La Liberté

«Le président Trump se sert de nous»

Face aux piques de Donald Trump, la presse américaine défend sa crédibilité. Un combat de dupes?

Kessava Packiry, New York

Publié le 18.01.2019

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Médias » Humiliés, insultés, attaqués sans cesse sur le sérieux de leur travail… En deux ans, le climat est devenu tendu pour les journalistes américains. Pourtant, plus que jamais depuis l’accession de Donald Trump au pouvoir, les médias n’entendent rien lâcher. Une situation mise en lumière par le documentaire Mission vérité – Le New York Times et Donald Trump, diffusé ces deux prochains dimanches sur RTS2.

Le «défaillant» New York Times, comme aime à l’appeler l’élu républicain, ou le Washington Post, les deux médias de référence, sont en tête des journaux qui subissent régulièrement sa colère.

«Envers le New York Times, il s’agit d’une guerre ancienne et «familiale», face à un journal de sa ville dont il a toujours voulu être respecté sans jamais y parvenir. Le New York Times est le journal des élites sociales et culturelles de Manhattan, qui se refuse au parvenu du Queens qu’est Trump», éclaire Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire et spécialiste des Etats-Unis. «De manière plus générale, Donald Trump ne fait qu’instrumentaliser la défiance des citoyens envers les médias de masse, fondée, entre autres, sur la confusion de l’information et du divertissement dans les grands médias TV et sur la crise massive de la presse écrite et de sa qualité face au développement des réseaux sociaux.»

Question de crédibilité

Chef des correspondants du New York Times à la Maison-Blanche, Peter Baker relève: «Le président Trump est allé plus loin que n’importe lequel de ses prédécesseurs récents, non seulement en s’opposant à ce qu’il considère comme une couverture injuste, mais en essayant de discréditer le journalisme dans son ensemble. Cela a évidemment un impact sur la crédibilité des médias.»

Manuel Puppis, professeur au Département des sciences de la communication et des médias à l’Université de Fribourg, abonde dans son sens: «La confiance dans le journalisme risque effectivement d’en pâtir.» Mais, ajoute cet expert des médias: «Trump lui-même a peu de crédibilité auprès de nombreux citoyens et ses attaques contre les médias ne sont pas toujours partagées.»

L’accès à l’information étant l’un des piliers de la démocratie, «le Times, le Post et leurs principaux concurrents sont toujours attachés à une couverture factuelle et véridique», insiste Peter Baker. «Et nous espérons que les lecteurs reconnaissent qu’ils peuvent avoir confiance en ce qu’ils obtiennent de nous plutôt qu’en une grande partie de ce qui est disponible sur internet. C’est notre travail de nous assurer que nous respectons ces normes élevées.»

Large autocritique

Corentin Sellin le rappelle: «Le Washington Post et le New York Times ont procédé à une large autocritique après la victoire de Trump dont ils n’avaient pas anticipé la possible élection. Ils ont rapidement décidé de s’intéresser davantage aux habitants des régions rurales et industrieuses du Midwest et de la «Rust Belt» qui ont fait élire Trump.» Parmi les médias télévisés, le raisonnement a été différent, poursuit le Français: «On a beaucoup critiqué les chaînes d’information continue comme CNN pour avoir trop «retransmis» le spectacle Trump, pour lui avoir donné trop de temps de parole. Par ailleurs, le positionnement de Fox News, chaîne leader qui a, elle, soutenu Trump dès ses débuts, a amené CNN et MSNBC à vouloir prendre le contre-pied et à se positionner en chaînes de l’anti-Trump.»

Mais, selon Manuel Puppis, le combat semble loin d’être gagné. «Jusqu’à présent, les médias ont fait preuve de peu d’habileté à traiter avec un président qui a une relation très laxiste avec la vérité et qui n’a pas peur d’être reconnu coupable de mensonges. C’est un grand défi pour le journalisme sérieux. De plus, il y a des médias clairement biaisés comme Fox News et beaucoup de radios qui ne jouent pas leur rôle éclairant.»

Donald Trump serait-il en train de gagner sa guerre contre les médias? «C’est une erreur de voir cela comme une guerre. Nous ne l’attaquons pas. Il veut peut-être que ce soit une guerre, mais nous ne sommes pas son opposition», défend Peter Baker. «Il se peut que le président n’aime pas certaines de nos histoires, mais c’est notre rôle d’enquêter de près sur les gens au pouvoir et de fournir aux lecteurs des informations et une remise en contexte.»

Pour Manuel Puppis, la presse américaine fait fausse route en voulant tout rapporter des faits, gestes et bourdes du président: «Trump bénéficie d’une présence permanente dans les médias – peu importe que la couverture soit positive ou négative.» A ses yeux, les médias devraient se concentrer sur des rapports critiques dans le domaine politique: montrer dans quelle mesure les actions gouvernementales contribuent ou non à la résolution des problèmes.

Un avis que partage Frank Bruni, Prix Pulitzer et chroniqueur au New York Times. Dans une récente opinion, il écrit: «Quand allons-nous nous contenter de ne relater que brièvement les dernières absurdités de Trump et passer à des sujets plus conséquents? (…) Le public s’extasie devant lui. Mais il est privé d’informations sur son incompétence. Et Trump gagne. Il ne déteste pas les médias, pas du tout. Il se sert de nous!»

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La presse continue de jouer son rôle de vigie

L’affaire de l’ingérence russe dans la présidentielle de 2016 se précise. Mais pour l’instant les médias ne semblent pas en mesure de provoquer la démission de Donald Trump.

Le New York Times a encore eu droit aux insultes présidentielles, samedi dernier, après avoir révélé l’existence d’une enquête du FBI pour déterminer si Donald Trump avait agi pour le compte de la Russie. Si le journal a été le premier à révéler l’affaire de l’ingérence russe dans la présidentielle de 2016 (sur laquelle enquête toujours le procureur spécial Robert Mueller), il a été depuis bien suivi par le Washington Post. Avec leurs investigations, ces journaux auraient-ils le pouvoir de pousser le président à la démission, comme au temps du Watergate? Pour mémoire, deux jeunes journalistes du Post avaient enquêté sur un banal cambriolage en 1972, qui s’était avéré être une vaste affaire d’espionnage de la Maison-Blanche dans les bureaux de l’opposition, les démocrates. Cette affaire avait poussé le président Richard Nixon à démissionner en 1974.

Allan Lichtman ne pense pas que les médias pourraient parvenir à obtenir le départ de Donald Trump. Professeur d’histoire à l’American University de Washington DC, il est aussi féru de politique: avec l’aide d’un mathématicien russe, il a mis au point il y a 35 ans une fonction capable de prédire qui sera élu à la présidence américaine. Son système ne s’est jamais trompé.

«Je ne crois pas que les médias soient en mesure de provoquer la démission de Trump. Seules les conclusions dévastatrices du procureur spécial pourraient précipiter sa démission si une procédure de destitution est lancée par le Congrès, ce qui est probable. Cette situation est différente de celle du Watergate en ce sens qu’elle implique une possible conspiration avec une puissance étrangère pour saper notre démocratie. Il pourrait même s’agir d’une trahison de la part du président s’il est prouvé qu’il a travaillé au nom des Russes. Le Watergate impliquait une terrible affaire d’espionnage politique, mais elle restait interne aux Etats-Unis.»

Pour l’historien Corentin Sellin, la presse continue à jouer son rôle de vigie face à la puissance présidentielle. «Mais il ne faut pas surévaluer son rôle dans l’affaire du Watergate. Il fallut alors une opposition démocrate dominante au Congrès et deux procureurs indépendants, soutenus par la Cour suprême, pour contraindre Nixon à la démission. Trump est sévèrement scruté par la presse, mais ayant réussi, en particulier par son fil Twitter et grâce à l’appui de Fox News, à créer un récit médiatique alternatif de sa présidence, il est encore loin de devoir quitter le pouvoir.» KP

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Mission vérité - Le "New York Times" et Donald Trump (1/4) - Les 100 premiers jours

Le «New York Times» ouvre les portes de sa rédaction pendant la première année de la présidence de Donald Trump. Quelques jours après son investiture, le quotidien fait la une avec une révélation fracassante: le FBI et la CIA ont intercepté des conversations qui ont eu lieu pendant la campagne présidentielle entre Michael Flynn, l'ex-conseiller à la Sécurité de Donald Trump, et l'ambassadeur de Russie.

 

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Mission vérité - Le "New York Times" et Donald Trump (2/4) - L'effet Trump

Le «New York Times» ouvre les portes de sa rédaction pendant la première année de la présidence de Donald Trump. Nouveau scoop: Trump a limogé le directeur du FBI James Comey qui mène une enquête sur les liens entre ses équipes et la Russie. Une affaire qui booste les abonnements numériques du journal qui, pour la première fois, dépassent les revenus publicitaires de l'édition papier.

 

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Mission vérité - Le "New York Times" et Donald Trump (3/4) - Carnage à l'américaine

Le "New York Times" ouvre les portes de sa rédaction pendant la première année de la présidence de Donald Trump. 12 août 2017. À Charlottesville, en Virginie, une voiture fonce sur la foule des contre-manifestants antiracistes. Donald Trump condamne ces violences sans se prononcer sur la responsabilité de l'un ou l'autre camp. Au même moment éclate l'affaire Harvey Weinstein.

 

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Mission vérité - Le "New York Times" et Donald Trump (4/4) - A l'épreuve des faits

Le "New York Times" ouvre les portes de sa rédaction pendant la première année de la présidence de Donald Trump. Michael Flynn plaide coupable et déclare avoir menti au FBI dans le cadre de l'affaire russe. En parallèle, la rédaction poursuit son investigation sur les agressions sexuelles qui secouent l'industrie cinématographique, mais aussi la Maison-Blanche, et bientôt le New York Times.

 


Radio: Ve: 13h30
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