La Liberté

Le secret de grand-maman Irma

Publié le 20.05.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lettre à nos aînés

Meine liebe Schätzchen, je peux presque entendre ton rire quand je te dis ces mots que j’ai si souvent entendus de toi lorsque j’étais enfant. Pourtant, tu habitais si loin, à Francfort, au cœur de l’Allemagne. Ma sœur et moi attendions les vacances avec impatience. Après sept heures de route éreintantes, une fois dans ton appartement, c’était la fête. Tu entrouvrais le tiroir du salon, et nous avions alors sous nos yeux le trésor tant convoité: des paquets de bonbons qui allaient enchanter notre séjour, au même titre que tes Apfelkuchen (gâteaux aux pommes), et la Wurst au petit déjeuner. Et quand Heinz, notre grand-père, allait chercher la voiture, nous savions que c’était pour nous emmener soit à l’immense supermarché, soit au zoo, soit pour une promenade le long du Main.

Aujourd’hui, tes 95 ans ne te permettent plus de rester en ville, mais je sais que tu es heureuse chez ma mère. Tes amis te manquent, ta langue aussi, alors j’aime nos moments au restaurant où nous parlons allemand! Tu as encore toute ta tête, et tu es si coquette. Te souviens-tu, ma chère Irma, quand un soir, lasse de porter seule le poids du silence, tu as levé le voile sur ta vie? Je reste impressionnée par la force qu’il t’a fallu pour rejoindre la mer Noire, du haut de tes 20 ans, avec ton bébé de 6 mois (ma mère), et tes 5 frères et sœurs si petits (le plus jeune avait 5 ans). Trois semaines de marche, en février, au milieu de l’horreur de cette guerre que tu n’avais pas choisie, comme des milliers d’autres civils!

Combien de morts as-tu vus sur le côté de la route, ou quand la glace des lacs que vous traversiez se rompait à quelques mètres de toi? Comment as-tu tenu sans mourir de froid ou de faim? Quand vous êtes arrivés au port où les bateaux allemands évacuaient les civils et qu’on t’a dit: «Le bateau est plein, attendez le prochain», je comprends que tu aies craqué d’épuisement et de désespoir. Est-ce pour cela que le capitaine du navire qui levait l’ancre s’est approché de vous et vous a laissé sa cabine? Et dire que le bateau suivant, celui que vous auriez dû prendre, a été torpillé par un sous-marin russe… C’est grâce à cet officier bienveillant que j’ai eu la chance de te connaître, ma merveilleuse grand-mère!

Au sortir du semi-confinement, nous sommes nous aussi arrivés à bon port, grâce aux médecins, infirmières, caissières, et à tous ceux qui ont assuré notre santé et notre quotidien. Sache que quand l’envie me venait de râler, je repensais à ton épopée. Je t’aime.

Stéphanie Zwahlen, Lectrice, Goillon


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

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