La Liberté

L’épreuve pour devenir Suisse

Selon le lieu de résidence, les candidats à la naturalisation doivent passer un test, à la pertinence discutée

Margaux (à g.) et Naïnice (à dr.) ont toutes deux réussi haut la main le test imposé par la ville de Berne aux candidats à la naturalisation, un test auquel elles se sont soumises pour la page Jeunes. © Héloïse Hess
Margaux (à g.) et Naïnice (à dr.) ont toutes deux réussi haut la main le test imposé par la ville de Berne aux candidats à la naturalisation, un test auquel elles se sont soumises pour la page Jeunes. © Héloïse Hess

Leonardo Mariaca

Publié le 26.10.2020

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Citoyenneté » Quel est le parti qui a le plus de sièges au Conseil national? Combien de cantons et de demi-cantons y a-t-il en Suisse? Selon la commune où il fait sa demande, un candidat à la citoyenneté helvétique s’expose à devoir répondre à des questions de ce type. Celles-ci sont extraites du test de naturalisation imposé par la ville de Berne. La page Jeunes a invité Margaux Collaud, étudiante de 21 ans en droit à l’Université de Fribourg et d’origine suisse, à s’y soumettre.

«La question piège, c’est de savoir de quel canton est originaire Toblerone. A cause du Cervin dessiné sur la boîte, j’ai toujours cru qu’il venait du Valais, soupire la jeune femme. Perdu. La marque est initialement bernoise.» A ses côtés, Naïnice Ali-Bin, étudiante de 18 ans à l’Ecole de culture générale, d’origines brésilienne et congolaise, se plie aussi à l’exercice. «Je suis en cours de processus de naturalisation, confie-t-elle. En tant qu’étrangère de troisième génération, j’ai droit à une procédure simplifiée, et je n’ai pas besoin de passer de test», dit-elle.

La question qui aura posé problème à Naïnice Ali-Bin est de savoir par quels moyens les caisses-maladie sont financées. «Mais qui peut répondre à une question comme ça?» maugrée-t-elle, alors qu’à la question «Qu’est-ce que le müesli?», les deux jeunes filles sont unanimes: «Tout le monde sait ça!» Bilan de l’exercice: avec 88% de réussite pour Margaux et 70% pour Naïnice, les deux jeunes filles ont réussi le test, 60% de réponses correctes étant requis pour passer l’examen.

Disparités cantonales

La naturalisation, c’est l’acquisition d’une nationalité par un individu qui ne la possède pas par sa naissance. Si elle est réglementée en Suisse au niveau fédéral, les cantons ont une certaine marge de manœuvre quant à l’exécution de la loi. «A Fribourg, il n’y a pas de test de naturalisation», explique ainsi Christophe Maillard, chef du Service fribourgeois des affaires institutionnelles, des naturalisations et de l’Etat civil (SAINEC). «Le système est celui d’un entretien avec la personne, qui porte sur des domaines divers, tels que son parcours personnel, sa participation à la vie économique, sociale et culturelle.»

En Suisse, seuls les titulaires d’un permis C peuvent demander la naturalisation. Pour obtenir un tel permis, il faut ordinairement séjourner dix ans dans le pays, dont les cinq dernières années de manière ininterrompue. A Fribourg, le processus de naturalisation commence au SAINEC comme l’explique Nadia Humbel, enquêtrice au secteur des naturalisations. «Ce qui va prendre du temps, c’est de recevoir du pays d’origine du requérant les documents authentifiés nécessaires à son inscription dans le registre de l’état civil», développe-t-elle.

Les institutions politiques

Une fois cette étape franchie, un entretien avec le détenteur du permis C est organisé. «On fait en sorte d’adapter les questions à la personne en face de nous, souligne Christophe Maillard. Selon son âge, sa formation ou ses intérêts, les questions ne seront pas les mêmes. Ce n’est pas parce que l’on a appris par cœur que l’on est intégré.» Cet entretien a deux buts: d’abord celui de transmettre aux autorités décisionnelles un portrait du candidat le plus fidèle possible, ensuite celui de le préparer aux auditions qui suivront. A la fin de chaque entretien, les enquêteurs donnent au candidat un bref retour en l’encourageant à enrichir certaines de ses connaissances en vue des prochaines étapes.

L’accent est particulièrement mis sur les institutions politiques: «L’idée, explique Christophe Maillard, c’est qu’une fois naturalisée, la personne puisse exercer ses droits civiques de la manière la plus efficiente. On espère qu’elle va voter, donner son avis, s’engager. Pour le faire, elle doit être sensibilisée à notre système.» Toutefois, avec un taux de participation aux élections de 45,1% en 2019, on se rend compte que la vie politique suisse n’est pas au cœur des priorités de tous les citoyens. «Certaines questions me semblent décalées de la réalité, soulève Naïnice Ali-Bin. J’aime cuisiner le gâteau du Vully, mais je ne sais pas le nom du Parlement du canton de Fribourg. A partir de quel moment on peut parler d’intégration?»

Plus dur depuis 2018

Une question complexe à laquelle répond Christophe Maillard: «Comment évaluer différemment l’intégration de quelqu’un à une culture? Honnêtement, je n’ai pas la réponse. Ce que je sais en revanche, c’est que cet entretien permet d’évaluer ses connaissances mais aussi de constater que l’intéressé ne s’est pas ghettoïsé, qu’il s’est ouvert depuis son arrivée.» Après une dernière vérification, le dossier est transmis au Grand Conseil. C’est lui qui va déterminer si oui ou non le droit de cité cantonal, et donc la nationalité suisse, peuvent être accordés.

Les conditions de la naturalisation se sont durcies depuis le 1er janvier 2018. «Il faut laisser du temps à la nouvelle loi pour que l’on puisse évaluer ses effets», estime Christophe Maillard. «Toutefois, certaines règles nous semblent trop sévères. Un détenteur de permis C doit aujourd’hui être irréprochable, au point où une condamnation pénale pour excès de vitesse, inscrite au casier judiciaire, peut lui fermer les portes de la naturalisation.» Enfin, après une dizaine d’années sur le territoire, une langue maîtrisée, un intérêt pour l’histoire du pays et une conduite exemplaire, le Graal de la naturalisation peut être accordé. «Si un jour on oublie notre culture, heureusement que les étrangers seront là pour nous la rappeler», conclut Margaux Collaud.

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