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There’s no business like show business

L’article en ligne – Critique BD » Urban Indies édite un sympathique premier tome d’une série ayant pour ambition de parler de l’industrie de la BD américaine mais livre surtout un intéressant portrait familial.

Public Domain, paru aux éditions Urban Comics le 7 avril dernier. © Urban Comics
Public Domain, paru aux éditions Urban Comics le 7 avril dernier. © Urban Comics

Yvan Pierri

Publié le 08.05.2023

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Les super-héros ont envahi la culture populaire. Que ce soit dans les jeux-vidéos, à la télévision ou au cinéma, il est aujourd’hui impossible de ne pas entendre parler de héros masqués aux pouvoirs surhumains et aux combinaisons en spandex. Si aujourd’hui le super-héros est omniprésent dans presque toutes les formes de médias, c’est dans la bande dessinée américaine, les comic books plus communément appelé comics, qu’il a son origine.. De par l’ancienneté du médium, le monde a vu naître des centaines de personnages super héroïques issus de l’imagination d’auteurs le plus souvent affiliés aux deux figures de proue de la BD étatsunienne, à savoir les omnipotentes Marvel et DC comics.

C’est précisément de cette industrie dont Chip Zdarsky parle dans le premier tome de Public Domain qui conte l’histoire de Miles Dallas, journaliste un peu minable nourrissant une grande rancœur à l’endroit de la maison d’édition Singular. Miles estime que cette dernière a dépouillé son père dessinateur, Syd Dallas, des droits du super-héros The Domain qu’il a contribué à créer. Ce tome se concentre sur la relation compliquée que Miles entretient avec son frère et son père dans la foulée d’un événement qui pourrait bien rendre à Syd la paternité légale de son personnage…

Si Public Domain nous vient du monde des comics indépendants et dépeint des personnages fictifs, c’est un problème bien réel de l’industrie du Comic Book qu’il thématise. En effet, les grandes entités que sont Marvel et DC, représentées ici par Singular édition, se sont toujours systématiquement approprié les droits d’exploitation de leurs franchises, laissant bien des auteurs et dessinateurs sur le carreau. Ces derniers sont de fait souvent promis à la précarité une fois leurs contrats échus. Nombreux ont été les artistes ayant protesté contre ce traitement injuste mais force est de constater que la plupart ont fait comme Syd Dallas. Se résigner à voir sa création être utilisée à tort et à travers sans toucher le moindre centime de cette exploitation lucrative est malheureusement une norme. Un point de départ fort intéressant pour un comic dénué de spectaculaire et plus centré sur la satire de l’industrie de divertissement moderne. Satire manquant malheureusement d’un peu de subtilité tant elle enfonce les portes ouvertes (élite du show-business superficielles et narcissiques, PDG véreux, etc…) d’un sous-genre surreprésentés dans toutes les formes de médias narratifs. Cet aspect satirique, au demeurant sympathique, manque par conséquent d’originalité et n’est pas forcément aidé par une traduction parfois un peu hasardeuse de certains dialogues ce qui atténue encore le côté mordant de l’entreprise. Même constat pour un dessin et un découpage manquant de saveur, un peu trop épurés, abusant des flous numériques et se montrant trop sage quoique tout à fait fonctionnel.

Tout cela s’explique probablement par le fait que l’auteur soit plus intéressé à faire le portrait fort plus terre à terre d’une famille dysfonctionnelle. Car si Zdarsky n’a pas le mordant d’un Garth Ennis, il semble avoir en revanche toute la bienveillance du pauvre Syd Dallas, artiste sacrifié par le cynisme d’une industrie aliénante transformant la créativité et l’originalité en produits formatés et vidés de toute substance. C’est vraiment dans la construction de ces personnages ainsi que leurs relations que Zdarsky se montre vraiment à l’aise, n’hésitant pas à rendre ses protagonistes parfois franchement antipathiques, leur conférant une bonne dose d’authenticité. L’utilisation de la métatextualité est aussi fort intéressante car elle sert ici de base du récit et évite l’écueil de nombreuses productions contemporaines faisant du post-modernisme vide. En somme, Public Domain est un premier tome sympathique qui ne transcende rien mais qui montre néanmoins un potentiel certain pour devenir une série de qualité.


Titre: Public Domain tome 1
Scénario et dessin: Chip Zdarsky
Date de sortie: 7 avril 2023
Nombre de pages: 128

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