Recherche des pellets désespérément
Les commerces fribourgeois sont en rupture de sacs de granulés de bois. Ou ils rationnent les ventes
Patrick Chuard
Temps de lecture estimé : 8 minutes
Energie » Zéro degré et le combustible manque! «Il est aujourd’hui impossible de trouver des sacs de pellets pour le chauffage, c’est la rupture partout!» lance Sébastien Frossard. Cet agriculteur de Romanens a besoin de granulés de bois pour chauffer l’appartement de sa locataire.
«J’ai l’habitude d’acheter des pellets par palettes chez Landi, car ils sont fabriqués à partir de sciure suisse. C’est un produit local et écologique», explique-t-il. Une palette contient 66 sacs de granulés de quinze kilos: le support idéal pour des personnes qui, comme Sébastien Frossard, ne possèdent pas de citerne ou de contenant pour stocker de grosses quantités de pellets en vrac. «Pour l’écologie, c’est raté. Je dois maintenant proposer à ma locataire un radiateur électrique pour finir l’hiver!»
«Nous sommes en rupture depuis dix jours»
Sébastien Egger (Landi Payerne)
Quelques coups de sonde chez les principaux fournisseurs de pellets en sacs confirment que la pénurie est générale. «Nous sommes en rupture depuis dix jours, et nous ne savons pas quand nous pourrons être approvisionnés», avoue Sébastien Egger, chez Landi à Payerne. Inutile d’être trop optimiste pour les jours à venir: «Nous pensons que la situation va plutôt s’aggraver à court terme», dit Ramona Cattaneo, porte-parole de Landi Suisse. Motif: les scieries manquent de matière première, à savoir de sciure sèche nécessaire pour fabriquer les petits cylindres combustibles.
Délai pour le vrac
Les stocks sont tout aussi vides dans les succursales de Coop, de Hornbach, à Villeneuve (VD), ou encore de Bauhaus, à Matran. «Nous en avons reçu 24 palettes mercredi, et les clients se sont rués dessus», témoigne Jérôme Crausaz, vendeur chez Bauhaus. L’enseigne écoule, elle, des pellets venant de République tchèque. Le magasin Landi à Romont attend désespérément depuis un mois un camion de livraison pour des pellets en sacs. La succursale elle-même et le bâtiment voisin des TPF sont chauffés aux pellets, mais ils ne risquent pas les froids sibériens: «Nous avons reçu une livraison de pellets par le biais d’Agrola, qui ne livre que du vrac. Moyennant des délais plus longs, la commande en vrac reste possible.»
Nouvelle centrale à copeaux de bois
Dans les magasins Coop Brico Loisirs et Jumbo, «face à une demande accrue», Coop reconnaît une disponibilité «ponctuellement et temporairement restreinte». Quant à la marchandise en vrac, «elle sera disponible dès la semaine prochaine, avec un délai de livraison pouvant aller jusqu’à six semaines. Cependant, il se peut que la demande entraîne à nouveau des interruptions», dit Nico Nabholz, porte-parole de Coop. Migros explique que la situation est due à «une consommation nettement plus élevée par rapport aux années précédentes, une augmentation significative des installations de chauffage à granulés et des défis posés par la pandémie de coronavirus». Ses succursales Do it + Garden ne proposent que du pellet suisse. Mais le géant orange exclut de se fournir à l’étranger.
Pas de chiffres locaux
77%
La proportion de pellets suisses dans la consommation indigène
Impossible de connaître le nombre exact de Fribourgeois touchés par cette pénurie. Ni le Service de l’énergie (SdE) ni le Service des forêts et de la nature (SFN) ne savent combien de ménages ou d’entreprises ont opté pour des installations à pellets ces dernières années. De nombreux propriétaires ayant renoncé aux énergies fossiles ont cependant choisi le bois plutôt qu’un système de pompe à chaleur ou un raccordement au chauffage à distance, fait-on remarquer au SdE.
Propellets, la faîtière suisse du marché du granulé, n’a pas non plus de chiffres détaillés par canton, mais elle confirme que la crise est nationale et touche même les pays limitrophes (lire encadré). La consommation indigène de pellets se compose à 77% de produits suisses et à 23% de produits importés. Les entreprises membres de Propellets ont écoulé 300 000 tonnes de granulés, dont 99% en vrac.
Manque d’anticipation
Dans le canton, des acteurs locaux font face à une forte demande depuis quelques jours. Cofondateur de BestPellet Wärme à Guin, qui fabrique des granulés à partir de bois indigène, Oskar Schneuwly ne peut répondre aux sollicitations: «Il est impossible de doubler ou tripler notre production d’un seul coup, nous devons privilégier nos clients.»
Ismaël Mivelaz, qui fabrique des pellets à base de bois fribourgeois depuis quinze ans au Mouret, regrette la situation: «Le marché du pellet est écologique, et il y aurait assez de bois indigène pour répondre à la demande. Le problème, c’est qu’il est difficile d’anticiper: nous en avons produit 3500 tonnes cette année alors que notre capacité pourrait être de 8000 tonnes. Nous ne pouvions pas le prévoir car une grande partie des clients achètent au fur et à mesure dans les grandes surfaces sans anticiper les besoins.» Il conseille aux consommateurs de s’y prendre à l’avance et «de passer les commandes de combustible l’été précédent, ce qui permettra aux entreprises de prévoir la demande».
Eviter les stocks inutiles
Benjamin Gaillard, à Marly, s’est lancé dans la vente de pellets l’automne dernier. Ces jours-ci, il pare au plus pressé. «Des gens désespérés nous appellent depuis la région lausannoise», dit le patron de Combustible Gaillard. Afin d’éviter une pollution de plastique, l’entreprise livre les pellets dans des seaux de 10 ou 20 kilos réutilisables. «Nous ne livrons en ce moment que de petites quantités en discutant avec les gens de leurs besoins. Il faut éviter que certains fassent des stocks inutiles, comme pour le papier toilette l’an dernier!» Il pense que la crise actuelle aura du bon: «Personne n’avait pensé à la pénurie. Toutefois, c’est inévitable si tout le monde installe des chauffages à bois et que les besoins ne sont pas anticipés. Je suis persuadé que c’est passager, car cette source d’énergie est vraiment idéale.»
La multiplication des poêles à pellets en cause
Propellets, l’association faîtière des professionnels suisses du granulé de bois, prend acte d’un marché tendu. «La situation ne provient pas d’un manque de bois ou de matières premières mais du fait que les scieries ne peuvent momentanément plus suivre la demande», explique le vice-président Patrick Schmutz. D’un côté, la demande grandit vite: «Les ventes de poêles à pellets ont affiché une hausse de 45% en 2021 par rapport à l’année précédente, ce qui est réjouissant dans une logique de sortie des énergies fossiles.» De l’autre côté, la production galère. «Le phénomène est sensiblement le même que pour le bois de construction l’an dernier. Les scieries suisses ont eu des commandes d’acheteurs qui se fournissaient auparavant en Allemagne pour des raisons de prix mais qui sont revenus sur le marché indigène à cause de la pandémie.» Dans l’immédiat, Propellets recommande aux fournisseurs de «procéder aux livraisons partielles afin de compenser des pénuries éventuelles».
Le pellet, «idéal» pour supplanter le mazout dans les bâtiments anciens, est non seulement une énergie renouvelable mais reste également moins cher que son concurrent, font valoir ses promoteurs. En raison du marché tendu, son prix a grimpé de 20% en une année. «Sur une période de cinq ans, les prix ont plutôt baissé de 15%», fait remarquer Patrick Schmutz. Il conseille lui aussi aux consommateurs de commander leurs pellets hors saison et de bénéficier ainsi d’un prix intéressant… avec la garantie de ne pas manquer de combustible en plein hiver. PC