai trouvé ça tellement spontané. Mais il y a quand même un aspect show, très à l’américaine.»

Ce côté spectacle n’est pas pour déplaire à Alain Dandonneau. «Nous sommes beaucoup à penser que ces messages de paix, d’amour, et d’espoir doivent pouvoir se partager et se chanter en toute occasion», insiste-t-il. Un avis partagé par Desiree Elder: «Enseigner l’amour de Dieu ne peut se limiter aux quatre murs d’une église. L’Evangile devrait avoir une portée universelle.» Alain Dandonneau va plus loin: «Que le gospel sorte des églises serait paradoxalement une bonne chose: c’est une musique belle, puissante, qui apporte de l’énergie. Elle redonne aux gens l’envie de retourner dans ces églises qui se vident, partout en Europe.»

L’engouement est certain, poursuit Alain Dandonneau. «Et le mariage récent de Meghan et du prince Harry, en Angleterre, a offert un joli coup de projecteur.» Pour Desiree Elder, ce mariage a été une merveilleuse plateforme non seulement pour présenter la musique gospel, mais aussi pour prêcher la tradition et évoquer la diversité afro-américaine.


 

Une église de 10'000 fidèles, bien ancrée dans la vie quotidienne

La First Corinthian Baptist Church (FCBC) a été créée il y a 85 ans, à Harlem, par un petit groupe de fidèles, qui recherchaient autre chose qu’une église qui ne soit que des briques et du verre. Cette vision, le pasteur McKenzie la développera au début des années 1940 en impliquant la FCBC dans la vie quotidienne de la communauté, «en aidant ses voisins à traverser leurs nombreux problèmes», selon l’historique de cette Eglise. C’est aussi lui qui déménagera la FCBC de son loft d’origine à son lieu actuel.

De quelque 300 membres, l’Eglise compte aujourd’hui plus de 10 000 fidèles, dont 3% de Blancs. «Nous avons connu une forte croissance sous la direction du pasteur Michael A. Walrond Jr», indique la pasteur Desiree Elder. Officiant dans le milieu des années 2000, ce pasteur a lancé des projets importants. Dont The Sanctuary, qui vise à rendre les arts plus accessibles à la communauté de Harlem. Ce «sanctuaire» se consacre ainsi à la production et à la présentation d’œuvres théâtrales, musicales et visuelles.

L’Eglise, qui a investi 1 million de dollars l’an dernier pour améliorer son système de son et d’éclairage, ne possède pas sa propre chaîne de télévision, mais diffuse chaque semaine sur son site internet les vidéos des sermons. «Nous ne faisons aucune publicité majeure», souligne Desiree Elder. «La plupart des gens viennent par le bouche-à-oreille. Les gens aiment notre congrégation: ils l’attribuent à l’amour et à l’acceptation qu’ils ressentent dans cet espace, ainsi qu’à notre enseignement dynamique.» KP

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