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Judith

La chronique de Florence Hügi • Judith Butler n’est guère une égérie… En fait, elle est une scientifique. Rigoureuse, créatrice de débats inédits, tout ce qui produit de la pensée: ce qu’on attend d’une penseuse, non?

Publié le 19.11.2014

Temps de lecture estimé : 3 minutes

La chroniqueuse que je suis s’était fait une promesse: ne plus évoquer la Manif pour tous. Trop lointaine, trop française, pas assez de chez nous. Bien d’autres sujets méritaient d’être traités ici, alors les ex-copains de Frigide Barjot, la snobinarde parisienne devenue sans-abri pour la frime ou de Farida Belghoul, l’ancienne militante de SOS Racisme reconvertie en pasionaria de l’école propre (la journée de retrait de l’école et la rumeur qui dit que la «théorie du genre» veut apprendre aux enfants à se masturber à l’école, c’est elle), au panier!

Et c’est pile à ce moment-là que le débat traverse la frontière, que la mouvance catholique de droite gagne les rives de la Sarine, que l’Université de Fribourg devient la cible de la vindicte et que Judith Butler, bien malgré elle, ramène le sujet sur nos propres paillassons. Et que «Salon beige» et «Veilleurs suisses», très proches cousins de la Manif pour tous, se répandent comme de l’eau de vaisselle malencontreusement échappée de son égouttoir. Et sèment la haine de l’autre, pendant que la philosophe américaine évoque la non-violence, un autre de ses thèmes de prédilection.

Monde noir-blanc, méchants-gentils? L’équation serait-elle si simpliste? Peut-être pas. Reste qu’un côté veut faire taire l’autre, lui faire mordre la poussière, l’éradiquer. Judith Butler, symbole féministe, serait «soupçonnée d’être une égérie» du genre? Voyons: «Egérie»: femme inspiratrice pour le Larousse, muse pour d’autres. Sourire. Assurément, Judith Butler n’est guère une égérie… En fait, elle est une scientifique. Rigoureuse, créatrice de débats inédits, tout ce qui produit de la pensée: ce qu’on attend d’une penseuse, non?

Hésitation. Faut-il évoquer la résistance acharnée d’une frange d’irréductibles qui ne veut pas admettre que l’Université se doit être à l’écoute des mouvements de la société et que les Etudes genre sont une discipline académique? Faut-il pourfendre les intégrismes de tous poils qui oublient que depuis le coup de la pomme, il y a eu l’abandon de la ceinture de chasteté et l’arrivée, encore un peu chaotique, du partage des tâches ménagères?

Malaise. Peut-être faut-il entendre ce que cette hypothétique «théorie du genre» charriant ses kilomètres de rumeurs et de craintes diffuses dit de nous. De notre société. En quoi le fait de doter les filles et les garçons de chances équivalentes est-il si dérangeant? En quoi le fait de remettre en question les catégories de sexe, ce que fait Judith Butler, est-il si problématique? De quelle manière ça bouscule nos croyances, nos valeurs, notre éducation. Et le système de domination en place. Comme une camisole de force qu’on préfère conserver. Et si, sans ce carcan, il fallait se mettre à réfléchir par nous-mêmes?

Florence Hügi

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