Une seule misérable journée de congé paternité et l'obligation de servir son pays en jouant au boy scout le temps du service militaire : ces deux points résument le décalage, au niveau légal, entre les hommes et les femmes, du moins pour la partie en défaveur des premiers. Car si les inégalités frappant les femmes, au demeurant bien réelles, profitent d'un militantisme féministe déjà institutionnalisé à travers les divers Bureaux pour l'égalité hommes-femmes, celles frappant les hommes sont largement ignorées et par le public, et par l'Etat - le rejet par le parlement de l'initiative populaire "Pour un congé partenité raisonnable" l'illustre bien. Ces éléments posent les bases d'un discours victimisant que, frères masculins, vous êtes invités à servir à votre compagne lorsqu'elle vous demande humblement de participer financièrement à l'achat de la pilule magique. Poursuivez en piochant parmi les arguments ci-dessous, gorgés d'une dose variable de mauvaise foi, et, avec un peu de chance, vous pourrez épargner ce fardeau supplémentaire à votre budget mensuel.

"C'est toujours moi qui achète les préservatifs!"

Qu'elle le reconnaisse : Madame n'est jamais allée de bon coeur acheter ces miraculeux bouts de plastique rose à la Coop de la gare. Il faut dire qu'elle est un peu gênée, au moment de passer à la caisse, de croiser le regard jaloux de la caissière, car le choix de ce curieux article est révélateur évident d'une sexualité épanouie - "N'est-ce pas qu'elle est épanouie notre sexualité, chérie?" Vous, de votre côté, c'est avec la fierté virile d'un Christophe Colomb découvrant l'Amérique, d'un Jules César conquérant la Gaule, d'un Neil Armstrong marchant le premier sur la Lune, que vous posez la boîte de préservatifs Prix Garantie devant la caissière - parfois même sans vous embarrasser de l'alibi des chewings-gums Stimorol. Oui, Madame la caissière, moi, je fais l'amour! Et de toiser les autres clients d'un air mi-triomphant, mi-compatissant à l'idée que eux, ils n'ont pas les bras aimants de Madame les attendant au retour des commissions.

"C'est moi qui fais rentrer les sous!"

Puisque les inégalités salariales ont la vie dure, faisons contre mauvaise fortune bon coeur en leur donnant un sens rhétorique à chaque fois que Madame vous demande une contribution financière dont vous pourriez vous passer. Le raisonnement que vous devrez présenter est le suivant : puisque vous contribuez plus largement au salaire du ménage, votre jugement a plus de poids au moment de décider à qui incombe telle ou telle charge financière, ou de décider de la pertinence de tel ou tel achat. Si votre collection de Panini est une dépense prioritaire dont dépend votre équilibre émotionnel, il n'en va pas de même pour l'après-shampoing de Madame, un luxe largement superflu que votre salaire ne permet pas de supporter. Attention toutefois avec cet argument, puisqu'il est susceptible de se retourner contre vous : si vous amenez effectivement plus de sous au ménage, c'est peut-être, à fortiori, à vous de prendre en charge la pilule contraceptive.

"T'as qu'à acheter moins de chaussures!"

La collection de chaussures et de produits cosmétiques de Madame est une aubaine : utilisez-la chaque fois que vous pouvez pour justifier votre réticence à passer à la caisse, peu importe la facture en question. Madame n'a qu'à faire l'impasse sur sa onzième paire de chaussures ou sur l'après-shampoing précédemment cité et elle pourra sans autre payer la pilule contraceptive! Si elle contre-attaque en pointant du doigt votre collection de Panini ou le trou dans les comptes laissé par votre dernière sortie au Popu, soulignez l'importance, pour votre équilibre émotionnel de votre amour du football, et la nécessité, pour votre épanouissement social, de payer tournée sur tournée à des inconnus - forcément tous masculins, ne t'en fais pas chérie.

"Est-ce que je te demande d'acheter ma mousse à raser, moi?"

L'argument n'a pas vraiment de sens d'un point de vue logique, mais garde son efficacité rhétorique : puisque la pilule est inoculée par Madame et agit sur le corps de Madame, c'est logiquement à Madame d'en supporter la charge financière. De la même manière qu'il ne viendrait pas à Madame l'idée d'acheter vos lames Gillette de rechange - hyper méga chères, mentionnez-le (ne mentionnez pas, par contre, qu'il vous arrive de temps en temps d'emprunter ses rasoirs jetables roses pour redessiner vos favoris) - pourquoi devriez-vous prendre en charge un produit spécifiquement destiné aux femmes? L'idée que vous êtes bénéficiaire autant qu'elle des bienfaits de cette pilule n'a que peu d'importance : en effet, elle aussi profite des bienfaits des lames de rasoir Gillette puisqu'ainsi, vos baisers fougueux ne lui écorchent pas la peau. Et toc!

"Ne t'en fais pas, c'est temporaire, bientôt il y aura la pilule pour hommes."

Présentez cette inégalité dans le partage des charges financières comme un mal temporaire. En effet, la science, dont vous suivez assidûment les avancées grâce à votre lecture mensuelle de Sciences & Vie Junior, est sur le point de développer une pilule contraceptive à destination de la gente masculine. Veillez à entretenir le flou sur l'arrivée effective sur le marché de cette hypothétique pilule, mais insistez sur son imminence. Ainsi, si Madame ne se fera pas à l'idée qu'il est légitime pour elle de supporter seule cette charge financière, elle saura sans doute serrer les dents le temps que la recherche scientifique corrige cette inégalité. De votre côté, priez pour que la recherche scientifique se concentre sur des objectifs plus urgents, comme la mise au point d'un décapsuleur capable de découper les pizzas, et si par malheur Madame apprend que la pilule contraceptive pour hommes avait effectivement vu le jour, et que vous aviez omis de le mentionner, expliquez que votre esprit est sans cesse accaparé par des problèmes plus importants. Hélas, au demeurant, vous ne pourrez pas y échapper indéfiniment.