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Un «Google» pour le dark web

Une start-up française a développé un moteur de recherche pour les entrailles du Net

A ne pas mettre entre toutes les mains, le moteur de recherche doit être manipulé avec précaution. © Fotolia
A ne pas mettre entre toutes les mains, le moteur de recherche doit être manipulé avec précaution. © Fotolia
Publié le 14.01.2019

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Internet » Un «Google du dark web», permettant d’aller fouiller dans les entrailles obscures d’internet où s’achètent armes, drogues et codes de cartes bancaires: c’est l’outil – à ne pas mettre en toutes les mains – qu’a développé une start-up française. «Nous indexons la quasi-totalité du dark web», souligne Céline Haéri, cofondatrice d’Aleph Networks, dans les discrets locaux de l’entreprise, nichés au cœur du Beaujolais viticole.

L’accès à cet univers sulfureux se fait très classiquement à travers des logiciels accessibles à tous via l’internet de M. Tout-le-Monde, dont les plus connus sont The Onion Router (ou TOR) et I2P. Mais là, impossible d’aller plus loin sans navigateur si vous ne disposez pas d’une adresse, longue suite aléatoire de chiffres et de lettres se terminant par «.onion» ou «. i2p».

Comme Google ou Bing, Aleph indexe et stocke donc des millions de pages internet en 70 langues différentes. En cinq ans, la start-up a répertorié 1,4 milliard de liens et 450 millions de documents sur 140 000 sites. Céline Haéri tape ainsi «Glock» – marque autrichienne de pistolets prisés des mafias – et coche la case «bitcoin», monnaie virtuelle supposée intraçable. Aussitôt apparaissent les liens de sites de vente en monnaie électronique. Certains «affichent même les étoiles de satisfaction de leurs clients», s’exclame son mari – et PDG – Nicolas Hernandez.

Marché du terrorisme

Début décembre, leur logiciel recensait 3,9 millions de numéros de cartes de crédit volées. Leur neutralisation était l’un des axes de développement pressentis par Aleph. «Mais les banques sont assurées. Elles s’en fichent», sourit M. Hernandez. Une autre recherche, sur le césium 137, ingrédient potentiel des «bombes sales», fait apparaître 87 sites… Un «supermarché du terrorisme» explique encore comment fabriquer à la maison bazooka ou explosifs. Ce paysage inquiétant est loin d’être figé. Au sein du dark web, «les sites tombent très rapidement et se remontent sous une forme légèrement différente». «Sans moteur de recherche, on ne peut pas avoir de vue d’ensemble… Comment font les journalistes qui écrivent sur les pratiques du dark web?» ironise M. Hernandez.

Début 2019, la société ajoutera une couche d’intelligence artificielle pour reconnaître des images: Kalachnikov, enfants victimes d’abus ou marques contrefaites…

«En mode garage»

A l’origine de l’aventure, M. Hernandez et un ami d’enfance. Ingénieurs informatiques le jour, dans de grands groupes internationaux, hackers la nuit, au service de grandes causes, liberté d’opinion ou lutte contre la maltraitance des enfants. A la demande de Céline, alors institutrice, ils mettent au point «en mode garage» un logiciel pour agréger les blogs d’enseignants hostiles à la réforme scolaire de Xavier Darcos, alors ministre de l’Education nationale. Ce logiciel reste aujourd’hui à la base de leur technologie de collecte massive et de structuration d’informations.

Après avoir «failli mourir trois ou quatre fois» et exploré en vain divers marchés, la société trouve à sa grande surprise son salut auprès de la communauté militaire. «On avait été repérés par la Direction générale de l’armement. Deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, ils nous ont demandé une démonstration», raconte M. Hernandez. «L’armée a été particulièrement sensible au discours consistant à dire que, si on ne connaît pas un territoire, ce qui est le cas avec le dark web, on ne le maîtrise pas», relève Mme Haéri.

Mais un tel outil ne peut tomber entre toutes les mains, d’autant que le dark web est aussi le lieu où s’organise la résistance aux mouvements totalitaires, relève M. Hernandez, qui se vit volontiers en «protecteur de la cité», au sens des Grecs anciens. Aleph affirme refuser 30% à 40% des demandes de licence de son logiciel, en s’appuyant sur son comité d’éthique et les conseils – avisés – de ses clients étatiques. ATS

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