La Liberté

Bientôt mi-hommes, mi-robots

Le photographe lausannois Matthieu Gafsou plonge au cœur de l’humain amélioré

Ce masque de luminothérapie promet un visage plus jeune à qui le portera cinq minutes par jour. © Matthieu Gafsou
Ce masque de luminothérapie promet un visage plus jeune à qui le portera cinq minutes par jour. © Matthieu Gafsou

Bertrand Tappolet, SWISSINFO

Publié le 17.09.2018

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Expo virtuelle » L’exposition de Matthieu Gafsou est l’un des moments phares des 49es Rencontres de la photographie, à Arles. Sous le titre H+, elle aborde le transhumanisme (on peut la visiter virtuellement sur le site du festival). Ce mouvement défend le recours massif aux sciences pour améliorer et optimiser les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Cliniques, proches parfois du fantastique ou de l’objet précieux de collection, les photos détaillent prothèses et implants. Notre corps ne serait-il pas devenu un outil que l’on peut mettre à jour et perfectionner à volonté?

Le marché des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) s’avère très lucratif. Faisant de la santé un business toujours plus rentable, les recherches et réalisations liées à l’humain augmenté sont d’ailleurs soutenues par l’industrie pharmaceutique et les très influents géants du web ou GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). A 37 ans, photographe diplômé de l’Ecole de Vevey, le Lausannois Matthieu Gafsou y voit aussi une nouvelle religion du mieux-être de l’humanité améliorée. Il laisse néanmoins le visiteur libre de se forger sa propre opinion.

Un aimant dans le doigt

Interrogeant la frontière incertaine entre l’homme soigné et l’homme augmenté, six chapitres sont présentés tour à tour sur d’immenses papiers peints ou des cadrages resserrés. On découvre ainsi des prothèses, thérapeutiques ou qui permettent d’améliorer les performances. Sont aussi abordés les «nootropiques» ou médicaments augmentant le rendement mental.

La partie biohacking s’intéresse à l’implantation de prothèses et à la copie d’ADN mais aussi aux grinders. Ces derniers augmentent par des implants leurs capacités, ou s’opèrent eux-mêmes, souvent dans des conditions extrêmes. C’est le cas de Julien Deceroi. L’homme se revendique du transhumanisme. Et il s’est implanté un aimant dans le doigt. «L’aimant fonctionne comme un nouveau sens. Il lui permet de ressentir la présence des machines (émettrices de champs magnétiques)», relève le photographe.

Pas du nouveau

Au XVIIIe siècle déjà, le médecin suisse Jean-André Venel (1740-1791) inventa un corset, dans le but de traiter une déformation de la colonne vertébrale, la scoliose. Le cliché montre de dos une sorte d’«armure» métallique luisante sur fond noir. Il s’agit d’une orthèse, un appareillage qui compense une fonction absente ou déficitaire. Cette invention est l’ancêtre de l’exosquelette. Qui est proposé aux patients dont la mobilité des membres inférieurs est réduite. Si cet exemple est clairement thérapeutique, pour Matthieu Gafsou, il permet aussi de mieux saisir que «le rapport du corps à la technique n’est pas récent, qu’il y a là une histoire: le transhumanisme n’est-il que le prolongement de la médecine traditionnelle ou un changement de paradigme? Je laisse aux spectateurs le soin de choisir leurs réponses.»

Pour certains philosophes, scientifiques, éthiciens, politiques, le projet transhumaniste conduirait à la destruction de l’individu. Il favoriserait l’avènement d’une religion techno-organique totalitaire visant tant au contrôle qu’au formatage de l’humanité. Les défenseurs du transhumanisme, eux, soulignent le processus émancipateur, où la science et une logique rationnelle doivent contribuer à l’amélioration continue de l’homme. L’humain n’est-il pas toujours perfectible? «Le transhumanisme touche à nos douleurs et angoisses. On y trouve de la beauté, de l’humanité. Mais il est pertinent de s’inquiéter de ses dérives. Ainsi, la promesse de soigner et contenir la souffrance d’une personne n’est pas la même chose que d’affirmer: on va vous rendre immortel», conclut Matthieu Gafsou.

Articles les plus lus
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11