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Le Chinois qui investit en Gruyère

Li Yongjun est l’actionnaire principal d’un projet à 300 millions de francs au golf de Pont-la-Ville

Li Yongjun deviendra l’actionnaire à 50% du projet, aux côtés des actuels exploitants Urs et Martine Müller (20%) et du Haut-Savoyard Michel Benedetti (30%). © Vincent Murith
Li Yongjun deviendra l’actionnaire à 50% du projet, aux côtés des actuels exploitants Urs et Martine Müller (20%) et du Haut-Savoyard Michel Benedetti (30%). © Vincent Murith

Julie Zaugg, Hong-Kong

Publié le 22.06.2018

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Investissements »   Au cœur de Pékin, les artistes se succèdent sur la scène du grand théâtre de Qianmen. Des femmes en robe de soirée récitent un poème. Un violoniste interprète un morceau inspiré par Les amants papillons, une légende chinoise. Une actrice de l’opéra de Pékin se produit en costume militaire. Dans l’audience, il y a des pointures: un ex-ministre adjoint de la Culture, un ancien vice-­président de la Banque chinoise du développement.

Li Yongjun monte sur scène. Vêtu d’un costume à col Mao et d’une écharpe rouge, le presque quinquagénaire découpe une pièce montée surmontée de bougies. L’homme d’affaires fête les 30 ans de son entreprise, Yongxin Hua, dont le rayonnement dépasse largement les limites de l’Empire du Milieu. Récemment, son patron est devenu l’actionnaire principal du golf La Gruyère à Pont-la-Ville qui projette un investissement ­estimé à 300 millions de francs.

Une tendance

L’hôtellerie, l’immobilier, le luxe et même l’alimentaire intéressent de près les hommes d’affaires chinois. Propriétaire des marques Corum et Eterna, Hon Kwok Lung a acquis l’hôtel de luxe Mirador du Mont-Pèlerin (VD). Liang Zhang, PDG du géant du lait chinois Synutra, veut faire affaire avec Translait à Saint-Aubin afin de construire une installation de séchage de petit-lait. Ren Jianxin, PDG de ChemChina, a fait main basse sur le fleuron agrochimique Syngenta. Comme ce dernier, Li Yongjun a commencé sa carrière dans le Gansu, une province pauvre et rurale du nord-ouest de la Chine. L’homme de 49 ans y crée au début des années 90 une firme qui investit dans l’immobilier et vend des matériaux de construction.

A partir de 2008, cet homme aux traits poupins se spécialise dans les bâtiments écologiques et crée une entreprise, Yongxin Energy Technology, pour fournir des services en la matière. Cette dernière s’occupe notamment de gérer l’alimentation en courant vert des courses de voile, lors des Jeux olympiques de 2008. En 2011, il entre à la direction de la Bank of Gansu, le principal établissement financier de cette ­province montagneuse de 26 ­millions d’habitants.

Dans l’immobilier...

Plus récemment, trois groupes chinois ont versé 1,8 milliard de yuans (277 000 francs) dans un fonds, afin que Yongxin Hua puisse acheter 320 000 m2 au cœur de Shanghai et y construire un complexe ­hôtelier. A terme, leur investissement devrait atteindre 30 ­milliards de yuans (4,6 milliards de francs). Mais le partenaire le plus solide, Huarong International, s’est retiré du projet quelques mois après son annonce, en mai 2017.

En février, Li Yongjun a subi un autre revers. Il a été condamné et mis à l’amende par les autorités du Gansu pour avoir acquis avec un partenaire plus de 5% dans l’entreprise Gansu Mogao Industrial Development, qui vend du vin et de la réglisse, sans avertir le gendarme des marchés, comme l’exige la loi.

En mai, il a repris la direction d’un groupe immobilier hongkongais, Crown International Corporation. Celui-ci possède un hôtel trois étoiles dans le Liaoning, une province au nord de la Chine, et a prévu de bâtir un complexe résidentiel et commercial dans le delta de la rivière des Perles, au sud du pays.

...Et les biens culturels

Depuis trois ans, Li Yongjun a quelque peu délaissé l’immobilier, pour se lancer dans une croisade pour protéger les biens culturels intangibles, une cause chère au président Xi Jinping. Fin 2016, il a inauguré un espace culturel à Qianmen, à quelques pas de la place Tian’anmen. «Mi-musée, mi-centre commercial, ce lieu permet au public de découvrir les arts traditionnels chinois et de les acheter», détaille Monica Buccella, une chercheuse italienne qui a consacré une thèse à ce type de concept.

Il s’agit aussi d’un projet commercial. «Cette partie de la ville était en déclin, dit-elle. Li Yongjun cherche à la régénérer, afin d’en augmenter la valeur immobilière.» A terme, l’objectif est de faire de Qianmen un district culturel consacré aux arts traditionnels, sur une surface de 400 000 m2. Le premier d’une longue série, promet Yong Xin Hua Yun sur son site internet. La firme prévoit d’en construire une vingtaine d’autres. Parmi les sites envisagés figurent les villes chinoises de Qingdao, Shenyang, Shenzhen et Sanya, mais aussi Paris et Los Angeles.

Suite logique

Son investissement dans le golf La Gruyère s’inscrit dans cette logique. Li Yongjun deviendra l’actionnaire à 50% de ce projet devisé à 300 millions de francs, aux côtés des exploitants actuels Urs et Martine Müller (20%), ainsi que de l’entrepreneur haut-savoyard Michel Benedetti (30%). Il comprendra notamment un hôtel haut de gamme, trois restaurants, un spa, 105 appartements de luxe et un golf agrandi.

Mais il comportera aussi une composante culturelle. «Le jardin suisse Huayun sera un parc culturel dont l’objectif sera la protection du patrimoine», dit le groupe chinois dans un communiqué à propos du golf La Gruyère. Ce projet s’inscrit dans l’initiative One Belt One Road de Xi Jinping – une voie commerciale qui relie la Chine à l’Europe – et a pour but «d’accroître le statut international de la Chine et la confiance qu’elle a dans sa culture», précise la firme.


 

Une Maison suisse à Pékin est en discussion

L’entrepreneur Li Yongjun est actuellement en discussion avec l’ambassade de suisse à Pékin pour installer une Maison suisse à Qianmen.

Li Yongjun entretient de proches liens avec la Suisse. Un pays qu’il a découvert lorsque sa fille Li Violet Jiayi a rejoint l’internat Auf dem Rosenberg à Saint-Gall. Elle étudie désormais à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Ses contacts avec le Golf La Gruyère datent de 2016. Cette même année, il a créé une firme en Suisse, Huarui Investments, avec sa femme et sa fille. Elle est hébergée chez Fidutrust, la société de l’expert fiscal fribourgeois Gaston-Henri Baudet. Tous quatre figurent parmi les directeurs d’une série de sociétés (Ben Golf Investissements, Resort 4, Resort 5, Resort 6 et Resort Management) dont l’adresse est celle du Golf La Gruyère. Ce n’est pas le seul projet suisse de l’homme d’affaires chinois. Il est également en discussion avec l’ambassade de suisse à Pékin pour installer une Maison suisse à Qianmen. Celle-ci hébergerait «plusieurs entreprises et institutions suisses actives à Pékin», indique Jean-Philippe Jutzi, porte-parole de l’ambassade. En mars, l’ambassadeur Jean-Jacques de Dardel a rendu visite à Li Yongjun, au centre culturel de Qianmen. «La Suisse est un pays qu’il apprécie tout particulièrement en raison de sa politique de protection du patrimoine culturel», note le chargé de communication. JZ

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