La Liberté

Soyons réalistes, demandons l’impossible!

Gilbert Casasus

Publié le 22.11.2017

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion

Le président Macron s’est récemment prononcé pour la commémoration des événements de 1968. Il fallait s’y attendre. Saluée à gauche, cette idée fut immédiatement condamnée à droite. Au-delà de la polémique que ces cérémonies ne manqueront pas de susciter, c’est leur forme qui témoignera du message que le président français aura choisi de transmettre. A ne déposer qu’une gerbe devant la «tombe de l’étudiant inconnu», à ne se souvenir que des manifestations sur les campus de Berlin, de Berkeley ou de ceux du Quartier latin, voire à retrouver la nostalgie des pavés parisiens sous lesquels, selon le slogan de l’époque, il y avait la plage, rien ne serait plus kitsch que de sombrer dans un mémoriel à la gloire des «vieux combattants de 1968»!

La célébration de ce jubilé n’aura de sens que si elle permet de nous projeter dans le présent et dans l’avenir. Source de maints défauts que leurs pourfendeurs n’ont cessé de dénoncer à tort ou à raison, les révoltes étudiantes restent liées aux deux termes complémentaires que furent la libération et la démocratisation. Si le premier d’entre eux concernait surtout la contraception, la sexualité ou l’égalité homme-femme, le second a remis en cause les structures hiérarchiques et poussiéreuses de quelques institutions, voire permis de réformer leur mode de gestion. Sans nul doute, l’université compte parmi les plus grands bénéficiaires de cette démocratisation. Celle-ci a ouvert la voie à la cogestion et plus encore permis à des millions de jeunes d’entreprendre des études.

Issus des dites «classes moyennes», ils ont profité des avantages d’une université dont les portes d’accès ne furent, naguère, que réservées aux élites et aux plus favorisés. Depuis lors, le monde académique appartiendrait à tous. Néanmoins, le conditionnel pourrait être de rigueur, tant la marchandisation des études risque désormais de menacer l’essence même de l’enseignement supérieur.

Absorbée à ses dépens par l’idéologie dominante, l’université européenne n’a que trop épousé le modèle anglo-saxon pour démissionner, petit à petit, face à une commercialisation sans pareille. Bien que nécessaire et souhaitable pour garantir l’équivalence des diplômes, la «réforme de Bologne» fut le premier pas de cette soumission intellectuelle. En lieu et place de notes, l’étudiant reçoit désormais des crédits, pour mieux les placer et les gérer dans ses modules. Pire encore, on ne lui demande que de se concentrer sur les processus d’acquisition du savoir, et non plus sur le savoir lui-même.

Reléguée ainsi au simple rang de produit, la connaissance n’est alors qu’une matière subalterne d’un modèle économique qui, pour toute légitimité, n’a ni celle du cœur, ni celle de la raison. Quant à l’esprit critique, n’en parlons même pas! Ou peut-être que si; parce que cinquante ans après, ce même esprit critique devrait donner l’envie à chaque Européen d’ôter son bâillon pour clamer haut et fort: «Soyons réalistes, demandons l’impossible»!

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