La Liberté

«Marie, cette révolutionnaire!»

Bible au féminin • Pour l’écrivain Marek Halter, Marie a joué un rôle capital dans le devenir de Jésus. Elle a été «une Rosa Luxemburg de son temps!» Rencontre à Paris.

Vierge Marie, détail du retable de «L'Agneau mystique», Hubert et Jan van Eyck, cathédrale Saint-Bavon de Gand. © DR
Vierge Marie, détail du retable de «L'Agneau mystique», Hubert et Jan van Eyck, cathédrale Saint-Bavon de Gand. © DR

Gabrielle Desarzens

Publié le 19.12.2015

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Marek Halter, 79 ans, vient de terminer une trilogie sur les femmes de l’islam. Auparavant, il avait rédigé «La Bible au féminin», et dressé le portrait de Sarah, femme d’Abraham, de Tsippora, femme de Moïse, de Lilah, sœur d’Esdras, puis de Marie. Cette dernière a la particularité d’être présente dans les trois religions monothéistes, rappelle-t-il dans son atelier du IIIe arrondissement de Paris.

Marie est une icône de douceur chez les peintres, un symbole de maternité, voire un modèle de soumission... «C’est pour cela qu’elle plaît tellement aux auteurs du Coran. On y parle d’ailleurs plus de Marie que dans les Evangiles, souligne Marek Halter. Or c’était une révolutionnaire, une Rosa Luxemburg de son temps!»

L’impulsion de Marie

La madone que le romancier dépeint dans son livre «Marie» est une femme cultivée, qui a étudié la philosophie, la politique, la langue grecque. Et une mère juive par excellence, «un peu comme la conçoit Woody Allen: toujours là, présente au-delà de l’acceptable, qui veut gérer le présent et l’avenir de ses enfants... Marie était comme ça!»

Et cette mère croit que son fils est celui que tous attendent: «Elle croit en lui, alors que lui-même doute encore.» Et elle l’oblige à devenir le Christ: «Une scène que j’ai mise presque au centre de mon livre à son sujet, ce sont les noces de Cana. C’est le premier grand miracle du Christ. Mais comment s’effectue-t-il? Il faut lire les textes!»

Et Marek Halter de raconter que Marie s’engage dans ce mariage. On y danse, on y chante... «C’est un mariage juif! A un moment donné, il n’y a plus de vin. Marie s’approche alors de son fils et le lui dit. Lui comprend tout de suite ce qu’elle veut. Il répond: «Femme, mon heure n’est pas encore venue.» Comprenez: il pense que ce n’est pas encore le moment de révéler ses dons. Car face à la police romaine, il y a comme la milice de Vichy, soit les Sadducéens du temple qui collaborent et qui ne supporteraient pas un homme qui promet un nouveau royaume, un nouveau système... Jésus sait que s’il se dévoile, il se condamne à mort. Mais sa mère le piège: elle fait amener des jarres pleines d’eau... que son fils transforme en vin. Avec cet acte, il devient le Christ et tout le monde le suit.»

Pour Marek Halter, c’est donc Marie qui transforme ainsi le monde. «Et elle sait ce qu’elle fait. Pas de christianisme sans elle!»

La fierté d’une mère

Dans son ouvrage sur Marie, le romancier évoque «la faute de l’impatience à Cana». Et lui fait dire, en citant un certain «Evangile de Marie» qu’il raconte avoir retrouvé à Varsovie: «Que l’Eternel Seigneur pardonne la fierté d’une mère. Celle qui a donné naissance à Yechoua (ndlr: Jésus), celle qui l’a révélé au monde et l’a gardé en vie. Pour toujours.»

Marek Halter salue la ténacité de cette femme qui, comme une Sarah ou une Khadija, première femme du prophète Mahomet, «nous parle de nous», nous renseigne sur notre propre identité. Il dresse d’ailleurs le portrait de ces femmes des trois traditions monothéistes comme autant d’outils pour une meilleure compréhension réciproque. Et montre que le monde peut changer, s’émanciper, si la femme, à l’intérieur de sa propre société, parvient à se libérer et à s’affirmer.

> Marek Halter sera l’invité de l’émission «A vue d’esprit» sur RTS Espace 2, du 21 au 25 décembre, à 16 h 30.

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Le dialogue interreligieux, contre la haine

Homme de lettres engagé, Marek Halter ne cesse de favoriser le dialogue interreligieux. A propos des attentats de Paris, il fustige les terroristes musulmans qui «blasphèment» selon lui contre leur propre religion: «L’islam ne demande pas de se faire sauter en tuant des innocents. J’ai lu le Coran à dix reprises: pas un mot là-dessus. Ce sont des ignorants; et l’ignorance est la base de la haine.» Pour l’écrivain, Dieu veut avant tout que les hommes vivent en paix. Il rappelle à ce propos les deux mots le plus souvent mentionnés dans l’Ancien Testament. D’abord «za’hor», répété 168 fois en hébreu, qui signifie «souviens-toi». «C’est-à-dire qu’un homme qui avance doit se souvenir de toutes les fautes de ses ancêtres pour ne pas les répéter», commente-t-il. Ensuite «shalom», «la paix», cité 154 fois. Dans son atelier parisien, des œuvres de sa femme, l’artiste Clara Halter, présentent ce mot «shalom-salam» calligraphié en plusieurs langues différentes.

Les terroristes d’aujourd’hui veulent-ils provoquer une guerre de religion? «Sur ce terrain, les islamistes radicaux de Daech pensent pouvoir gagner. En nous provoquant. Si nous, chrétiens ou juifs, nous réagissons aux attaques et aux assassinats perpétrés au nom d’Allah - cela s’est fait quand on a tagué des mosquées et quand des tentes de réfugiés syriens ont été brûlées -, les 7 millions de musulmans de France finiront par se sentir menacés. Ils deviendront alors un vivier extraordinaire pour les terroristes de demain. La question est d’importance! Elle dépend aussi de nous.» GD

> Marek Halter, série «La Bible au féminin»: «Sarah» (2003), «Tsippora» (2004), «Lilah» (2005) et «Marie» (2006). Série «Les femmes de l’islam»: «Khadija» (2014), «Fatima» (2015), «Aicha» (2015). Editions Robert Laffont.

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Repères

Marie dans les Ecritures

> Marie de Nazareth, appelée aussi Sainte Vierge, Notre Dame ou encore Mère de l’Eglise, tient une grande place dans la foi et la piété des chrétiens, mais n’apparaît que discrètement dans les récits évangéliques. Elle intervient essentiellement dans les scènes de l’Annonciation, de la Visitation, de la Nativité, des Noces de Cana et de la Crucifixion. Marie n’est évoquée que dans une vingtaine de textes du Nouveau Testament. Les récits apocryphes, notamment le «Protévangile de Jacques», «La Nativité de Marie» et «La Dormition de Marie», racontent davantage d’épisodes de sa vie. Les artistes s’en sont abondamment inspirés.

> La dévotion à Marie est largement partagée par les Eglises chrétiennes. Sa reconnaissance comme «Mère de Dieu» - le Christ étant à la fois homme et Dieu dans l’unité de sa personne -, remonte au concile d’Ephèse, en l’an 431.

> Des divergences de doctrine existent toutefois en ce qui concerne la Vierge. Les protestants ne reconnaissent pas le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, défini en 1854 par le pape Pie IX et célébré le 8 décembre. Ni celui de l’Assomption, proclamé en 1950 par le pape Pie XII, qui veut que Marie ait été élevée au ciel par Dieu après sa mort. Les orthodoxes parlent pour leur part de «Dormition» de Marie, refusant d’en faire un dogme.

> Dans l’islam, Marie est également très respectée. Elle a droit à un «chapitre» du Coran, la Sourate 19, intitulée «Maryam». Dans la tradition musulmane, elle est la mère d’Isa (Jésus) et considérée comme vierge. Le Coran et les traditions prophétiques la décrivent comme la meilleure femme de tous les temps: «(Rappelle-toi) quand les Anges dirent: ô Marie, certes Allah t’a élue au-dessus des femmes des mondes» (Sourate 3,42). Marie est mentionnée une trentaine de fois dans le Coran. PFY

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