La Liberté

Quand le sauveur devient pilleur

Alors que la présidentielle en RDC approche, le président sortant Joseph Kabila reste difficile à cerner

Quand le sauveur devient pilleur
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Quand le sauveur devient pilleur

Louis Rossier

Publié le 30.11.2018

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Congo (RDC) » Le 16 janvier 2001, le président Laurent-Désiré Kabila était assassiné par son garde du corps. Quatre ans plus tôt, en 1997, l’ancien révolutionnaire était parvenu à renverser le maréchal Mobutu, qui régnait depuis plus de 30 ans sur le Zaïre. Pourtant, Kabila ne va rester que quelques années à la tête du pays, rebaptisé par ses soins République démocratique du Congo (RDC).

L’épithète «démocratique» ne manque pas d’ironie, puisque le pouvoir établi à Kinshasa est alors contesté par trois factions rebelles qui contrôlent encore la moitié du territoire à fin 2001. Occupé par la deuxième guerre du Congo ouverte en 1998, Laurent Kabila a négligé de construire un Etat de droit et laisse à sa mort un vide institutionnel: rien n’a été prévu en cas de décès inopiné du leader!

Au pays des complots

Le cadavre de Laurent Kabila n’est pas encore froid que son aide de camp apparaît à la télévision pour appeler le pays à la discipline, espérant tirer profit de cette mort inattendue. Il n’est pas le seul à se frotter les mains: la journaliste Colette Braeckman dénombre au moins cinq complots distincts qui visaient à se débarrasser du président.

Mais le 26 janvier 2001, craignant de voir le pays basculer dans le chaos, le Parlement investit le fils, Joseph Kabila, des pouvoirs présidentiels. «Le critère de la filiation était le succédané d’un introuvable critère de légitimation», souligne l’historien Gauthier de Villers.

Un manque d’étoffe

Pourtant, Joseph Kabila ne semble pas avoir l’étoffe d’un leader. Agé de seulement 29 ans, réservé, timoré diront certains, son parcours est partagé entre la guérilla menée par son père et de maigres études militaires suivies (pour la forme?) en Ouganda et en Chine. Un militaire rwandais dira qu’il «n’a jamais perçu chez lui une quelconque aptitude au commandement». C’est peut-être précisément pour ses faiblesses que l’assemblée jette son dévolu sur lui, l’espérant aisément manipulable.

Alors que son père s’était appuyé sur les pays voisins pour accéder au pouvoir, Joseph Kabila tourne ses regards vers les pays du Nord. Dans son discours d’investiture, le 26 janvier 2001, il affirme son intention de relancer les rapports diplomatiques avec le monde occidental. Il entame cinq jours plus tard déjà une tournée qui l’emmène aux Etats-Unis, en France et en Belgique. Il s’y attire la sympathie: «Quand vous êtes avec lui, vous éprouvez le désir de le protéger», déclare l’envoyé spécial des Nations Unies en RDC.

Et ses efforts paient! La Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et les pays européens acceptent de revoir leurs créances à la baisse – la dette du pays s’élève alors à 13,8 milliards de dollars. Les investissements vers la RDC, dont les sols sont extrêmement riches en or, cuivre, diamant et coltan, reprennent. Il assoit sa légitimité de manière à s’imposer à la présidence du gouvernement de transition mis en place en 2003 – les têtes des autres factions se répartissant les quatre postes de vice-présidents à disposition.

En 2006, les premières élections présidentielles depuis plus de 40 ans consacrent Joseph Kabila à la tête de la RDC avec 58% des voix. Dans son discours d’investiture, il ne manque pas de remercier la communauté internationale, et «son appui moral, diplomatique, financier et matériel», sans qu’on sache si ces remerciements sont faits au nom du pays, ou à titre personnel.

Pour sa réélection, il va s’appuyer sur une image de pacificateur et de démocrate. En revanche, sa gestion des fonds publics laisse à désirer. Le FMI observe ainsi, en août 2003, que 48% des dépenses étatiques… retournent aux institutions d’Etat «et à la présidence principalement». Sur les 112 projets inscrits dans le budget d’investissement pour les domaines de la santé et de l’éducation «aucun n’a bénéficié de paiements ni connu de début de réalisation», note de son côté la Cour des comptes congolaise la même année. «Cela va de mal en pis», confirme le prêtre Guy Luisier, en mission au Kasaï-Occidental. «Les routes se détériorent, les enseignants ne sont pas payés.»

Une population oubliée

La libéralisation des ressources minières n’a pas profité à la population. Les concessions minières sont liquidées à d’obscures sociétés offshore, avant de revenir dans les mains de multinationales à leur valeur véritable. Dans l’opération, une marge de bénéfice de 800% se dessine, sans que la population ne jouisse des retombées de ces profits. A qui profitent ces manigances? Une enquête menée par Bloomberg est parvenue à établir des liens entre au moins 70 entreprises et la grande famille de Joseph Kabila. L’apparition dans les Panama Papers de Jaynet Kabila, sa sœur jumelle, ravive les accusations de népotisme dont profite le clan présidentiel.

La réputation de Kabila s’effrite. Il lui devient difficile de défendre son image de héraut de la démocratie après avoir repoussé les élections de 2016 pour des raisons bancales. L’embrasement du grand Kasaï en 2016 et la persistance des tensions au Kivu ont déçu les espoirs de paix. «Les militaires et les policiers font leur travail le jour mais, la nuit, ils peuvent se transformer en brigands», rapporte Guy Luisier.

Une paix introuvable

Pour Stéphanie Perazzone, docteure en sciences politiques et spécialiste de la RDC, Joseph Kabila n’a en fait jamais voulu rétablir la paix. «Comme Mobutu, il veut dire aux Congolais: c’est moi ou le chaos, explique la chercheuse. Et l’instabilité de la région lui permet de continuer à solliciter l’aide de la communauté internationale.» Celle-ci a tout intérêt à pouvoir continuer d’exploiter les gigantesques ressources minières du Congo.


 

«C’est un président manipulé par son clan»

Entre dictateur sournois et homme d’Etat faible téléguidé par son entourage, il est difficile de se faire une image cohérente du président Joseph Kabila. «C’est un personnage difficile à comprendre, reconnaît la politologue Stéphanie Perazzone. Après le colonel Mobutu, à la personnalité plutôt sonore, Kabila passe pour quelqu’un d’extrêmement silencieux.» Avare en conférences de presse, s’adressant rarement à son peuple, il parvient malgré tout à maintenir une autorité peu contestée. «Son ambivalence nourrit la peur chez beaucoup de Congolais», affirme la spécialiste.

Le missionnaire Guy Luisier n’est pas impressionné: «C’est un président faible, manipulé par son clan et la communauté internationale», affirme le prêtre valaisan. «Il a enrichi sa famille et s’intéresse peu à faire profiter son peuple des richesses du pays.» Dans un pays où les catholiques représentent 60% de la population, l’Eglise remplit un rôle de médiateur entre l’opposition et le gouvernement. «L’Eglise s’est toujours défendue de faire de la politique partisane», précise Guy Luisier. Selon le chanoine de l’abbaye de Saint-Maurice, lorsque l’Etat se détourne du bien public, «l’Eglise, pour être fidèle à sa vocation, doit rappeler la classe politique à ses responsabilités». Ce que l’archevêque de Kinshasa Monsengwo a fait en janvier dernier en adressant aux autorités un message sans équivoque: «Que les médiocres dégagent.» LRO

 

Radio: Ve 13 h 30


 

À VOIR

Kinshasa Makambo

Janvier 2015: malgré l’interdiction de la Constitution, le Président congolais Kabila brigue un troisième mandat. La rue, menée par de jeunes leaders, s’embrase et la répression fait plusieurs dizaines de morts. Sous pression, le gouvernement renonce finalement à modifier la Constitution. Entre lutte et impuissance, trois jeunes activistes se battent pour la tenue des élections en décembre 2016.

 

 

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