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«Je suis une gentille crevure»

Ancien leader de la bande portant son nom, Jacques Fasel se confie et se justifie dans un livre

«Robin des Bolzes? C’est donner une image romantique et charitable de ce que nous faisions alors que nous étions des révolutionnaires.» © Alain Wicht
«Robin des Bolzes? C’est donner une image romantique et charitable de ce que nous faisions alors que nous étions des révolutionnaires.» © Alain Wicht

Stéphanie Schroeter

Publié le 24.03.2019

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Témoignage » Il avait pris un nounours avec lui. Dans un sac portant le logo d’un géant de la distribution. Original accessoire pour un anarchiste. On le lui fait remarquer. Il sourit. Son compagnon préféré reste stoïque. Le dénommé «Bilou» a l’habitude, lui qui a traversé de multiples frontières, principalement celles de la légalité. A l’instar de cette petite boule de poil, il est d’apparence tendre et doux. Un vieil ours qui ne livre pas tous ses secrets. Encore que… Jacques Fasel a écrit un livre dont une réédition vient de sortir. Il y lève le voile sur ses motivations et son parcours. Son passé surtout. Jacques Fasel était ce qu’on appelle un bandit, des grands chemins qu’ils soient fribourgeois ou étrangers. Un voyou spécialisé dans le braquage de banques. Un criminel qui a passé plus de treize ans derrière les barreaux après avoir défrayé la chronique à la fin des années 1970. Robin des Bolzes, voleur au bon cœur et roi de l’évasion. Ancien leader de la bande portant son nom, il préfère se qualifier de gentille crevure, de mauvaise herbe. Il en faut. Et elle repousse toujours, parfois là où on s’y attend le moins.

Jacques, pour quelles raisons avez-vous accepté cette interview?

Pour parler de la nouvelle édition de mon bouquin. Pour faire de la pub en essayant d’en dire le moins possible sur ma vie sauf que je m’aperçois que c’est un peu difficile…

« Je me sentais comme un Indien sur le chemin de la guerre »

Jacques Fasel

Peut-être parce que dans votre livre, vous parlez de votre vie… Vous l’avez écrit en réaction à celui paru peu de temps auparavant de votre ancien complice de la Bande à Fasel, Daniel Bloch?

Non, nos deux livres sont sortis quasiment en même temps en 1987 et chacun ignorait que l’autre écrivait.

L’objectif de ce livre?

Justifier, expliquer et donner envie de se révolter face au système économique dans lequel nous vivions. Témoigner d’une époque, les années 1970. Une certaine jeunesse européenne se battait alors pour détruire le système capitaliste.

Pourquoi cette nouvelle édition?

L’éditeur a estimé que ce livre a une petite valeur historique. La révolte a toujours lieu d’être.

Avez-vous vraiment ressenti le besoin de vous justifier?

Oui car, à l’époque, j’étais considéré comme un délinquant, un criminel. Dans ce canton de Fribourg, où la moralité occupe une place importante, il y a cette idée que vous devez être puni pour vos péchés. J’ai grandi avec cette culture catholique d’où, peut-être, ce besoin de justification. Mais il y a surtout l’aspect du témoignage dans ce livre et cette volonté de donner envie de ne pas être des moutons.

Quarante plus tard, êtes-vous toujours révolté?

Je suis toujours révolté contre l’injustice sociale. Contre les incohérences du système économique, contre l’empire qui veut nous transformer en robots. Quant à savoir s’il y a eu des améliorations, oui, il existe aujourd’hui le service civil.

Votre refus de faire l’armée vous a conduit à la prison de Bellechasse où vous avez rencontré votre futur partenaire, Daniel Bloch…

Insoumission volontaire, antimilitarisme. Mais je n’ai jamais été objecteur de conscience. J’ai refusé de comparaître devant un tribunal militaire dont je ne reconnaissais ni l’utilité ni la validité.

Cette révolte, vous l’avez en vous depuis toujours?

J’ai eu une enfance normale, agréable, assez à manger et j’étais aimé par des parents qui n’étaient pas révoltés. Nous étions à la campagne. La révolte est intervenue lorsque j’ai intégré le monde du travail, la restauration et que je me suis rendu compte que mes collègues d’origine italienne étaient moins payés que moi pour le même boulot!

Comment bascule-t-on d’un sentiment de révolte à la lutte armée?

La volonté.

Il y a des pas que beaucoup de personnes volontaires ne franchissent pas…

Je me sentais comme un Indien sur le chemin de la guerre surtout après Bellechasse. J’avais décidé de détruire ce qui voulait me détruire. L’enfermement a provoqué la délinquance, mes activités criminelles. Il m’a cassé ma liberté.

Votre rencontre avec votre partenaire de crime a-t-elle aussi tout déclenché?

Si ce n’avait pas été Daniel, ça aurait été quelqu’un d’autre! Nous étions assez proches philosophiquement pour oser imaginer la création d’un groupe armé. Il était nécessaire pour nous, non pas de dire car d’autres l’avaient déjà fait, mais d’agir. Nous voulions participer activement.

Vous le voyez toujours?

Oui et il va très bien.

Vous avez des regrets?

Je ne regrette rien. Mais nous avons occasionné des dégâts, notamment humains. Si j’avais pu l’éviter, je l’aurais fait.

Comme la mort d’un convoyeur de fonds durant un braquage?

Oui mais pas seulement. Un ami de la bande s’est suicidé aussi à cette époque.

Vous étiez nombreux?

Une demi-douzaine mais seuls quatre étaient connus. Nous avions plusieurs sympathisants qui nous soutenaient dans l’infrastructure nécessaire à notre action. Par exemple, pour nous aider à distribuer de l’argent à des groupuscules antinucléaires, radios pirates ou groupes de théâtre subversifs.

D’où votre nom de Robin des Bolzes… Ça vous agace?

C’est Jean Steinauer qui a trouvé ce nom. C’est donner une image romantique de ce que nous faisions alors que nous étions des révolutionnaires et pas des romantiques. Nous ne volions pas aux riches pour donner aux pauvres. La charité est un concept chrétien. Nous voulions financer la contre-information et la contre-éducation. Nous n’avons pas pu faire grand-chose car nous étions recherchés, nous étions isolés. La survie a vite été notre priorité.

Vous referiez pareil?

Je serais disposé à recommencer. Mais je suis trop âgé. Il faut laisser la place aux jeunes. La lutte armée n’est pas nécessairement le meilleur moyen. Une mort occasionne une grande souffrance pour les proches et ça, je le regrette. Nous étions en guerre sociale. Nous voulions utiliser la violence du système.

Et aujourd’hui?

Je déambule et à chaque fois que je découvre une faille, j’essaie d’y rentrer mon couteau pour lui faire mal.

 

» Soirée littéraire jeudi à 19h au bar Banshees’Lodge à Fribourg autour du livre de Jacques Fasel Droit de révolte paru aux Editions d’en bas. Lecture théâtralisée par Emmanuel Dorand et slam par Malouchka. Dédicaces de l’auteur.


Bill, le compagnon très précieux

«Je vous présente Bill. Bilou pour les intimes. Nous avons passé de nombreuses frontières ensemble surtout en Europe du Sud, dans les Balkans, en Hollande aussi. Son petit ventre était bien plein… De pierres précieuses notamment. Il m’a accompagné durant de nombreuses années. Une fois, je l’ai oublié dans un hôtel à Milan, le ventre rempli de délicieuses spécialités. S’il me sert encore? Question suivante! Je le vois tous les jours mais il voyage moins aujourd’hui. Et pourquoi ce nom? Parce que j’avais envie d’un compagnon un peu cow-boy casse-cou à la fois bon à rien mais prêt à tout et surtout qui n’ait pas peur. Bilou n’a jamais eu la chance de connaître la prison. Il porte un petit bracelet sur son bras gauche. Ça lui va bien, non?» SSC


Bio express

Famille

Né en automne 1952 à Autavaux dans la Broye fribourgeoise. Quatre frères dont Jean-Bernard Fasel qui a longtemps tenu la Pinte des Mossettes à Cerniat. Séparé, un enfant. A la retraite. Habite à Fribourg «dans un igloo l’hiver et sous une tente l’été!»

Formation

Cuisinier. A travaillé à La Grenette à Fribourg ainsi qu’en Valais, à Lausanne, en France, entre autres. A fait plein de petits boulots.

Hobbies

«Le concept de hobby est lié au travail et à l’exploitation. Mais si vous me demandez ce que j’aime faire, je vous réponds cuisiner.» SSc

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