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Dans le vasistas

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Dans le vasistas
Publié le 15.05.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lettre à nos aînés

Dimanche de Pâques, ni repas familial, ni œufs cachés dans un jardin, le haut de ton visage dépasse dans le trou carré du toit d’ardoises; derrière le bâtiment, le bleu du ciel. Douce Maman, c’est toi dans le vasistas ouvert, comme princesse isolée, toi, là, au 4e, dans ta chambre. Nous trois, preux chevaliers sans monture, te regardons d’en bas, les pieds ancrés dans le bitume, émus. C’est une première fois. Epatante idée de Véro, de nous retrouver comme ça, ensemble. Se voir et se parler. Toi dans le combiné de ton téléphone fixe, nous dans le portable en mode haut-parleur. De loin et au plus près.

Oh mes chéris, c’est si bon de vous voir. Ta voix rauque chante sa joie. D’en bas, on devine tes cheveux gris, leur harmonie souple, et tes yeux qui pétillent; en fait, à y réfléchir, tes yeux, on les entrevoit à peine, mais ils nous caressent de leur confiance, et on les imagine aux inflexions de ta voix fluide et tendre. J’ai de la chance, je vous ai, tu dis. Ce vous, c’est toute la bande, enfants, petits et arrière-petits-enfants; nous, des ramures; toi, un cerisier en fleur. Ton sourire se cache dans le cadre du vasistas. On le hume dans ton souffle qui traverse le combiné. Il y a des gens qui ne voient personne ici, vous savez, tu continues; ils y sont peut-être pour quelque chose, mais ça doit être dur.

Un visage surgit à tes côtés dans le vasistas. On reconnaît la soignante, son regard vif à travers la visière, on échange des signes. Vos bons mots et petites vannes rebondissent comme balle de ping-pong. Merci Fatia, tu dis. Elle s’en va.

Nuque en arrière, l’iris tendu vers toi, ce temps ensemble c’est du nanan. Un goût de miel, en cette douceur d’avril. Comme si nos bouches et nos oreilles esquissaient une tablée invisible de corps serrés, de mots tissés, de rires, d’écoute, de silence dégusté. A défaut d’une main douce, de bras qui cocolent et de murmures à l’oreille.

J’ai commencé à copier la courbe d’une fleur d’une carte reçue, je la trouvais jolie, je n’ai encore pas fini, je te l’enverrai, tu me dis. Et toi, comment tu vis cette période? tu demandes à ta petite-fille. Sur le bitume, les marcheurs freinent leurs pas, leurs regards de haut en bas, de toi à nous. Et comment ça se passe pour toi? tu demandes à ton gendre.

Un de ces jours, l’une de tes petites-filles dessinera un cœur dans l’air avec ses bras, elle te le lancera en une chorégraphie improvisée, tu disparaîtras un instant du cadre entrouvert, puis on entendra tes ah et oh ravis, ta légèreté joyeuse: tu auras cueilli le cœur dessiné au vol. Tu sais, Maman, on t’aime, je soufflerai dans le portable. Oh, je sais, tu diras; après un silence, tu ajouteras, et moi alors.

Marie-Claire Gross écrivaine, La Tour-de-Peilz


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

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