La Liberté

Ma fille se languit de sa copine toute cabossée

Publié le 30.03.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lettre à nos aînés

Chers résidents des homes de Suisse et d’ailleurs, en vous adressant cette lettre, je ranime des perles de mon quotidien sans coronavirus. De cela, je dois par avance vous remercier.

Deux fois par semaine, mes enfants passent la journée dans une crèche installée au dernier étage d’un home. Régulièrement, les résidents et les enfants ont des activités ensemble. Celle que préfère mon aînée, petite fille de 6 ans, est le Handbad, qu’elle prononce à la bernoise, avec un circonflexe sur le dernier a.

Pour le Handbâd, donc: mélanger de l’huile d’olive et du sucre dans un bol, puis se frotter les mains avec cette mixture. Rincer ensuite le gommage à l’eau tiède, puis s’hydrater les mains avec une crème. Ma fille aime particulièrement celle à la lavande. Quand on va la chercher, elle bondit vers nous, les mains en avant, pour nous faire sentir ses petites pattes, mélange de fleurs et de transpiration. Puis elle explique: «C’est tout doux», au cas où on n’aurait pas encore compris.

Le Handbâd a ses habitués, principalement des dames avec lesquelles ma fille a noué une relation particulière, faite de rituels réconfortants et d’échanges déroutants. Ainsi, Mme Schnyder lui a récemment raconté qu’à son époque, il n’y avait pas de téléphone. Ma fille en est restée toute songeuse. L’époque sans téléphone lui semblait devoir remonter au moins au temps des dinosaures. Après avoir compris ce qu’elle pouvait, elle m’a expliqué d’un ton docte: «Tu sais, c’était très bien aussi, la vie sans téléphone…» Mme Schnyder lui avait raconté des anecdotes du temps d’avant qui lui avaient plu.

Quand on traverse le home pour rentrer à la maison, elle salue de sa voix claire: «Hallo, Frau Neuhaus! Hallo, Frau Ritter!» A force d’aller leur chanter des chants de Noël, de faire des bricolages et des Handbâd avec les résidents, elle les connaît presque tous. Bien sûr, elle a ses préférences. Par exemple, Mme Neuhaus, qui a régulièrement des croûtes et des pansements. Ma fille la soupçonne de tomber beaucoup. Ça la préoccupe. Les papotages réguliers les ont rendues proches, peut-être rient-elles ensemble en faisant leur Handbâd. Il vient souvent, dans son petit cœur tendre de 6 ans, une pensée pour sa vieille copine toute cabossée.

Chers résidents, il y a chez moi une petite fille bien pressée de vous revoir. J’ai essayé le Handbâd avec elle, mais ce n’est pas pareil. Il lui manque ses vieilles copines et leurs rituels, et surtout les abîmes de réflexion dans lesquels vous seuls savez la plonger…

Isabelle Flükiger écrivaine, Berne


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

Les lettres précédentes:

»  La lettre de Serge Gumy

»  La lettre de René Prêtre

»  La lettre d’Anne-Claude Demierre

» La lettre de Thierry Jobin

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