La Liberté

Libra ou le réveil des banques centrales

Paul Dembinski est le directeur de l'Observatoire de la finance et professeur à l'Université de Fribourg
Paul Dembinski est le directeur de l'Observatoire de la finance et professeur à l'Université de Fribourg

Paul Dembinski

Publié le 10.07.2019

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion » Le projet libra – future cryptomonnaie annoncée par Facebook – décoiffe parce qu’il ne cache pas son ambition de braconner dans toutes les chasses gardées du système monétaro-financier global. Même si le document parle de «devise» (monnaie étrangère) et non de monnaie, l’ambition du libra est bien de devenir une unité de paiement concurrentielle aux monnaies nationales sur leurs territoires respectifs. Le monopole de l’émission monétaire de la banque centrale est mis en cause. Même s’il n’est pas attaqué frontalement, il est menacé dans son fondement, et potentiellement à terme renvoyé au magasin des accessoires. Sans utiliser le terme, le libra se présente comme la monnaie supranationale foncièrement anarchique, affranchie de toute emprise d’un ordre monétaire hiérarchique. Pourtant, et ce n’est pas son seul paradoxe, c’est sur les marges de liberté (ou fissures) de cet ordre que le libra prend appui pour le défier.

Il entend aussi braconner sur les terres des intermédiaires, notamment des transferts internationaux, plus particulièrement des microtransferts des migrants vers les pays d’origine, dont les tarifs usuraires sont dénoncés depuis longtemps par les organisations de développement, et depuis une dizaine d’années aussi par la Banque mondiale. Libra annonce des tarifs insignifiants qui tranchent avec des commissions qui dépassent aujourd’hui souvent 10%. Du fait des choix technologiques (blockchain), le libra promet de conjuguer la facilité de paiement d’une carte de crédit, avec les commissions minimales, et l’effacement de l’intermédiaire gestionnaire du compte, puisque le paiement se ferait directement de l’acheteur au vendeur

Il se présente comme une réserve de valeur ou de pouvoir d’achat, dont la valeur serait pleinement couverte par des réserves constituées par un panier des actifs financiers peu risqués diversifiés au niveau global. Ainsi, la valeur de l’unité ne serait que marginalement exposée aux risques de crises monétaires ou financières locales. La promesse est séduisante: une unité de valeur pérenne, globalement transférable, quasiment sans coûts. Même si le pari du libra n’est pas (encore) gagné, ni du point de vue technologique ni des régulateurs qui auront sans doute leur mot à dire, le coup de semonce est puissant. Les banques centrales et de détail et systèmes de paiements doivent se réinventer sous peine de disparaître à terme.

Pour marquer leur territoire, les banques centrales – y compris la BNS – devraient rapidement mettre à disposition des monnaies nationales sous forme digitale. Les technologies existent, mais les décisions de principe tardent. Dans un second temps, au niveau international, ces mêmes technologies pourraient servir à faire des DTS (droits de tirage spéciaux) digitaux à disposition du public. Ainsi l’unité de compte et moyen de réserve créée par le FMI en 1969 pourrait devenir une unité de portée globale, accessible au public. Cela nécessite la coopération des acteurs publics, mais aurait le bénéfice de la légitimité politique qui fera toujours défaut au libra et à ses pairs, même s’ils ont un jour des milliards d’utilisateurs.

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