La Liberté

La ville comme un lundi soir

Clientèle rare, restrictions: les bars et restaurants font leurs calculs. Certains réclament la fermeture.

Il y a déjà plusieurs jours que le Buro, à Bulle, connaît une baisse de fréquentation. S’il le faut, l’établissement est prêt à fermer ses portes. © Charly Rappo
Il y a déjà plusieurs jours que le Buro, à Bulle, connaît une baisse de fréquentation. S’il le faut, l’établissement est prêt à fermer ses portes. © Charly Rappo

Stéphane Sanchez

Publié le 15.03.2020

Temps de lecture estimé : 11 minutes

 

Nos journalistes sont mobilisés pour vous offrir une couverture de qualité et de service public sur l’épidémie de coronavirus. En raison de la situation sanitaire particulière et du fort intérêt pour cette thématique, «La Liberté» a décidé de vous offrir l’accès à cet article. Bonne lecture et merci de votre confiance.

Bulle et Fribourg » Scène surréaliste samedi soir vers 21 heures au Fribourgeois, à Bulle. D’habitude bondé, le restaurant placardait déjà sur sa devanture la restriction de 50 personnes fixée par les autorités à lundi. Dans la grande salle, seule une douzaine de clients était attablée, dont sept irréductibles: «On essaie de faire du bruit pour cinquante. On devait partir hier en Laponie, en voyage de contemporains. Il a été annulé. Alors on compense!» lançait un quinquagénaire. Mais de fait, le chef-lieu gruérien, déserté, avait un petit air de Laponie. La forêt de voitures qui couvre d’ordinaire la place du Marché était nettement clairsemée.

Terrasse vide devant le Buro, l’un des établissements bullois d’habitude pris d’assaut. «On a fermé les archives en bas, on a bouclé la terrasse», explique Philippe Pilloud, l’un des associés à la tête du bistrot. A l’entrée, une armoire à glace compte les clients: «Pas plus de 100 personnes à l’intérieur, personnel compris, ont dit les autorités. Et dès lundi, nous appliquerons le quota de 50. Les 35 extras ne viendront plus et les horaires des dix postes fixes ont été adaptés. Nous avons déjà déposé un dossier au Service public de l’emploi. On verra jusqu’à mercredi si c’est viable. Et on fermera s’il le faut», explique Philippe Pilloud. A 23 h, il enregistrait un pic de 85 clients simultanés.

Fermeture attendue

Dans la salle, un client garde le moral: «On ne peut pas arrêter de vivre. Il faut bien ajuster le curseur, entre paranoïa et irresponsabilité.» L’annonce de la fermeture des bars au Tessin et en France s’est déjà répandue: «J’ai un peu peur. Mais j’ai besoin de vivre une dernière fois ces moments de partage avec mes amis», confie une cliente du Moderne.

La salle de la brasserie pourrait techniquement contenir 200 clients. On en dénombre le tiers. Le cogérant Sebastian Despond s’inquiète: «Pas besoin de contrôle à l’entrée: j’ai eu 110 annulations pour ce soir. Il faut passer à 50 lundi, mais je préférerais qu’on nous oblige à fermer. J’ai 20 employés, des charges qui courent, un investissement à amortir. A 50 places, mon manque à gagner avoisine 30 000 francs par semaine. A ce rythme, je fais faillite en deux mois. J’espère qu’ils décideront la fermeture avant le week-end prochain. Ça permettrait de mettre tout le monde au chômage technique, de geler les factures ou que sais-je.»

Un service à risque

«Nos serveuses sont fidèles, mais elles finiront par se mettre en arrêt maladie, ne serait-ce que pour garder leurs enfants», appuie Stéphane Lambert, patron du Café de la Gare. L’établissement est passé à 42 couverts, au lieu de 100. «On a espacé les tables. On les désinfecte, tout comme le bar et les poignées de porte. Les serveuses ont des gants. La situation nous oblige à leur faire prendre des risques».

Même inquiétude au Gruyérien, à L’Ecu. Ou à L’Ostéria: «On est passé de 110 à 42 couverts. A midi, ce samedi, il y avait 11 clients», glissent les patrons, Giovanni et Caterina De Nicolo. «Mais il suffit d’un malade. Bien sûr, prendre la commande et servir ne nous expose pas pendant 15 minutes. Mais il y a un risque, ne serait-ce qu’avec les serviettes.»

Fermer spontanément? Chaque établissement visité hésite, de peur d’être pénalisé lors de l’indemnisation. L’Après a pris les devants en fermant ses portes dès samedi: «Nous avons à cœur de protéger notre personnel, notre clientèle et nous-mêmes, justifie Olivier Murith, copropriétaire. Il était très difficile pour nous de mettre en place les mesures de sécurité, principalement d’assurer une distance suffisante entre les gens. Pour ma conscience personnelle, je préfère perdre un samedi d’exploitation mais penser avoir réagi juste face à la crise. Et nous avons reçu des messages de soutien de notre clientèle, qui salue notre démarche.»

«La boule au ventre»

A Fribourg, le café de l’Ancienne Gare a aussi fermé ses portes. La situation est ainsi claire. Associé à la salle de spectacle du Nouveau Monde, ce fief des jeunes est toujours très animé. Dedans comme dehors. Plus rien de tout ça dorénavant, si bien qu’au centre-ville, on se serait cru un lundi soir.

Les restaurants de la capitale font également grise mine. L’Aigle-Noir a limité immédiatement sa capacité à 50 places. «J’avais plus de 90 réservations pour vendredi soir. J’ai pris l’agenda et appelé des clients pour leur annoncer qu’ils ne pouvaient pas venir», raconte Patrick Hauser. Le responsable de l’établissement avoue avoir «la boule au ventre». D’autant plus que L’Aigle-Noir a aussi des salles à disposition pour des réunions ou des séminaires. Et les annulations se succèdent. Avec MAG


«Aucun enfant ne sera laissé sans solution»

Préfets, délégués des communes et des institutions scolaires ont réfléchi tout le week-end à la mise en œuvre unifiée de la décision prise vendredi de fermer les écoles. Hier, une directive a été adressée aux communes. Président de la Conférence des préfets du canton de Fribourg, chargé du domaine des écoles au sein de l’Organe cantonal de conduite, le préfet de la Gruyère Patrice Borcard détaille son contenu.

La décision de fermer les écoles a été annoncée vendredi après-midi. Quel dispositif avez-vous mis en place pour aider les parents?

Patrice Borcard: Lundi matin, toutes les écoles seront ouvertes pour les enfants qualifiés de prioritaires, c’est-à-dire ceux dont les parents exercent une profession indispensable à la gestion de la crise. Ceux qui n’ont pas trouvé de solutions immédiates peuvent aussi s’y rendre et les responsables d’établissement ainsi que les autorités communales aideront leurs parents dans la recherche d’une garde appropriée. Pour eux, les TPF continueront a assurer le transport dans les cercles scolaires jusqu’à mardi soir, comme ils l’ont fait auparavant. La suite du service sera décidé d’entente avec les communes. 

Y-aura-t-il un contrôle de qui est où?

Les enseignants établiront une liste. Dès ce lundi matin et durant les premiers jours, ils devront tous les jours y inscrire les enfants qualifiés de prioritaires et ceux qui sont sans solution. En collaboration avec les autorités communales, les directeurs d’établissement et les directions des cycles d’orientation s’assureront également que tous les autres enfants soient encadrés dans les conditions appropriées. Je rappelle que les grands-parents ne doivent pas être sollicités. Il faudra également s’assurer que des classes ne se reforment pas ailleurs, chez un parent par exemple, ou que les jeunes ne se retrouvent pas tous ensemble pour étudier. Les groupes doivent être limités à quelques-uns. Des précisions seront transmises dans le courant de la semaine.

Et les enfants qui fréquentent les crèches et garderies?

Le principe est le même. Les structures d’accueil demeurent ouvertes pour les enfants prioritaires et ceux qui sont sans solution immédiate, le temps d’en trouver une avec l’aide des responsables de ces structures. Les responsables des crèches et garderies établiront le même inventaire qu’au niveau de l’école obligatoire. Aucun enfant ne sera laissé sans solution. Aucun enfant ne doit rester seul à la maison.

Craignez-vous le chaos?

Il y a encore de nombreuses questions auxquelles nous devons apporter des réponses. Nous avons créé deux groupes de travail. Le premier est chargé de cette première phase d’urgence, le second va définir une stratégie pour le plus long terme. La situation va se stabiliser ces prochains jours. Les instructions, notamment sur le contenu pédagogique pour ces prochaines semaines, sont de la compétence de la Direction de l’instruction publique et vont suivre. Et je crois en notre capacité d’adaptation. On voit déjà que des étudiants se mettent à disposition, qu’il y a mouvement d’entraide dans les villages, les quartiers. Je pense que tous ensemble, nous saurons faire preuve de pragmatisme, de créativité et de solidarité, des notions auxquelles la crise actuelle nous permet d’offrir une nouvelle réalité. 

MAG


L’HFR suspend 
les vacances

Soins » L’Hôpital fribourgeois (HFR) suspend les vacances de ses collaborateurs à partir du 20 mars et jusqu’à la fin du mois d’avril. La directive a été diffusée vendredi. Elle ne concerne pas seulement les soignants mais l’ensemble du personnel, précise Jeannette Portmann, responsable de la communication. L’HFR se dit conscient des «sacrifices importants que cela implique». Néanmoins, il estime cette mesure «indispensable pour faire face à la situation». Dans sa directive, il indique qu’en cas d’annulation de vacances, la question d’un remboursement sera étudiée. Le Syndicat des services publics (SSP) a d’ailleurs interpellé la direction à ce propos. Il demande également des compensations, estimant que le personnel travail dans un environnement à risque. MAG


Grève du 18 mars suspendue

Le Bureau du Syndicat des services publics région Fribourg a décidé d’ajourner la journée d’actions et de grève contre le projet de révision de la caisse de prévoyance du personnel de l’Etat prévue mercredi prochain. «En cette période très particulière, une trêve s’impose», écrit-il dans son communiqué diffusé hier matin. Mais il demande aussi au Grand Conseil fribourgeois de revenir en arrière sur la décision prise vendredi dernier de maintenir la session fin mars dans une formule allégée, afin de traiter cet objet. «Alors qu’on demande un effort supplémentaire à l’ensemble de la fonction publique fribourgeoise, que le personnel des soins voit ses vacances annulées, que les enseignants doivent trouver des solutions pour l’enseignement à distance, que toutes les manifestations sont annulées et qu’il est de fait impossible pour le personnel de se défendre en utilisant l’outil de la mobilisation, c’est à ce moment que le Grand Conseil déciderait de baisser drastiquement les rentes? Une telle décision serait non seulement irresponsable, mais antidémocratique», écrit encore le SSP. Vendredi, le Bureau du Grand Conseil a décidé de maintenir la session prévue fin mars mais a réduit le programme aux dossiers prioritaires et prévue de se déplacer à Forum Fribourg afin de respecter les distances minimales entre députés. Mais quelques heures plus tard, le Conseil d’Etat annonçait de nouvelles restrictions liées au coronavirus. La session du Grand Conseil tient à un fil. MAG

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