La Liberté

La réalité virtuelle pour thérapie

A Fribourg, le Centre interdisciplinaire d’ORL traite les vertiges à l’aide d’une technologie novatrice

Au volant ou sur des skis, la plateforme Motion VR offre un côté ludique au traitement. © Alain Wicht
Au volant ou sur des skis, la plateforme Motion VR offre un côté ludique au traitement. © Alain Wicht

Nicole Rüttimann

Publié le 09.02.2021

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Fribourg » Dévaler une piste de ski bosselée en passant entre des portes, voguer sur la mer ou encore, guider un aigle à travers des anneaux tout en essayant d’attraper des papillons avec un filet. Sous des dehors de jeux futiles, se cache un rôle essentiel: la thérapie. Celle-ci vise à traiter les problèmes d’oreille interne, et de vertiges – sensation de tournoiement ou de déséquilibre – grâce à une technologie novatrice combinant casque de réalité virtuelle et planche motorisée: Motion VR. Machine et logiciel se trouvent dans un lieu tout aussi inédit: le Centre interdisciplinaire d’ORL (CIORL), où collaborent tous les spécialistes du domaine. Le centre se trouve à l’Hôpital Daler à Fribourg, où il loue des locaux tout en restant indépendant. Les traitements ont débuté en septembre. Et si la machine est un prototype, bientôt remplacé par une version définitive, elle est déjà totalement fonctionnelle.

Prise en charge novatrice

«Les patients souffrant de troubles de l’équilibre ou de vertiges sont pris en charge au même endroit pour le diagnostic médical, la décision thérapeutique et le traitement par une équipe de médecins et de physiothérapeutes», expose le professeur Florian Lang, co-créateur du centre. «Cela permet une interaction directe entre la docteure Mélanie Buchwalder, spécialiste ORL avec formation approfondie en otoneurologie (science des vertiges et des troubles de l’équilibre) et les physiothérapeutes Jérôme Grapinet et Samuel Waeber spécialisés en rééducation vestibulaire. De plus, le centre dispose d’instruments de rééducation à la pointe de la technique actuelle.»


«On apporte une plus-value à la région de Fribourg dans la rééducation vestibulaire. Avec cette technologie, on franchit une étape», s’enthousiasme Jérôme Grapinet. La posturographie existait déjà pour quantifier l’équilibre ainsi que pour la rééducation. L’usage de la réalité virtuelle est aussi déjà connu. «Mais sous cette forme combinée de plateforme de posturographie dynamique avec réalité virtuelle, cette technologie est unique. C’est la première de Suisse et une des premières de ce type dans le monde. On peut immerger les gens dans un environnement virtuel permettant de simuler une situation de déséquilibre ou une perturbation de l’équilibre», relève celui qui a conçu les plans de la salle spéciale ronde abritant la plateforme, évitant ainsi que l’œil ne se repère avec les angles. Elève du Français Alain Semont, pionnier en rééducation vestibulaire, il a formé à son tour les trois physiothérapeutes qui officieront au CIORL dès le mois d’avril. Dont Samuel Waeber, de PhysioMed à Givisiez, désormais apte avec Jérôme Grapinet à utiliser la machine et le logiciel.

Des patients très divers

Mais à qui s’adresse cette thérapie? «Des seniors comme des jeunes, avec des problèmes de vertiges ou d’équilibre», explique Samuel Waeber: «Cela peut être en lien avec l’oreille interne, lié à un problème dans le cerveau ou les nerfs périphériques. Dans ces cas, on peut utiliser la réalité virtuelle. La nouveauté ici, c’est que la machine a un intérêt non seulement thérapeutique mais aussi diagnostique. Elle quantifie comment le cerveau utilise les trois systèmes organisant l’équilibration: l’œil, l’oreille interne et la sensibilité profonde. A partir de là, on peut orienter la thérapie.»

«Avantage supplémentaire, en 15 minutes, soit 6 séquences de 30 secondes et un temps d’explication, ce test diagnostic est réglé.» La suite du traitement est plus variable, dépendant de facteurs propres à chaque patient.

Dans une première salle, celui-ci, sur un sol stable, porte un casque de réalité virtuelle qui propose des univers allant d’une voiture à un métro, en passant par la chasse à la mouche. Il s’agit de suivre de la tête les flèches indiquant l’endroit où se trouve l’insecte, puis de cibler ce dernier avec un viseur. Tous les paramètres sont modulables avec le logiciel pour suivre au mieux l’évolution du patient.

«Grâce à ce principe d’immersion, nous espérons traiter le vertige des hauteurs, le mal de mer ou celui des transports»
Samuel Waeber

On retrouve ce principe dans la salle ronde, avec la difficulté supplémentaire que le patient est sur une plateforme instable, se raccrochant au besoin à des barrières en mousse. Parmi les décors figure un ascenseur au sommet d’un building, d’où le patient doit s’avancer au-dessus du vide sur une passerelle. Sujet au vertige – des hauteurs cette fois – s’abstenir? Au contraire: ces options devraient, dans un deuxième temps, amener une plus-value à l’offre de thérapies: «Grâce à ce principe d’immersion, nous espérons traiter le vertige des hauteurs, le mal de mer ou celui des transports», expose Samuel Waeber.

Pour l’heure, les efforts se concentrent sur le traitement classique avec déjà des résultats positifs pour la cinquantaine de patients passés par le centre, selon le trio de thérapeutes. «Le côté ludique décuple leur motivation», note Samuel Waeber. Qui précise qu’il est ainsi possible de compenser des pertes liées à des lésions de l’oreille interne, car il existe peu de médicaments efficaces. «Cela apporte un réel plus en rééducation», assure le spécialiste.


«Je perds moins l’équilibre, ce traitement a changé ma vie»

Le Fribourgeois Mattia Ferreri, 22 ans, patient du centre depuis septembre, relève de nets progrès.


Parmi les premiers bénéficiaires du CIORL et de sa technologie figure le Fribourgeois Mattia Ferreri, 22 ans. Il a commencé le traitement en septembre, après deux opérations lui ayant laissé de lourdes séquelles neurologiques: «Je me suis réveillé au stade bébé», illustre celui qui garde un entrain et un sourire à toute épreuve: il a dû tout réapprendre, marcher y compris, et souffre de pertes auditives.

Ne sachant si les problèmes d’équilibre sont liés au cerveau ou à l’oreille interne, il est aiguillé vers la docteure Mélanie Buchwalder, qui lui fait des tests et l’oriente vers Samuel Waeber et la technologie VR (réalité virtuelle). «Je n’y croyais pas au début, j’avais peu d’attentes.» Mais dès la première séance, il se rend compte que «quelque chose se passe, ça motive», explique-t-il.

La durée des séances est adaptée à son état du jour: de 15 à 30 minutes, avec ou sans casque, à plat ou non dans une des deux salles à disposition, selon que le travail cible l’oreille interne ou l’équilibre. «Il y a un côté ludique sympa avec ces simulations. L’atmosphère du cabinet fait que ce n’est jamais une contrainte, j’ai du plaisir à y venir. Et avec la prise en charge globale du centre, traitement et rééducation sont optimisés, cela va plus vite et le suivi est de qualité.»

Ainsi, à raison d’une à deux séances par semaine, les progrès sont sensibles: «En décembre 2020 encore, monter des escaliers était une épreuve. Désormais, je peux les descendre sans me tenir, me baisser sans souci pour attacher mes lacets. Et quand j’essaie de faire mes 10’000 pas quotidiens, je vois la différence: quand je commence à fatiguer, je perds beaucoup moins l’équilibre. Je ne passe plus pour un type bourré sur les trottoirs», lance-t-il avec humour, avant d’ajouter, plus sérieux: «Ça change la vie!»

Mattia Ferreri compte poursuivre ce traitement «tant qu’il y aura des progrès». Et il espère désormais intégrer une école de communication et marketing. Un objectif dans la continuité de son parcours: «Mes problèmes de santé m’ont fait faire des rencontres extraordinaires.» NR


Convergence inédite

Le Centre interdisciplinaire d’ORL a été créé par le professeur Florian Lang, qui a été durant 13 ans à la tête du service ORL à l’HFR, et la docteure Mélanie Buchwalder, l’une des rares spécialistes du canton en otoneurologie. La volonté du professeur était de «réunir tous les métiers touchant l’ORL, du médical à la rééducation, dans un centre. On trouve ainsi des médecins spécialistes ORL de différentes orientations (chirurgie ORL, reconstructive et esthétique du visage, vertiges, voix et déglutition), mais aussi des physiothérapeutes, logopédistes et audiologistes. Les patients bénéficient de plus de cette technologie de rééducation vestibulaire; une plus-value pour le canton.» Après des débuts difficiles liés au Covid, les machines étant restées bloquées à la frontière, le centre fonctionne bien: «Le projet commence à ressembler à ce dont nous avions rêvé.» NR

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