La Liberté

Le «dèmos», fossoyeur de la démocratie?

Gilbert Casasus

Publié le 09.10.2018

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Comment ne pas s’imaginer les réactions ulcérées des lecteurs de cet article? Comment ne pas partager leur émoi face à des attaques par lesquelles ils se sentiront directement visés? Suffisance, arrogance, mépris, voilà les mots qui ne leur manqueront pas pour qualifier le contenu d’une chronique qui n’aurait pour seul objet que de les blesser. Rédigée de surcroît par un professeur d’université, un nanti du système, un privilégié de la société, elle sera perçue sous son aspect le plus vil, sinon comme le pamphlet d’un donneur de leçons qui confondrait son rôle d’enseignant avec celui d’un prêcheur de la bonne parole.

Pourtant n’est-ce pas aussi le devoir de l’historien et du politologue que de se pencher au chevet d’un monde où le dèmos se transformerait en fossoyeur de la démocratie? A l’exception de putschs militaires, les dictatures sont toujours nées avec le soutien du peuple. Bien que dirigées contre ses intérêts, elles ne pouvaient perdurer sans son appui. Ce fut le cas à l’heure du fascisme, du nazisme, mais aussi du communisme. Chaque régime totalitaire a besoin du peuple, d’être admiré par lui, surtout par le petit peuple. De celui qui est ou se dit victime de l’autre, parfois du plus faible, mais aussi de l’étranger, souvent plus fort que lui-même. C’est dans les rangs du petit peuple que la Gestapo trouvait ses plus fins limiers, c’est dans ce même petit peuple que la Stasi en RDA recrutait ses meilleurs agents.

En ce XXIe siècle, le petit peuple n’a pas retenu la moindre leçon de l’histoire. Il plébiscite les partis qui, drapés du qualificatif de «populistes», se réclament eux-mêmes du peuple. Emanation d’une idéologie d’extrême droite, ceux-ci ne sont que l’expression d’une volonté d’un petit peuple qui, privé d’une conscience de classe enfouie sous les décombres de la pensée marxiste, préfère s’en remettre à celles et ceux qui le représentent dans ce qu’il a de plus malfaisant et de plus répréhensible.

Revient alors en mémoire la citation de Bertolt Brecht pour qui, «puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple». Adage peut-être valable de son vivant, il ne l’est plus de nos jours. Impossible à dissoudre, le peuple veut prendre sa revanche contre les puissants, alors qu’il mine la démocratie qui seule lui permet de s’émanciper. Le glas de la compassion a sonné. Le petit peuple ne mérite pas la moindre excuse. Il est responsable de ses actes et n’a pas le droit de se réfugier dans une posture de victime qu’il désire tant épouser. Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la lutte des classes, mais à celle des valeurs communes à tous les citoyens qui, venus d’horizons différents et parfois porteurs de revendications contradictoires, se réunissent sous la bannière pour la défense et la sauvegarde des droits fondamentaux. Tel est désormais l’enjeu du combat politique dans les sociétés occidentales et européennes. Pas sûr qu’il soit gagné d’avance!

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