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Berner Rock? Non merci!

Comment le suisse allemand est-il utilisé dans les arts ou la politique? Focus sur la musique

Le Bärndütsch employé par Patent Ochsner, ici son chanteur Büne Huber en 2016 au festival Stars of Sounds à Morat, n’est pas du goût de tous… © Aldo Ellena
Le Bärndütsch employé par Patent Ochsner, ici son chanteur Büne Huber en 2016 au festival Stars of Sounds à Morat, n’est pas du goût de tous… © Aldo Ellena

Tania Buri

Publié le 06.01.2021

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Schwytzerdütsch (1/4) » Les journalistes Alain Croubalian de l’émission Vacarme sur la RTS et Tania Buri de Keystone-ATS décortiquent l’utilisation du suisse allemand dans différents univers artistiques, médiatiques et politiques. Cette semaine, la musique.

Depuis les années 70, beaucoup de groupes de rock suisses alémaniques ont abandonné l’anglais au profit du Bärndütsch, le dialecte aimé dans toute la Suisse alémanique. Mais il y a des poches de résistance, comme à Bienne. Le grand-père du rock biennois Hotcha, qui a fait les beaux jours de la Coupole de Bienne, et le rappeur StudeYeah! revendiquent la liberté de transgresser les codes et de choisir le dialecte qui leur plaît.

Pour Hotcha, 69 ans, «le rock bernois, c’est vraiment affreux! Patent Ochsner, ça fait mal. C’est un cliché, c’est lent. Mais des Suisses alémaniques aiment, pas les Romands», rigole le Biennois. Pourtant le bernois, le Bärndütsch, c’est le dialecte dans lequel on chante le rock en Suisse alémanique. «Cela a commencé dans les anciennes caves à charbon de la Vieille-Ville de Berne, transformées en petits théâtres. Influencés par des chansonniers français comme Georges Brassens, certains se sont dit: on va faire la même chose, mais en suisse allemand.»

Plus décontracté

Le plus connu, c’était Mani Matter, guitare, rythmique et moustache comme son modèle. Polo Hofer a suivi, la première star du rock outre-Sarine. D’autres groupes de rock sont venus dans son sillage comme Züri West ou Patent Ochsner, puis les rappeurs.

Hotcha apprécie le dialecte biennois, qu’il juge particulier: «Ce n’est ni du bernois, ni du soleurois, la mélodie est différente. Mais le magnifique vieux biennois, le Bielerdütsch, que parlaient les sociaux-démocrates et les syndicalistes à moustache des années 60, a disparu», constate-t-il.

En revanche, le chanteur ne supporte pas que l’on écrive en Mundart, en dialecte, sur les réseaux sociaux. «C’est typiquement des gens de 20 à 30 ans qui travaillent dans un magasin bio, qui trouvent ça cool.»

A Bienne, le rapport entre les langues est plus décontracté que dans d’autres villes suisses. Hotcha a travaillé un moment à Fribourg, où les Alémaniques sont en minorité. «Cela les rendait agressifs face aux Romands», avait-il constaté à l’époque. Le chanteur a appris le français à l’école. «J’avais un pote qui parlait français. Avant de le rencontrer, je parlais avec un accent alémanique très marqué. C’était rigolo pour moi de parler de cette manière, mais au bout d’un moment, j’ai remarqué que cela ne le faisait pas rire, alors j’ai mieux appris la langue.»

L’expérience du rappeur biennois Stude est différente. Il a d’abord écrit en anglais avant d’opter pour le suisse allemand. «J’étais en Afrique du Sud en 2005 et ma supérieure hiérarchique m’a offert un cahier de notes. Vide. Je ne savais pas quoi en faire. J’ai commencé à noter des mots d’anglais pour les apprendre.» Il vivait dans une famille et il s’ennuyait pendant les fêtes de famille. «Alors j’ai retourné le cahier et j’ai commencé à noter des idées de chansons.» En anglais d’abord. Après trois ou quatre semaines, le suisse allemand l’a comme flashé: «J’avais beaucoup plus de possibilités dans cette langue qu’avec mes quelques mots d’anglais.» Il reconnaît que si son anglais avait été meilleur, il n’aurait peut-être pas chanté en schwytzerdütsch. «Dans le hip-hop il y a encore plus de mots et c’est quand même cool de pouvoir se servir dans un large vocabulaire.»

Celle qu’il parle le mieux

«Mais bon ce n’est pas pour autant que je suis fier de cette langue. C’est juste celle que je parle le mieux. Et si j’ai décidé d’écrire des chansons en suisse allemand, c’est aussi à cause de ce que j’ai entendu enfant à la radio. Ça m’a tellement énervé! C’était chanté sans émotions, totalement insensible avec ce «KKKKKH». Au retour d’Afrique, j’avais honte de la musique alémanique: le rock bernois c’est HO-rrible! Je me rappelle Miro du groupe biennois Puts Marie, il me disait: «Il faut juste que ça sonne bien.» Et ça, on peut le faire… dans toutes les langues.»

Pour Stude, bien sonner signifie qu’«à la place de dire Churchichäschtli, tu peux choisir un autre mot qui sonne plus smooth. On a joué à Berne aussi. Et eux ils sont tellement fiers de leur hip-hop, de leurs musiciens bernois. Ce n’est pas comme cela à Bienne. Ici tout est mélangé: le français, l’anglais, le faux anglais, le dialecte, c’est égal. Les Biennois ne sont pas fiers de leur dialecte. C’est égal.»

Stude ne regarde du côté ni de Zurich, ni de Berne. Il ne s’inspire que de la musique black «même si je suis Blanc. J’aime ça, j’écoute ça et cela m’influence bien plus que le dialecte biennois. La chose principale c’est la musique. Même si on me dit que je fais de bons textes. Mais en fait on ne veut pas faire de textes. On fait juste de la musique, mais pas en Hochdeutsch: aucune chance.» ATS

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