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Comment se dire vraiment «adieu»?

Interview > Pourquoi certains divorcés s’écharpent-ils encore dix ans après ? Peut-on bien se séparer amoureusement ? Risque-t-on de s’effondrer ? Jean Van Hemelrijck, psychologue et psychothérapeute spécialiste du couple, montre qu’on s’invente une façon originale d’éviter ce bouleversement: la «malséparation».

Pourquoi certains couples mettent-ils tant de temps, des années parfois, avant de se séparer vraiment? © DR
Pourquoi certains couples mettent-ils tant de temps, des années parfois, avant de se séparer vraiment? © DR
Rompre, ça n’est pas seulement se séparer, affirme le psychothérapeute Jean Van Hemelrijk. © DR
Rompre, ça n’est pas seulement se séparer, affirme le psychothérapeute Jean Van Hemelrijk. © DR

Véronique Châtel

Publié le 16.08.2016

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Société » Pourquoi certains couples mettent-ils tant de temps, des années parfois, avant de se séparer vraiment? Ils ont rompu, ne partagent plus le quotidien, ont convenu qu’il n’y avait plus d’amour entre eux ni d’avenir commun, pourtant ils n’arrivent pas à mettre un point final à leur histoire conjugale. Leur divorce patine. Passe d’avocat en avocat. Ereinte leurs comptes en banque. Abîme leurs enfants. Epuise leurs proches. En bref, ils s’enlisent dans ce que le psychothérapeute belge spécialiste du couple Jean Van Hemelrijk appelle une malséparation.

Pour éviter aux couples en désamour de se confronter à des dénouements sans fin et tellement toxiques pour les enfants qui en sont les témoins, il publie un livre qui décortique le processus de la séparation. Et apporte des clés pour rompre proprement.

- Pourquoi tant de couples qui rompent se séparent-ils si mal?

Jean Van Hemelrijk: Pour certaines personnes, le départ de l’autre représente un tel danger psychique, un tel risque d’effondrement personnel, que plutôt que de s’y confronter, ils remplacent l’amour par la haine et les caresses par les griffes. C’est comme si les conjoints décidaient de s’entendre sur le fait de ne pas s’entendre car, ce faisant, ils perpétuent le lien entre eux.

- Comment se séparer le mieux possible?

Il n’y a pas de bonne séparation. Se séparer, c’est se confronter à la perte et à l’amputation d’une part de soi. C’est donc forcément douloureux. On le sait car on en fait l’expérience très tôt, dès notre naissance: la vie est une succession de séparations. Et plus on avance en âge, plus on fraie avec la perte. A commencer par celle de soi-même. On change, on s’use, le temps nous transforme.

On ne peut pas échapper à l’expérience du deuil et du renoncement. Mais on peut apprendre à perdre. L’autre n’est plus là, mais il peut trouver sa place dans notre espace psychique. Ainsi, à certains moments, je pourrai le convoquer dans ma tête. Penser à lui me fera du bien et restaurera notre lien.

- Avec un ex-partenaire ­amoureux, il faudrait procéder de la même manière, alors?

Exactement. Ce n’est pas parce qu’on se sépare qu’il faut renier l’amour qui a été. Ce qui a existé doit trouver sa place dans la mémoire respective des conjoints. Cela fait partie de leur histoire et constitue leur richesse. Il n’y a rien de plus nocif pour des individus qui se séparent que de se dire qu’ils se sont trompés, qu’ils ont aimé pour rien, qu’ils ont vécu dans un leurre. Ce faisant, ils se nient, et du même coup nient les enfants qui peuvent être issus de cette union.

- Les rancœurs qui remontent et sont soudain déballées ne favorisent pas le fait de pactiser avec le passé…

L’étape des rancœurs est inévitable… et normale si l’on considère que vivre ensemble suppose des accommodements constants! Le sentiment amoureux permet de les supporter et de ravaler les déceptions. On n’apprécie jamais tout de l’autre, mais on ne le dit pas parce que ce qu’on aime de lui est plus important. En revanche, au moment où l’autre s’en va, tous ces désagréments reviennent en mémoire comme autant de preuves que l’autre n’était pas digne de l’amour qu’on lui portait. On revisite son histoire, on fait l’inventaire des désagréments qu’on a enfouis et la colère explose. Mais la colère est salutaire.

- Vous évoquez les dégâts des malséparations pour les enfants. Plutôt qu’à bien se séparer, faudrait-il plutôt apprendre à ne pas se séparer?

Pas du tout. Je suis pour la pratique du ski, mais il faut que les gens sachent qu’ils peuvent se casser une jambe! La rupture est souvent inévitable. J’en distingue trois:

- la rupture par usure qui arrive aux couples qui ont imaginé que parce qu’ils s’aimaient, ils s’aimeraient toujours et qui se sont endormis sur leurs certitudes. Or, le mode d’emploi relationnel d’un couple n’est jamais définitif. Il est amené à s’ajuster aux partenaires et à leur évolution personnelle.

- il y a la rupture par déconfiture. On découvre que l’autre n’est pas celui que l’on croyait et cela vient remettre en question notre compréhension du couple et de nous-mêmes.

- enfin, il y a la rupture par brisure. On apprend que l’autre a menti ou trahi et cela fait voler en éclats le lien particulier qu’on avait avec lui. Quelle que soit la nature de ces ruptures, il faut qu’elles se concrétisent par une véritable séparation.

- Comment se séparer vraiment?

A force d’être ramenée à une procédure purement administrative, la rupture amoureuse s’est banalisée. On a oublié qu’elle constituait un drame psychique pour soi avec des répercussions pour les enfants. Quand on se sépare, on ne peut pas faire l’économie de la déconstruction de ce qui a été: il faut prendre le temps de se parler. Mais on peut choisir de dire à l’autre ce qui lui permettra de se reconstruire et ne pas lui balancer des accusations agressives ou des insultes stériles.

Lecture => Jean Van Hemelrijk, «La Malséparation – Pourquoi on n’est pas séparés alors qu’on n’est plus ensemble», Ed. Payot, 192 pp.

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