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Une vétérinaire lynchée sur Facebook après la mort d'un chien

Fribourg • Le refuge animalier «L’Oasis des Vétérans», à Vaulruz, a dénoncé sommairement l’attitude d’une vétérinaire glânoise, via Facebook. Suite classique: une pluie de commentaires insultants.

«Papynou», 17 ans, aurait dû être pris en charge immédiatement, estime «L’Oasis des Vétérans». © DR
«Papynou», 17 ans, aurait dû être pris en charge immédiatement, estime «L’Oasis des Vétérans». © DR

Stéphane Sanchez

Publié le 09.01.2015

Temps de lecture estimé : 7 minutes

La mort de «Papynou», le 1er janvier dernier, n’est pas passée inaperçue sur Facebook. Pas seulement à cause du capital de sympathie de ce chien âgé de 17 ans, l’un des protégés de «L’Oasis des Vétérans», à Vaulruz. Sa disparition a surtout suscité l’indignation et la colère de nombre d’internautes: plus de 700 «J’aime» (faute de bouton plus approprié), 50 partages et 450 commentaires. Dont une bonne partie accable de dénigrements, d’insultes ou d’appels au boycott la vétérinaire de garde ce jour-là, la doctoresse Brigitte Butty, à Villariaz.

A l’origine du déchaînement, une phrase postée le matin même du décès par Marina Tami, la responsable de l’Oasis, sur la page Facebook du refuge: «Merci à une certaine vétérinaire qui était de garde et qui n’a pas voulu nous prendre dans l’urgence et qui nous a envoyés sur Fribourg. Ce qui fait que «Papynou» a hurlé une demi-heure de plus.»

 

Une question de temps

La responsable du refuge «se retient» et n’en dit pas davantage. Mais sous la pression déjà virulente de sa communauté, elle finit par publier le nom de la praticienne. «Ce second post a reçu 250 commentaires. Quand j’ai vu que ça tournait à l’insulte, je l’ai retiré (mais pas le premier post, n.d.l.r.). Insulter les gens, ça ne se fait pas! Pas sans savoir le fond de l’histoire», dit Marina Tami.

Le fond de l’histoire? Retour au matin du 1er janvier. Confronté à une crise d’épilepsie de «Papynou», le refuge appelle Brigitte Butty. «Lors du premier appel de l’Oasis, je traitais deux urgences, un chat atteint de jaunisse et un rottweiler atteint d’une tumeur de la mâchoire. C’était une journée fébrile», explique la praticienne, contactée par «La Liberté». «L’Oasis m’a d’abord demandé s’il était possible d’utiliser du Stesolid (un anticonvulsivant, n.d.l.r.).»

La mesure se révèle vaine et l’Oasis rappelle. «J’ai répondu que j’avais déjà deux urgences et que je ne pourrais pas prendre en charge ce troisième cas de suite. J’ai expliqué qu’il valait mieux contacter le vétérinaire de garde à Fribourg (dévié vers Courtepin, n.d.l.r.). Selon la disponibilité de la garde de Fribourg, l’Oasis pouvait éviter l’attente et gagner du temps. Ensuite, je n’ai plus eu de nouvelles.» C’est en effet à Courtepin que «Papynou» a finalement été euthanasié.

Cette version de la doctoresse, l’Oasis ne la conteste pas. Mais Marina Tami juge le ton comme l’attitude de la vétérinaire «inadmissibles»: «Il suffisait de donner un sédatif à Papynou pour qu’il ne souffre plus. Cela prend deux minutes. La vétérinaire pouvait l’euthanasier plus tard. Jamais aucun praticien ne nous avait traités ainsi!»

«Procès aveugle»

Réponse de la doctoresse: «Je n’ai pas refusé de m’occuper de ce chien. Son cas était grave. Mais il n’avait jamais été question d’euthanasie et on ne sédate pas un chien épileptique en deux minutes - il faut le perfuser et l’oxygéner. Reste que ce procès est injuste. Moi seule avais la vue d’ensemble. Et ce n’était pas une question d’humanité ou de compassion, mais bien de temps.»

De cette pesée d’intérêts, les internautes n’ont rien su. Et c’est par le biais de téléphones et de mails incendiaires que Brigitte Butty a découvert l’existence des commentaires publiés sur le réseau. «Je ne rentrerai pas dans le jeu de Facebook: je n’ai pas à me défendre pour une faute que je n’ai pas commise. Et s’il y avait une faute, j’en répondrais devant le Conseil de l’ordre. C’est cette instance qu’il faut saisir pour se plaindre, sans faire des procès aveugles sur Facebook. Pour le reste, je suis vétérinaire depuis 1988 et les gens connaissent mon travail et ma disponibilité. D’ailleurs, ces commentaires sont tellement virulents et d’une telle mauvaise foi que les gens sauront faire la part des choses.»

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Émotion et effet de groupe derrière l’écran

Les condamnations prononcées pour atteinte à l’honneur le rappellent de temps à autre: les adeptes des réseaux sociaux ne sont pas au-dessus de la loi. L’insulte et le dénigrement restent pourtant un «phénomène assez classique» sur les plateformes sociales, constate Stéphane Koch. Ce spécialiste des technologies de l’information décèle plusieurs facteurs qui contribuent à cette banalisation d’une parole qui, dans la «vraie» vie, s’exprimerait tout au plus dans un cercle restreint.

«Il y a d’abord l’immédiateté des réseaux sociaux. L’internaute est à un clic de l’événement. Il se place de son propre chef sur le plan de l’émotionnel, de la subjectivité, de l’irrationnel. C’est particulièrement fort lorsqu’on parle d’animaux, qui représentent l’innocence. Certains, avec du recul, effacent leur commentaire. Mais les mea culpa sont rares.»

Le spécialiste genevois évoque encore la «solitude» de l’internaute, plus ou moins anonyme, face à l’écran. «Toute une série de filtres» implicites en présence d’autrui, comme le comportement non verbal, disparaissent. Ces filtres prédisposent nos comportements, la gestion de nos émotions, l’adoption des conventions ou de règles de bienséance. «Il est alors d’autant plus facile d’insulter que d’autres viennent de le faire dans le même fil», estime Stéphane Koch, en parlant «d’ivresse mentale» et de «désinhibition».

L’effet de groupe joue aussi un rôle. «Lorsqu’une communauté est concernée, la dynamique est plus forte. L’individu renforce ou confirme, par ses messages, son appartenance à ce groupe d’affinités, quitte à surenchérir. On fonctionne aussi parfois par cercle, de façon très tribale», note le spécialiste. «C’est le «J’aime» social.»

Mais pour le Genevois, le réseau lui-même n’est pas en cause. «On n’accuse pas un constructeur de voitures de tous les accidents commis par les conducteurs. De même sur Facebook: les utilisateurs répondent des contenus qu’ils postent.»

Par contre, estime Stéphane Koch, de tels écarts sont «la démonstration d’une certaine faillite d’un système éducatif et d’une société qui doit réfléchir sur des manières de développer le sens critique et la prise de distance, pour les importer sur les réseaux sociaux. En ce sens, Facebook est plutôt un miroir sociologique, un révélateur.» 

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