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Les militants condamnés en appel

La Cour d’appel condamne les douze activistes du climat. Ils feront recours au Tribunal fédéral

Après l’annonce du verdict, l’émotion était visible dans le camp des activistes. Keystone
Après l’annonce du verdict, l’émotion était visible dans le camp des activistes. Keystone

Sophie Dupont

Publié le 25.09.2020

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Justice » L’urgence climatique ne justifie pas d’occuper les locaux d’une banque et d’y rester malgré les injonctions de la police de quitter les lieux. C’est le verdict de la Cour d’appel qui condamne les douze activistes ayant joué une partie de tennis dans une succursale de Credit Suisse le 22 novembre 2018. Contrairement à la première instance, les trois juges ne retiennent pas l’état de nécessité licite, qui permet d’enfreindre la loi pour se préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement.

Dix militants écopent d’une peine de 20 jours-amende à 20 fr. avec sursis. Les deux manifestantes qui avaient le rôle de médiatrices – sorties avant l’évacuation policière – ont une peine de 10 jours-amendes à 20 fr. avec sursis. Les frais de justice sont à la charge des condamnés.

En plus de la violation de domicile et d’une infraction à la loi sur les contraventions, la Cour a ajouté un délit: l’opposition aux actes de l’autorité. «En s’agrippant les uns aux autres par les bras et les jambes, les prévenus ont opposé une résistance physique, qui a rendu plus difficile l’évacuation», relève le président Christophe Maillard. Cet argument n’est pas suivi par la juge Aleksandra Fonjallaz, qui a émis un avis minoritaire.

Danger reconnu

La Cour rejoint le jugement de première instance sur le danger que représente le réchauffement climatique pour la vie et l’intégrité physique des prévenus. Les événements extrêmes – sécheresses, incendies, inondations – vont s’aggraver si le réchauffement se poursuit. Le danger est-il imminent? La Cour qualifie la question de «délicate». Elle l’admet cependant, en constatant que l’actualité regorge d’exemples de phénomènes extrêmes: des incendies en Australie, en Sibérie, en Californie, ou plus près d’ici, l’évacuation d’un village menacé par l’effondrement d’un fragment d’un glacier dans le massif du Mont-Blanc.

La Cour relève aussi que la limitation de la hausse du réchauffement à 1,5 degré implique des changements sociétaux sans précédent. Elle se démarque par contre de la première instance, qui avait déclaré que la Confédération réagissait aux interpellations sur le danger climatique par «des déclarations d’intention inoffensives voire lénifiantes».

Pour les trois juges de la Cour d’appel, le projet de loi sur le CO2, discuté en ce moment au parlement, montre au contraire que la Suisse fait le nécessaire pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, selon les accords de Paris. «Les autorités sont conscientes de leur engagement et agissent pour lutter contre le réchauffement climatique», souligne le président.

Occuper les locaux de Credit Suisse n’est pas de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre, estime encore le tribunal. Les militants pouvaient en outre attirer l’attention du public et faire pression sur la banque par d’autres moyens légaux. «Ils auraient pu intervenir davantage dans les médias ou déployer une banderole dans une manifestation», avance le président.

A la sortie de l’audience, le procureur général Eric Cottier, auteur de l’appel, est tout sourire. Il se dit «très satisfait» du verdict, même si la peine est légèrement plus basse que ce qu’il avait requis. Credit Suisse pour sa part «prend acte» du jugement sans autre commentaire.

Recours annoncé

L’ambiance est plus lourde du côté des militants, accueillis avec des applaudissements à leur sortie du tribunal. Devant les caméras, ils font des déclarations dans les trois langues nationales et annoncent un recours au Tribunal fédéral. Ils dénoncent un «doigt d’honneur de la justice à la jeunesse» et une décision «qui privilégie les intérêts de la place financière suisse». «Peut-être que dans dix ans, l’état de nécessité sera reconnu, mais il sera trop tard», a averti un condamné.

En réaction au jugement, l’avocate Leïla Batou s’est dite soulagée que le réchauffement climatique soit considéré comme un danger imminent. «Il est par contre extrêmement problématique que le troisième pouvoir valide l’inaction du gouvernement. On nous oppose la loi CO2, mais celle-ci ne prend pas en compte les émissions de gaz à effet de serre de la place financière suisse qui représentent 22 fois les émissions domestiques», constate-t-elle.

La défense dénonce également le tour de vis opéré par la Cour, qui a ajouté l’infraction d’opposition aux actes de l’autorité. Une double peine pour les militants et une mise en danger de la liberté de manifester, estime-t-elle. La suite se jouera au Tribunal fédéral.

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