La Liberté

Un électrochoc pour les familles

La fermeture des écoles et des accueils oblige les familles à réorganiser leur garde, sans les grands-parents

A l’instar de la nouvelle école du Platy, à Villars-sur-Glâne, les établissements fribourgeois sont fermés jusqu’au 30 avril. © Aldo Ellena-archives
A l’instar de la nouvelle école du Platy, à Villars-sur-Glâne, les établissements fribourgeois sont fermés jusqu’au 30 avril. © Aldo Ellena-archives

Stéphane Sanchez

Publié le 16.03.2020

Temps de lecture estimé : 8 minutes

 

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Ecoliers » «Je verrai plus les copines? On va faire quoi pendant tout ce temps?» De grosses larmes ont coulé dans les classes et sous les préaux fribourgeois vendredi, à l’annonce de la fermeture des écoles jusqu’au 30 avril. Il a fallu consoler, rassurer, expliquer. Et improviser, pour affronter sept semaines de garde, alors que les accueils extrascolaires sont désormais réservés aux enfants de parents totalement démunis, ou qui travaillent dans les soins, la sécurité, l’enseignement et le ravitaillement. Quel est le plan B? «Abasourdis» par la nouvelle ou déjà «préparés», une bonne dizaine de parents et anonymes – l’affaire est «privée» – ont exposé leur organisation et leurs appréhensions à La Liberté.

 

Séisme «Ma mère a pleuré. Elle comprend, mais c’est rude.» Parfois, et même souvent centraux dans le dispositif de garde des enfants, les grands-parents sont désormais sur la touche. «D’eux-mêmes, ils n’auraient pas pris la décision de renoncer», estime une Gruérienne mère de trois enfants, qui a dû faire preuve d’autorité. «Je pense que ma mère serait d’accord de les prendre, mais c’est non», assure une habitante de Fribourg. Maman de deux enfants, elle rappelle que l’isolement des grands-parents fait pleinement partie des consignes fédérales.

Pour certains parents, qui appliquaient déjà ce boycott depuis plusieurs semaines, cette contrainte est même une délivrance: «Je disais à mes parents de ne plus aller aux lotos et de nous confier leurs courses. C’est soulageant de ne plus passer pour le parano de service», respire un père de famille vuadensois. «Oui, la conscience du risque s’est accrue, avec cette fermeture. Mais il ne faudrait pas que les aînés se retrouvent totalement isolés», nuance un parent de Fribourg.

Télétravail C’est la solution le plus souvent évoquée pour l’un ou l’autre des deux conjoints. «Je ne sais pas encore si je pourrai effectuer la totalité de mon temps de travail à la maison. Ce serait l’idéal. Mais comme seules les heures travaillées comptent, les journées seront «sport»: il faudra jongler avec le boulot, les enfants, l’école à la maison et le quotidien», appréhende une maman sarinoise.

La famille vuadensoise, elle, a déjà établi un planning pour les enfants: «Mon mari fera du télétravail, mais il faudra que les enfants s’habituent à travailler un peu seuls. Ils iront tous les trois s’aérer.» «On sera des superwomen», résume une Fribourgeoise, tout en espérant que les employeurs et l’école se montreront compréhensifs.

Solidarité L’entraide s’annonce omniprésente: «Sur les réseaux sociaux, plein d’étudiants se mettent à disposition pour du baby-sitting», applaudissent plusieurs parents. D’autres comptent sur «les potes du club de foot» pour organiser des «échanges» d’enfants, agiles et à géométrie variable. Dans les immeubles et dans les quartiers, on s’organise et WhatsApp crépite. «Je serai à disposition des parents d’élèves de ma classe», signale une Bulloise qui, durant ses heures de travail, confiera sa benjamine à son aînée adolescente. «Il y a même des professeurs de musique qui s’annoncent», s’enthousiasme une maman. Des sportifs se disent aussi disponibles.

Hésitation: «Il faut être solidaire, mais pas au point de reproduire les concentrations qu’il y avait en classe. Il y a quand même ce principe de distance sociale», glisse un père bullois. «Si on ne fait pas tous des efforts, les enfants se retrouveront vite à 20 sur les places de jeux des quartiers», abonde une maman. Elle salue aussi les adolescents prêts à prendre des enfants sous leur aile: «En même temps, on dit que des jeunes sont des superporteurs…» Cette fake news circulait ces jours sur les réseaux, imputée aux Hôpitaux universitaires de Genève: leur service de communication s’en distancie totalement et indique que les ados ne sont ni plus, ni moins vecteurs.

Loisirs «La petite commence déjà à s’ennuyer et toutes les attractions sont fermées», mesure une maman. Contes, jeux de société, dessin, bricolage, balades en forêt: tout l’arsenal devrait y passer. Y compris les visites chez des camarades choisis. Certains concèdent que le «taux d’écran», plus ou moins défini, risque d’augmenter. D’autres pensent aux sites ludo-pédagogiques que les enfants utilisent déjà à l’école.

Tenir «Nos enfants vont quand même rater des cours. Ma plus grande, au CO, me dit qu’ils vont travailler en ligne? Comment? Ils ont des épreuves en mai», s’inquiète une maman. «Certains ados risquent de se démobiliser et de décrocher», appuie une autre.

Même préoccupation quant aux contenus de l’enseignement au primaire: «Chez nous, les enseignants s’organisent déjà en ce qui concerne la façon la plus efficace de nous contacter. C’est bon signe», félicite un parent. «On attend maintenant les instructions. Mais j’espère qu’il y aura des contenus nouveaux et qu’on va avancer dans le programme, en se concentrant sur l’essentiel.» «Il faudra garder le rythme», espère un autre père.

Bien reçu Pas un parent pour contester l’annonce de fermeture, si ce n’est sa soudaineté. «Il n’y aura plus ce brassage. Le lavage systématique des mains, à l’école, était difficile à mettre en pratique», salue un couple. «Le danger est là, il faut éviter les contacts. Ça nous touche dans notre intimité sociale. Mais c’est pour le bien-être de tous.» «Il faut prendre cela comme une expérience: peut-être que cela va changer pas mal de choses.»


L’école à la maison, un casse-tête pour le corps enseignant

Institutrice en Gruyère, une mère de famille se prépare à emmener ses trois enfants à la permanence qui devrait se mettre en place dans son école. «On décidera lundi. D’après ce que je sais, on va faire une liste des enfants qu’il faut garder, y compris ceux des parents qui n’ont aucune solution. Mais il ne s’agira pas de reformer des classes. Il faudra garder de petits groupes, ce qui nécessitera plusieurs enseignantes.»

«L’école à la maison, c’est surtout ce lundi et durant la semaine qu’on la mettra en place», poursuit-elle. Fiches d’exercices envoyées par mail, enseignement en ligne, vidéoconférences, entretiens individuels à l’école: les parents ont tous leur vision, souvent mixte. «Mais les choix seront difficiles. Les plus grands se débrouillent sur un ordinateur. Pour les plus petits, on travaille beaucoup sous forme de jeu, souvent à plusieurs. Pour l’instant, j’ai reçu un mail de notre responsable d’école: on va apparemment veiller à adopter une même ligne de conduite, pour que les fratries ne soient pas confrontées à des approches trop différentes.»

«Je suis à disposition pour faire des capsules vidéos», glisse, impatiente, une autre enseignante, spécialisée en soutien. Toutes deux partagent la même crainte: que certains parents, pour des raisons d’organisation ou de langue, ne puissent pas gérer l’école à la maison. «Certains enfants seront plus nourris que d’autres. Et les plus faibles vont en pâtir. Il faut penser à eux.» SZ

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