La Liberté

Grandir entre deux cultures

Se construire en Suisse avec des parents qui sont originaires d’ailleurs, c’est ce que vivent de nombreux jeunes. Témoignages

Huong Vy Sophie Do embrasse aujourd’hui sa double appartenance culturelle. Héloïse Hess
Huong Vy Sophie Do embrasse aujourd’hui sa double appartenance culturelle. Héloïse Hess

Miriam Gfeller

Publié le 09.10.2022

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Société» Comme nous l’explique Anne Kristol, anthropologue et commissaire de l’exposition Naturalisation au Musée gruérien de Bulle, «43% des personnes vivant en Suisse ont des origines liées à la migration». Ce qui fait ressurgir dans notre société cette question récurrente: comment évoluer sans perdre nos racines? Également centrale pour de nombreux jeunes, cette interrogation illustre le tiraillement qu’ils ressentent entre les valeurs transmises par leurs parents et celles vécues à l’extérieur de la sphère familiale. «Ce qui est souvent oublié, appuie Anne Kristol, c’est que les cultures sont mouvantes. Les traditions et les mentalités ne sont pas des blocs préfabriqués; elles se modifient et se mélangent sans cesse.» Témoignages.

Thi Han Pham* l’a appris tardivement. A 22 ans, elle sait maintenant que son côté asiatique peut s’unir avec les valeurs suisses auxquelles elle s’identifie. «Ça fait seulement deux ans que je ne renie plus ce qui est lié à l’Asie. Avant, je voulais être uniquement Suisse, comme s’il fallait choisir l’un ou l’autre», explique-t-elle. Née de deux parents asiatiques, son quotidien a été influencé par les traditions vietnamiennes jusqu’à ses cinq ans, avant un déménagement.

«Les cultures se modifient et se mélangent sans cesse»
Anne Kristol

Dans sa nouvelle ville, elle a eu peu de contacts avec ses origines. «A l’adolescence, j’ai compris que physiquement je ne pouvais pas cacher d’où je venais, mais les valeurs et la mentalité vietnamiennes m’étaient étrangères», raconte-t-elle. Elle fait donc le choix d’éviter les groupes sociaux liés à ses origines, pour mieux se construire et s’intégrer.

«En recherche de moi-même»
Huong Vy Sophie Do, au contraire, s’implique fortement dans son église vietnamienne. Durant l’enfance, elle passe ses samedis à apprendre la langue et danse lors de fêtes traditionnelles. Mais plus tard se crée chez elle aussi un débat intérieur; «Je ne m’identifiais ni comme Suisse ni comme Vietnamienne, j’étais en recherche de moi-même.» Elle continue pourtant à assister aux rituels et à parler vietnamien, mais par habitude plutôt que par envie. C’est son travail de maturité au collège qui renouvelle son intérêt pour la culture de ses parents, qui, elle le comprend, est aussi la sienne. «Il n’y a pas de choix à faire, j’ai deux facettes, et je trouve ça bien», conclut-elle aujourd’hui.

Ces questionnements sur la double appartenance, très présents chez les jeunes qu’on appelle de deuxième génération, peuvent être exacerbés lorsqu’ils vivent de la discrimination ou du racisme. «On leur renvoie sans cesse leur différence par rapport à une norme imaginée, d’autant plus que les stéréotypes associés aux différentes cultures sont forts et très inégaux. Une origine canadienne sera plus valorisée qu’une origine du Sénégal, comme si elle était plus prestigieuse», déplore Anne Kristol. Heureusement, nombreux sont ceux, dont Thi Han et Sophie, qui finissent par voir leur double culture comme un outil qui les aide à être plus ouverts et fluides dans le monde actuel.
* Nom d’emprunt

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11