La Liberté

La gastronomie sans alcool

Après les pays anglo-saxons, la France se met aux expériences culinaires de haut vol non alcoolisées

Des cocktails avec moins ou sans alcool. © Adobe Stock/Photo prétexte
Des cocktails avec moins ou sans alcool. © Adobe Stock/Photo prétexte

Olga Nedbaeva

Publié le 09.01.2023

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Tendance » Etes-vous en plein Dry January, chargé de conduire, femme enceinte ou tout simplement curieux? Après les pays anglo-saxons et scandinaves, la France multiplie à son tour les expériences gastronomiques non alcoolisées, dignes des grands vins.

Du champagne rosé zéro alcool servi dans une boutique de lingerie de luxe à Paris, des cocktails «vierges» élaborés pour le lancement de restaurants et hôtels branchés: la tendance «nolo» des boissons sans alcool («no») ou avec peu d’alcool («low») gagne du terrain jusque dans les restaurants étoilés. «C’est une tendance qui est en train de grossir en France après les pays anglo-saxons, qui ont toujours un temps d’avance sur nous», dit Yann Daniel, mixologue du groupe Alchimiste. Cet automne, il a élaboré une gamme de cocktails légers en travaillant «épices, herbes, racines et thés» pour l’hôtel de la chaîne australienne Tribe à Paris.

Avec plus de 20 ans d’expérience au bar de palaces, il avoue avoir été «assez dubitatif» dans un premier temps, mais «on s’aperçoit qu’avec ces cocktails-là, les gens profitent plus, apprécient et recommandent».

L’autre mixologue d’Alchimiste, Matthias Giroud, a publié en octobre le livre No Low (Ed. Gründ) avec 60 recettes de cocktails. Une démarche saluée dans la préface par le chef multiétoilé Pierre Gagnaire pour sa «véritable créativité sur des territoires vierges» qui permet de se faire plaisir «sans se priver d’un deuxième verre».

«On va plus loin»

Chez David Toutain, deux étoiles au Guide Michelin, on démarre le repas avec une boisson effervescente à base de bergamote et de sarrasin. Le homard est servi avec une infusion aux bourgeons de sapin, le jus de pomme au vinaigre de fenouil accompagnera l’anguille, le nectar betterave-carotte le pigeon… «Cela m’a pris des années pour mettre tout cela en place», raconte le chef, qui propose depuis novembre des accords avec des boissons sans alcool aux côtés de ceux avec des vins. «On va plus loin dans l’expérience», assure-t-il. «Un vigneron ne va pas faire un vin pour accompagner un plat. Le sommelier le choisit par rapport à son palais. Ici, c’est mon univers.»

Hélène Pietrini, directrice du classement gastronomique La Liste, confie «adorer» les accords sans alcool, «une façon de déguster venue de l’étranger», qui «change complètement le profil aromatique des plats et décuple les moyens de s’exprimer». Dans la haute gastronomie française, c’est la cheffe la plus étoilée au monde Anne-Sophie Pic et sa sommelière, l’Argentine Paz Levinson, qui furent pionnières du «nolo».

«Quand j’étais enceinte, c’était angoissant d’aller au restaurant et rester à l’eau toute la soirée. Je voulais créer quelque chose d’exceptionnel» pour que tous les clients qui ne boivent pas d’alcool puissent profiter de leur «vie sociale», a raconté Paz Levinson. «Aujourd’hui, cela talonne un peu. Tout le monde s’y met», dit Anne-Sophie Pic. Dans son restaurant triplement étoilé à Valence, du café brésilien tiède infusé est servi dans un grand verre à vin pour accompagner un filet de chevreuil.

Le vin menacé

Face à «la frustration» de clients qui ne trouvent que des boissons non alcoolisées venant de la grande distribution dans la carte des restaurants, le sommelier Benoît d’Onofrio a élaboré des accords sans alcool pour le restaurant éphémère de la cheffe Manon Fleury en s’inspirant des techniques des vignerons (macération, extraction d’arômes). «A écouter les retours, je suis conforté dans l’idée que le «nolo» a de beaux jours devant lui.»

Le chef triplement étoilé Guy Savoy pense que cette tendance est légitime dans les pays qui ne produisent pas de vins et doivent s’adapter, mais pas en France. «Dans le premier pays des grands vins, je ne juge pas, mais je n’adhère pas.» Le critique gastronomique allemand Jörg Zipprick, cofondateur de La Liste, estime que le discours sanitaire tend vers «le diable alcool», ce qui va décourager la consommation du vin. David Toutain, lui, dédramatise. «On est amoureux du vin, du champagne et on le revendique. On propose juste une fenêtre de tir différente.» ATS/AFP

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