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Services de protection vaudois tancés

Un rapport de Claude Rouiller critique le Service de protection de la jeunesse dans une affaire d’inceste

Publié le 25.09.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Justice » Le récit des sévices infligés par ces parents à leurs huit enfants avait choqué la Suisse romande. En mars dernier, le père des petits nés entre 1996 et 2014 était condamné à 18 ans de prison pour avoir abusé de la fratrie pendant plus de dix ans. Sa femme accusée de complicité écopait de 36 mois de prison, assortis d’un sursis partiel de 30 mois. Le père a fait recours.

Outre le sentiment d’horreur face aux actes commis, une incompréhension quasi générale avait percé: comment de tels crimes ont-ils pu rester cachés alors que cette famille a été suivie pendant des années par différents services de l’Etat de Vaud?

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat vaudois a demandé à Claude Rouiller de mener une enquête administrative. Au final, le rapport de l’ancien président du Tribunal fédéral compte 184 pages. Entre début avril et fin juin, pas moins d’une cinquantaine d’auditions ont été menées.

La famille a vécu à Orbe et à Yverdon, avant de s’installer dans la Broye vaudoise. Devant les juges du Tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, qui siégeaient pour l’occasion à Renens, l’avocat de la mère de famille avait assuré que celle-ci avait alerté le Service de protection de la jeunesse (SPJ).

Extraire du milieu nocif

Dans son rapport, Claude Rouiller se montre très sévère avec ce service et avec la Justice de paix. «Les défauts organiques de l’action du SPJ sont graves et le lien de causalité entre ces défauts et le malheur des enfants X est incontestable», écrit l’ancien juge fédéral.

A ces manques s’ajoutent les carences de la Justice de paix en sa qualité d’autorité judiciaire de protection de l’enfant (APEA), poursuit l’homme de loi. «L’implication insuffisante et la proactivité quasi inexistante de la Justice de paix sont les phénomènes les plus remarquables apparus dans cette affaire.»

Le constat dressé est confondant. «Les enfants qui (…) ont été les victimes de ces agissements ont été maintenus pendant toute leur enfance et toute leur adolescence, par décision des autorités judiciaires et administratives chargées de les protéger, dans un milieu propice à la commission de tels actes», relève Claude Rouiller.

Cela «sans que nul ne prévienne la commission de tels actes, ne les détecte ou ne les réprime à temps, en dépit d’indices convergents. Il a fallu, pour que ces enfants soient extraits de ce milieu pernicieux, une dénonciation déposée par la fille aînée H, après qu’elle fut devenue majeure», souligne le rapport.

«Que du feu»

Pour briser la spirale infernale, il aurait fallu agir résolument et sortir les enfants des griffes de leurs parents. La protection de l’enfant est «une priorité absolue». Le SPJ et l’APEA ont commis l’erreur de maintenir «indéfiniment la curatelle éducative de 1997 (…) alors que tout démontrait que cette mesure minimale n’était plus appropriée à la sauvegarde du bien des enfants X».

«Enseignants, éducateurs, collaborateurs de référence, puéricultrice, médecins, tous n’y ont vu que du feu», estime l’enquêteur. Pourtant en 2002 déjà, «on ne pouvait ignorer que la promiscuité et le climat de la maison X» étaient très malsains. Début 2004, «on avait discuté en réseau d’une suspicion d’abus sexuels».

Face à ces déficiences, Claude Rouiller émet de nombreuses recommandations, dont l’institution d’un juge de protection de l’enfant. L’ancien magistrat prône également des visites inopinées au domicile des familles ou l’audition circonstanciée des enfants séparément et hors de la présence des parents. Sans oublier la mise en œuvre des recommandations que la Cour des comptes a émises en février 2016. ATS


 

Vivement critiqué, le Conseil d’état exprime «ses profonds regrets»

Au côté de l’ancien juge fédéral, Claude Rouiller, la conseillère d’Etat Cesla Amarelle a tenu à souligner que le Gouvernement vaudois était «touché, navré» par les souffrances infligées à ces enfants. Il exprime ses «profonds regrets» et a décidé d’imposer «un changement de culture» dans ses services. Le Conseil d’Etat accepte ainsi un plan d’action comptant dix mesures au total, allant d’une Commission interdisciplinaire d’éthique et de protection à des visites inopinées dans les familles en passant par des cours obligatoires sur la prévention des abus sexuels.

Autre exemple: les offices régionaux de protection des mineurs auront désormais l’obligation de signaler à la direction du SPJ les cas réclamant une attention particulière. Même si cela paraît incroyable, le directeur du SPJ de l’époque affirme n’avoir jamais entendu parler pendant 20 ans de l’affaire de la famille X. «Je suis tombé assis, j’ai été sidéré de découvrir ça au cours de mon enquête», a déclaré Claude Rouiller.

La justice a aussi fait son mea culpa. «Dans cette situation hors normes, le système a failli à sa mission de protection», a reconnu Eric Kaltenrieder, président du Tribunal cantonal. Il s’engage notamment à examiner la création de postes de juges de paix spécialisés dans la protection de l’enfant. A l’issue du procès du père abuseur en mars, Cesla Amarelle avait pointé du doigt l’appartenance de ce dernier à l’Eglise mormone. Pour Claude Rouiller, le vrai problème vient du Service de protection de la jeunesse (SPJ), qui s’est refusé à chercher leur collaboration. «On a tenté de botter en touche en direction de cette Eglise», a-t-il affirmé en se référant au SPJ. Parlant de «préjugé freudien contre le spirituel», il y a eu un refus de discuter avec les mormons, qui auraient été les seuls à pouvoir influencer la mère qui prenait à la lettre l’injonction religieuse de se reproduire. L’Office régional de protection des mineurs du Nord vaudois n’a nullement tenté d’approcher les mormons, «contrairement à ce que la direction a tenté de nous faire croire». ATS

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