La Liberté

Et le «fruit paradisiaque» fut goûté

Et le «fruit paradisiaque» fut goûté
Et le «fruit paradisiaque» fut goûté
Publié le 22.02.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion » Quoi? Acheter des signatures pour un référendum? Payer une société qui fournit des cueilleurs de paraphes parfois peu sérieux, comme ceux qui appâtaient le citoyen en transformant le référendum contre le congé-paternité en plaidoyer pour celui-ci? En Bourgogne, au cimetière de l’abbaye bénédictine de Sainte-Marie de La Pierre-qui-Vire, Dom Nicolas doit se retourner dans sa tombe. Dom Nicolas? Le conseiller d’Etat Ernest Perrier qui, il y a cent ans, pilota la réforme accordant enfin des droits populaires aux Fribourgeois, dont un droit de référendum si entravé qu’il avait tout d’une arme de dissuasion massive.

Pilier droit du régime conservateur, conseiller d’Etat dès 1916, conseiller national à partir de 1919, intellectuel en vue, Ernest Perrier crée la stupéfaction, en 1932, en abandonnant sans délai ses mandats pour entrer en religion. Une «réponse magnanime à l’appel de Dieu», assura alors La Liberté. Une réponse pusillanime aux cris de ses créanciers, affirment les historiens: l’homme, certes très croyant, était menacé de faire lourdement cupesse. Loin des contingences matérielles de ce bas monde, il devint prêtre en son monastère français où il décéda en 1958.

Son héritage public comporte donc ces droits populaires tardivement octroyés aux Fribourgeois par une révision constitutionnelle dont le principe est accepté en 1920. Mais ces concessions faites au peuple sentent le devoir – le canton est très en retard en ce domaine – davantage que la conviction. Les règles d’application dressent des obstacles de taille. L’élection du Grand Conseil au système proportionnel est flanquée d’un quorum de 15% qui tue dans l’œuf les espoirs des minoritaires (il faudra un arrêt du Tribunal fédéral, en 1962, pour que la haie soit abaissée). Quant au droit de référendum, il requiert 6000 signatures. Ce nombre, toujours en vigueur, représentait alors 18% des électeurs inscrits! C’est comme si l’on exigeait, aujourd’hui, 37 000 signatures pour un référendum cantonal…

Pire, le Conseil d’Etat préconise un mode de récolte des signatures obligeant les citoyens à se rendre dans un bureau ouvert «au moins deux heures par quinzaine», sous l’œil de représentants de l’autorité communale. Une majorité du Grand Conseil se cabre sous l’impulsion des radicaux. Il suffira finalement que le citoyen signe un bulletin individuel et l’apporte au secrétariat communal pour authentification par un élu ou le secrétaire…

Le premier référendum cantonal est lancé contre la loi sur la chasse de 1927, qui prévoit des chasses affermées pour alimenter des caisses communales exsangues. Les entraves n’empêchent pas la récolte de 13 000 signatures. Dans les urnes, plus de 80% des votants rejettent la loi et, avec elle, «le fantôme des seigneurs féodaux qui essaya de reprendre pied chez nous sous la forme du chasseur privilégié» (La Gruyère).

Ainsi les Fribourgeois ont-ils goûté à «la saveur du fruit paradisiaque que doit être, en démocratie, le référendum cantonal», selon l’image de Léon Savary dans La Tribune de Genève. Ils en redemandèrent dès lors, mais à la fribourgeoise: avec modération.

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11