La Liberté

Le Vatican, cet incroyable nid d’espions

Renseignement • Avec son goût du secret et ses ramifications, Rome a offert une plate forme idéale pour l’espionnage au courant du XXe siècle. Le Saint-Siège a également développé ses propres réseaux secrets.

Qui sont les taupes au Vatican? © Alex
Qui sont les taupes au Vatican? © Alex

Pascal Fleury

Publié le 11.03.2016

Temps de lecture estimé : 9 minutes

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Dans «Spectre», sa dernière aventure au cinéma, l’agent 007 tente d’impressionner le public en l’entraînant dans une course-poursuite infernale à travers Rome et la Cité du Vatican. Les fans apprécieront, mais pour le Saint-Siège, ce brave James Bond reste assurément un enfant de chœur! Car des espions, les papes en ont vu passer des plus coriaces. De longue date, et en particulier durant les périodes de conflit, le Vatican n’a cessé de servir de plate forme pour le renseignement international. Etonnant? Pas vraiment, sachant que le petit Etat présente toutes les qualités requises pour l’espionnage: un goût très prononcé - et bien entretenu - pour le secret, une concentration extraordinaire de nationalités et un réseau d’information structuré, couvrant le monde entier.

Vaste réseau ecclésiastique

«Le Vatican dispose d’extraordinaires sources d’information. Il est réputé pour avoir l’un des meilleurs services secrets au monde», assure John Lenczowski, ancien conseiller spécial à la Maison-Blanche, cité dans le documentaire «Les dossiers secrets du Vatican» (dimanche sur RTS 2). Il est vrai que le Saint-Siège peut bénéficier d’informations collectées dans chaque paroisse - sur les notables, les finances, le climat politique ou la situation sociale - grâce à son vaste réseau passant par les évêques et les nonces apostoliques, qui font régulièrement leurs rapports à la Secrétairerie d’Etat à Rome.

Nœud de l’information, le Vatican apparaît alors comme un centre idéal pour les services secrets. Un terrain de jeu déjà exploité à l’époque napoléonienne et qui s’est révélé particulièrement animé pendant la Première Guerre mondiale. Toutes les forces en conflit s’y sont donné rendez-vous. Ainsi, les Britanniques ont pu compter sur un cardinal très actif, Mgr Francis Gasquet, qui a multiplié les contacts au sein de la Curie et arrosé le Foreign Office de lettres bourrées d’informations n’ayant rien de théologique.

Dons aux œuvres pontificales

Le Reich n’était pas en reste, bénéficiant du zèle du leader du parti catholique Zentrum, Matthias Erzberger. Au printemps 1915, ce député effectue d’incessants voyages à Rome. Il rencontre le pape Benoît XV et son secrétaire d’Etat, distribue beaucoup d’argent aux œuvres pontificales, multiplie les efforts pour inciter l’Italie à rester hors du conflit. Mais en profite aussi pour rendre visite au diplomate Franz von Stockhammern, principal agent de propagande allemand à Rome.

Quand l’Italie s’engage au côté des Alliés, les ambassades des puissances centrales se voient forcées de plier bagage. «Elles choisissent Lugano, en Suisse, qui devient un carrefour interlope de diplomates, d’agents d’influence et d’espions divers», raconte le vaticaniste Bernard Lecomte, qui traite des services secrets dans plusieurs de ses ouvrages* sur Rome. Mais le Reich laisse des «taupes» au bord du Tibre. L’une d’elle n’est autre que le chambellan du pape, le prêtre bavarois Rudolf Gerlach. «Il a été l’un des principaux agents allemands à Rome, détenteur de renseignements de première main», souligne le journaliste. Gerlach est finalement démasqué par le contre-espionnage italien, qui surveille intensément le Vatican, craignant des revendications à propos des Etats pontificaux perdus en 1870. L’agent est extradé vers la Suisse puis condamné par contumace à la prison à perpétuité.

L’espionnage ne s’interrompt pas durant l’entre-deux-guerres et la montée des dictatures. Le micro-Etat reste surveillé par les Soviétiques, les Italiens, mais surtout par les nazis. «L’Allemagne considère que l’Eglise catholique et la papauté menacent sa sécurité nationale et réfrène ses ambitions à l’échelle internationale», note le professeur américain David Alvarez**.

Intox des plus farfelues

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Reich mobilise de gros moyens pour surveiller le Saint-Siège. Il obtient des résultats en décryptant des communications mal sécurisées et en recrutant des indicateurs au sein de l’Eglise catholique allemande. Il ne réussit en revanche plus à placer un espion dans la place. L’opposition passe aussi par Rome: le politicien Josef Müller, membre de la résistance catholique contre Hitler, tente d’obtenir une paix honorable avec les Alliés.

De son côté, la représentation américaine à Rome paie jusqu’à 500 dollars par mois l’informateur Virgilio Scattolini - nom de code «Vessel» - pour obtenir des documents secrets du Vatican. Le Bureau des services stratégiques américain (OSS) ne prendra conscience de l’intox de ce falsificateur qu’au début 1945. Scattolini lui a même annoncé que le Vatican allait construire un aéroport dans ses jardins!

* En particulier «Les secrets du Vatican» (2009) et «Les derniers secrets du Vatican» (2012), Ed. Perrin.

** «Papauté et espionnage nazi» (Ed. Beauchesne, 1999) et «Les espions du Vatican - De Napoléon à la Shoah» (Editions Nouveau Monde, 2009).

 


 

Qui a commandité l’attentat de Jean-Paul II?

Le 13 mai 1981, le Turc Mehmet Ali Agça tirait sur Jean-Paul II sur la place Saint-Pierre à Rome. Déjà assassin du rédacteur en chef du quotidien de centre-gauche «Milliyet», en 1979 en Turquie, il avait réussi à s’évader d’une prison de haute sécurité grâce au soutien des Loups gris, une organisation nationaliste armée, néofasciste et anti-Kurdes à laquelle il appartenait.

A l’époque, la sécurité était très aléatoire lors des audiences générales en plein air. La papamobile n’avait pas de vitres pare-balles et les quatre gardes du corps qui accompagnaient à pied le Saint-Père étaient si éloignés qu’ils ne pouvaient se précipiter à temps pour le protéger, raconte le documentaire «Les dossiers secrets du Vatican» à voir dimanche sur RTS 2.

Dans la foule, Ali Agça - qui est accompagné sur la place par un complice, Oral Celik - peut alors sortir son pistolet semi-automatique Browning GP et tirer deux fois. Situé à trois mètres du pape, il l’atteint à l’abdomen et au coude, avant d’être immobilisé par une sœur et l’un des gardes. Le pape s’en sortira in extremis après une opération de cinq heures à l’hôpital Gemelli.

Emprisonné et condamné, Ali Agça affirmera avoir agi sur ordre des services secrets bulgares. Mais selon divers enquêteurs, cette «filière bulgare» n’aurait été qu’une couverture pour une action téléguidée par Moscou, organisée par le KGB et camouflée par la Stasi, la police secrète est-allemande qui aurait été chargée de la désinformation.

Une autre thèse pointe du doigt le réseau dormant italien Gladio rattaché à l’OTAN, dont un complice d’Ali Agça aurait été membre. Une participation de la CIA, voire de la mafia, est parfois aussi évoquée. Les 84 classeurs de l’affaire n’ont pas permis d’y voir clair, pas plus que les archives bulgares.

En pleine guerre froide, et alors que le pape polonais soutenait le syndicat Solidarnosc, la piste soviétique semble la plus logique. Mais les dossiers du KGB, comme ceux de la CIA, restent inaccessibles. Selon le vaticaniste Bernard Lecomte, Jean-Paul II n’a jamais cru à la filière bulgare. L’agresseur n’était-il alors qu’un «fanatique national-islamiste», un «paranoïaque incontrôlable» qui aurait tiré sur le pape en le considérant comme le diable? Le mystère reste entier.

Ali Agça a été libéré en 2010, après avoir passé près de trente ans derrière les barreaux. Le 27 décembre 2014, jour anniversaire de sa rencontre en cellule avec Jean-Paul II, il est allé déposer deux bouquets de roses blanches sur sa tombe. En toute discrétion... PFY


 

L’intrigante «Sapinière»

Si le Vatican s’est révélé être un nid d’espions aux heures chaudes des conflits internationaux du XXe siècle, il a aussi développé, entre 1909 et 1921, ses propres services de renseignement contre «l’ennemi de l’intérieur». Nommé «La Sapinière», «Sodalitium Pianum» ou «SP» pour les initiés, ce «réseau secret international antimoderniste», comme le qualifiait l’historien et sociologue français Emile Poulat*, a été mis en place par Mgr Umberto Benigni sous la papauté de Pie X. Ce pugnace prélat va utiliser tous les moyens - dénonciation, espionnage, calomnie - pour lutter contre «l’hérésie insidieuse qui attaquait la foi: le modernisme social».

Mgr Benigni avait monté tout un réseau de correspondants en Europe, à Paris, Vienne, Milan ou Fribourg, «capable de faire trembler diplomates, professeurs d’université, théologiens et même quelques archevêques», raconte le vaticaniste Bernard Lecomte. Et d’ajouter: «C’était une organisation bizarre, mi-agence de presse, mi-franc-maçonnerie, qui laissait penser parfois que le chef de La Sapinière était plus influent que le pape lui-même». Plusieurs personnalités en seront victimes, des carrières seront brisées. Mais en 1914, le nouveau pape Benoît XV lui coupe les subsides. L’entreprise de délation prend fin. La Sapinière est dissoute en 1921. PFY

* «Intégrisme et catholicisme intégral», Emile Poulat, Ed. Casterman, 1969.

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