La Liberté

Blatter seul sur Mars

«Bienvenue au club!» • La superproduction du moment, au cinéma, met en scène un Matt Damon qui tente de survivre sur la planète rouge où il a été abandonné. Cela fait penser à quelqu'un…

PASCAL BERTSCHY

Publié le 21.10.2015

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Ce qu'il faut faire pour avoir une chance de survivre seul pendant quatre ans sur une planète inhabitable? «Chier de la science!», répond l'astronaute-botaniste Matt Damon dans le film qui casse la baraque en ce moment au cinéma. 

«Seul sur Mars» est très bien et même très beau. Il parle de l'ingéniosité humaine, des ressources sidérantes que l'homme parvient parfois à puiser en lui-même. Vous allez rire: ce héros perdu sur sa lointaine planète, et aussi acharné à survivre que Robinson sur son île, m'a fait penser à Sepp Blatter. 

Oui, le Sepp. Seul sur Mars, lui aussi. Abandonné de tous et désormais livré à lui-même au cœur d'un territoire hostile, qui le condamne à une disparition certaine. Regardez pourtant ce beau diable! Admirez notre Sepp qui se bat et multiplie les trouvailles pour survivre, en attendant d'éventuels secours. 

Seul le suspense fait défaut

Bon, dans le cas Blatter, le suspense est absent: à la NASA ou ailleurs, il ne se trouvera personne pour lui envoyer une fusée de secours. Le spectacle, n'empêche, est là aussi incroyable. Et Blatter, depuis quelques mois, est un héros à la hauteur. Il est en train de chier toute sa science d'homme de pouvoir. Habileté du grand stratège, sang-froid du lanceur de couteaux, caractère intraitable du vieux guerrier qui refuse de se rendre.

Quel orgueil! Et quel équilibriste! Accepter son sort, quand on se sait condamné, est la chose du monde la plus aisée: il suffit de rester peinard, de se laisser aller à sa pente. Seulement Sepp Blatter ne mange pas de ce pain-là, bien trop mou pour ses mâchoires de grand fauve. Il veut bien mourir, mais pas comme ça, pas sans combattre jusqu'au bout.

Ses prouesses, depuis quelques mois, forcent le respect. Début juin, pour rappel, le président de la FIFA était laissé pour mort. Plombé par les scandales, il avait remis son mandat. Tout l'univers en était soulagé. Même les Suisses respiraient, eux qui sont devenu aussi accessibles à la morale et donc aussi ingrats que n'importe qui. Ouf, nous étions débarrassés de Blatter!

Une énergie venue d'ailleurs

Je n’ironise pas, je m’extasie vraiment: ce spectacle laisse coi. L'homme qui s'est retrouvé seul sur Mars en juin est toujours là. Asphyxié par les révélations fâcheuses qui se succèdent à une cadence infernale, assiégé de tous côtés, mais bien là. Le fauve est toujours vivant. Dans son agonie, il n'a d’ailleurs fait qu'une bouchée de Michel Platini. 

Saluons le grand lutteur haut-valaisan. De son enfer, Blatter continue à tirer la plupart des ficelles. Et n'est pas pour rien dans le maintien de la date prévue pour l'élection du prochain patron de la FIFA. D’ici au 26 février, le bonhomme s’accrochera à ce qui lui reste de pouvoir avec une énergie venue d'ailleurs.  

Tout ce que notre Sepp espérait du temps de sa toute-puissance, semble-t-il, c'est que son règne durerait toujours. Or la fête ne durera pas, finalement, mais avouons. La façon avec laquelle il est revenu au score et joue maintenant les prolongations, voilà qui force le respect.

Une espèce rare

A sa place, nous aurions tous déjà crié pouce. Ça nous apprendra. La saga Blatter parle des folles ressources humaines, elle aussi, et aussi un peu de nous. Sepp annonce un jour son départ et, aussitôt, nous nous faisons tout un film. Nous l'imaginons s'éclipser la tête basse, nous voyons déjà la page qui se tournera en un clin d'œil et permettra à la FIFA de se transformer soudain en blanche colombe. 

Mais non, ça ne marche pas comme ça. Il n'y a que nous pour croire aux lendemains qui chantent. Et des films, nous nous en faisons aussi dans la vie. Exemple le matin où tu te lèves en te disant que c'est le grand jour. Celui où ça va barder, où ton existence va changer. Le grand jour, merci! Toi qui tapais du poing sur la table le matin, tu t'endors le soir avec l'air fin: tu n'as pas fait de «six» à la loterie, tu n’as pas rencontré la jeune blonde éblouissante de tes rêves, ni même rivé son clou à ton patron. D'ailleurs, en parlant du patron, c'est lui qui t'as engueulé.

Nous croyons à des fariboles. Sepp Blatter, lui, n’est pas du genre à avoir la tête dans les étoiles. Que ça nous plaise ou non, il appartient à une espèce rare. Il vaudrait mieux éviter, du reste, de le larguer seul sur Mars: au bout de cinq minutes, tous les cailloux du coin l'auraient déjà élu président de la planète…

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