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Quand Genève apparut sur la carte

Il y a un siècle, la fondation de la Société des Nations a assis la renommée de la Genève internationale

La Société des Nations compte 42 Etats membres lors de son entrée en fonction en janvier 1920. Installée au Palais Wilson à Genève, elle déménage en 1938 au Palais des Nations (en bas). La Suisse y adhère après votation en 1920. © ONU/Keystone
La Société des Nations compte 42 Etats membres lors de son entrée en fonction en janvier 1920. Installée au Palais Wilson à Genève, elle déménage en 1938 au Palais des Nations (en bas). La Suisse y adhère après votation en 1920. © ONU/Keystone
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Quand Genève apparut sur la carte

Frédéric Burnand, Swissinfo

Publié le 12.07.2019

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Politique » La fondation de la Société des Nations en 1919 est une réponse au déchaînement guerrier qui a ravagé l’Europe durant quatre ans. C’est aussi une riposte à l’agitation sociale, voire révolutionnaire qui secoue le continent depuis la prise de pouvoir des bolcheviks en Russie. Un argument utilisé par Berne pour convaincre les Suisses d’adhérer à l’ancêtre de l’ONU.

«La Suisse combat la révolution en réalisant toutes les réformes sociales qu’elle considère comme possibles. Notre peuple concentre à cet effet toutes ses forces économiques et morales.» En charge des Affaires étrangères, le conseiller fédéral Félix Calonder reçoit ce 2 juillet 1919 la presse suisse pour défendre la candidature de la Suisse à la Société des Nations (SdN).

Cet été-là, l’agitation sociale, voire révolutionnaire, secoue plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne et l’Autriche, sur les décombres de la Grande Guerre. La crainte suscitée par la révolution russe et la prise du pouvoir par les «bolchévistes» hante les Etats qui viennent de conclure le traité de paix de Versailles. Félix Calonder l’affirme: «Il n’y a qu’un moyen de sortir de cet état chaotique où les passions sont déchaînées. Au lieu de l’équilibre mécanique des forces qui a prévalu jusqu’à présent, c’est l’équilibre moral de la Société des Nations qui doit régner. La paix entre les peuples est la condition de la paix sociale à l’intérieur des Etats.»

Projet genevois menacé

La perspective révolutionnaire est d’autant plus effrayante pour le Gouvernement suisse qu’elle menace l’établissement à Genève du siège de la SdN. Un télégramme envoyé début août à Félix Calonder par la légation (ambassade) de Suisse à Paris le souligne en donnant les deux raisons qui, selon le Gouvernement français, empêcheraient la SdN de s’installer à Genève: «Primo. Majorité insuffisante lors du référendum en faveur de l’adhésion à la Société des Nations [qui aura lieu avec succès le 16 mai 1920]. Secundo. Aggravation des machinations bolcheviques en Suisse et trop de patience des autorités envers les meneurs.»

Dans un rapport envoyé un mois plus tard au chef de la diplomatie suisse, l’ambassadeur Alphonse Dunant est encore plus explicite: «A plusieurs reprises, la légation a eu l’honneur de vous faire savoir que les menées bolchevistes dont notre pays avait parfois été le théâtre servaient à certaines coteries pour faire campagne contre le choix de Genève comme siège de la Ligue des Nations et pour demander que cet honneur nous soit enlevé pour être donné à Bruxelles.»

Une grève perturbante

Difficile aujourd’hui d’imaginer la Suisse comme foyer de la révolution mondiale. C’est pourtant la crainte exprimée par les Alliés à l’automne 1918. Cela valut un premier échec diplomatique à la Suisse qui s’était démenée pour accueillir la Conférence de paix. Elle se tiendra finalement à Paris.

De fait, la Conférence de paix avait failli se tenir à Genève, raconte l’historien Hans Beat Kunz1, citant une déclaration du conseiller du président américain, le colonel House, au président de la Confédération Gustave Ador: «Le président Wilson en avait suggéré l’idée. L’Angleterre s’y était ralliée, l’Italie l’avait adoptée avec enthousiasme et la France était sur le point de l’accepter lorsque la grève générale éclatant en Suisse l’a fait écarter définitivement.»

Genève l’emporte

Si Genève est finalement préférée à Bruxelles ou La Haye pour accueillir la Société des Nations, c’est grâce à la renommée qu’elle s’est faite depuis 1863 avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Mais c’est surtout grâce aux efforts conjugués du président de la Confédération Gustave Ador, qui participe activement à la Conférence de paix de Paris, et de l’économiste William E. Rappard. Par leur engagement, ils vont obtenir le choix de Genève comme siège de la première organisation internationale de maintien de la paix.

La Suisse adhère à la nouvelle organisation internationale le 16 mai 1920, à la suite d’une votation populaire acquise de justesse. Cette date va marquer le vrai départ de la vocation internationale de Genève. La Société des Nations tombera en désuétude en 1939 avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Elle sera remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations Unies. AU/PFY

1 Hans Beat Kunz, La Suisse, le bolchevisme et le système de Versailles : foyer de la révolution mondiale ou siège de la Société des Nations, Revue suisse d’histoire, tome 32, 1982.

Repères

En chiffres

La Genève internationale, c’est aujourd’hui:

1 siège européen de l’ONU, 37 organisations internationales, 179 Etats représentés, 32 000 diplomates, 21 500 membres du personnel de l’ONU, 2700 collaborateurs d’ONG basés à Genève, 3000 réunions chaque année, 500 journalistes spécialisés

Radio: Ve: 13h30

Guerre de CoréeTV: pas de doc HV durant l’été

La Liberté: reprise d’Histoire vivante le 23 août.

Avec la SDN, la presse internationale découvre Genève

Le choix de Genève comme siège de la Société des Nations par les vainqueurs de la Grande Guerre a considérablement accru la notoriété mondiale de la cité du bout du lac. Au fil de l’installation de l’institution, près de 1500 journalistes y affluent, diffusant des nouvelles dans le monde entier. Selon Davide Rodogno, professeur d’histoire internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), «ces journalistes jouèrent un rôle fondamental au tout début de la SdN, parce qu’ils lui donnèrent une légitimité et une autorité dont la jeune organisation avait désespérément besoin. Le Département de publicité de la SdN fut aussi une invention capitale pour l’organisation car l’information était canalisée, gérée et diffusée, y compris parmi les cercles de journalistes plus critiques. La Suisse est tout d’un coup apparue sur la carte.»

Les journalistes basés à Genève traitaient de politique internationale et de politique de paix, mais aussi de justice sociale et de protection des travailleurs, l’Organisation internationale du travail (OIT) se trouvant à Genève.

Une Association internationale des journalistes accrédités auprès de la Société des Nations (photo ONU Archives) fut créée en janvier 1921, un an après le lancement officiel de la SdN. Selon les archives, 1456 journalistes issus de 55 pays en faisaient partie. Des journalistes venaient aussi de pays non-membres de la SdN, tels que les Etats-Unis et l’Union soviétique, ou de pays comme l’Allemagne, l’Italie ou le Japon, qui se sont retirés de la SdN durant l’entre-deux-guerres. En 1933, alors que les tensions internationales reprenaient, on en comptait 2000. Aujourd’hui, environ 500 journalistes couvrent la Genève internationale.

Akiko Uehara/Swissinfo

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