Trouble-Fête


Y’a pas le feu au lac, mais c’est tout comme. Vevey est en ébullition le temps d’une nouvelle Fête, et La Liberté plonge dans ses remous pour en respirer l’écume joyeuse (et vineuse). Alors que les rois du chasselas prennent la lumière, c’est en coulisses que se dégustent les meilleures histoires, drôles ou absurdes à s’en taper la Fête contre les murs. Santé!

Par Thierry Raboud

La Fête, partie en fumée

11 août

Ce soir, il pleut à Vevey. Des milliers de figurants en larmes, ça vous fait un bel orage. Car la Fête est finie et on s’en souviendra. Comme de cette joyeuse effervescence qui a transformé les pâtés froids en vendangeurs carnavalesques. Qui eût imaginé pareille ferveur, alors même que le vin de la Fête est si mauvais?

Pour savoir si la Fête fut réussie, ne pas demander à ceux qui y ont dédié tout leur enthousiasme, et surtout toutes leurs vacances. Plutôt demander aux fumeurs. Car aujourd’hui, torailler c’est voter, et les nombreux cendriers disséminés dans la ville ont permis de sonder la haute opinion qu’ils avaient de cette édition. Tandis que la Fête part en fumée, on compte les mégots. Non, ce n’était pas mieux avant. On a les souvenirs que l’on s’offre. Vivement la prochaine ! 

Météo cathodique

10 août

On sait tout le soin que la Compagnie Finzi Pasca met à peaufiner les aspects télévisuels de son spectacle. Certains tableaux ne semblent même s’adresser qu’aux caméras: là où le spectateur ne distingue qu’une brouillonne flopée d’étourneaux frétillant sur un sol en LED, le téléspectateur verra, grâce à une caméra suspendue au ciel, qu'ils forment en fait le logo de la manifestation… Procédé digne d’une cérémonie olympique, ces messes cathodiques auxquelles personne en va mais que tout le monde regarde en accéléré depuis la maison. On se réjouit donc de découvrir le DVD, dont la Gazette de la Fête fait aujourd’hui la promotion.

Mais voilà, pas de bol, dès qu'ils allument les caméras, il se met à pleuvoir. La diffusion en direct prévue par la RTS le 27 juillet dernier n’a pas pu avoir lieu pour cause de mauvais temps. C’est donc un spectacle précédent qui a été montré, qui d’ailleurs s'achève sous une roille diluvienne.

Cela fait un peu désordre. Alors la production a décidé de faire une nouvelle captation hier soir. Temps sec promettait MétéoSuisse, dont un responsable a cependant expliqué dans nos pages que «savoir où va éclater un orage qui ne s’est pas encore matérialisé, c’est presque impossible». Eh bien il s’est matérialisé pile au-dessus de Vevey! 

Le spectacle a continué le temps d’envoyer quelques gymnastes au casse-pipe, de détremper le public puis surtout de dépasser mesquinement les 90 minutes réglementaires pour éviter tout report ou remboursement. De quoi faire ronchonner une poignée d'acteurs-figurants, probablement éminents météorologues, qui n’auraient pas fait comme ça et ont lancé une pétition pour le faire savoir. C’est à la mode, les pétitions, à la Fête. Eux demandent que le spectacle soit rejoué dimanche pour le public légitimement déçu.

Peu probable que cela aboutisse. Ils feraient mieux de pré-commander le DVD, que la production filmera probablement aujourd’hui lors du dernier spectacle nocturne. Va-t-il y avoir encore de l'orage? Temps sec, promet MétéoSuisse.

 

Contre-fêtes

9 août

Des hordes de visiteurs débarquent chaque jour à Vevey pour faire la Fête, celle des vignerons qui ne reviendra que dans vingt ans (si tout va bien). Mais voilà, il y a aussi des Veveysans qui préfèrent la bière au chasselas, l’intime au monumental, le rock et l'électro aux fifres et tambours. Alors de nombreuses contre-fêtes ont vu le jour pendant ces trois semaines.

Evidemment, elles devaient rester secrètes pour ne pas s’attirer des flux d’avinés, et surtout pour ne pas se faire repérer car la ville a l'obligation de faire silence pendant chaque spectacle.

C’est donc par SMS que le Vinaigre Festival a communiqué avec les curieux qui se sont inscrits sur son site. Un jour avant, on vous envoie le lieu et la programmation de chaque concert : pop lo-fi parisienne, trap sexy ou « les best DJs de la non-Fevi », dans des jardins privés ou des colocs surpeuplées.

D’autres organisateurs rusés ont opté pour les énigmes et rébus, transmis par voie numérique ou collés dans les parages de l’arène quelques heures avant. Certains sont aisément déchiffrables tandis que d’autres affolent les méninges. Ainsi de cette after qui ne s’ouvrait qu’aux perspicaces ayant déchiffré ce code en le croisant avec les dates des dernières Fêtes : ZWRXQ GZOHK IHQK VZDFDC. Il ne devait pas y avoir grand monde…

Cartes sur table

7 août

On s’est toujours demandé ce que ces cartes venaient faire dans ce spectacle viticole. Puis on a regardé la cérémonie de clôture des JO de Turin, que le même metteur en scène signait en 2006, et on a compris. Elles étaient déjà là. 

Daniele Finzi Pasca a dû les retrouver au fond d’un dépôt, et s’est dit pourquoi ne pas les ressortir? Après tout, les Veveysans n’y verront que du feu et on y joue sûrement un peu aux cartes, en Lavaux. C’est tout ça de moins à inventer.

On comprend donc aussi qu’il veuille les garder après la Fête, ça peut resservir. Les figurants qui ridiculement s’échinent là-dedans depuis des semaines ont donc eu la consternation d’apprendre qu’ils ne pourraient pas conserver leur habit de Jass, celui-ci faisant «partie du décor» au contraire des fripes lâches qu’ils portent dessous. Froissés, ils ont lancé une pétition Pour que les cartes puissent garder leurs cartes. Sensible à leur cause, un étourneau affirme que c’est comme si on lui enlevait les ailes. 

En attendant de savoir ce qu’il en adviendra, ils en profitent autant que possible. L’autre jour, après un spectacle. Il se sont offert un chibre géant. Non, vraiment, on ne voit pas ce qu’ils deviendraient sans leurs cartes.

(EDIT du 21.08 : Visiblement, la pétition a porté ses fruits, et les cartes pourront garder leurs cartes. Voilà qui promet encore quelques belles parties)

Le roi absent

6 août
 

Il paraît que. Toute la ville, enorgueillie de son grand stade, bruisse de folles rumeurs. Ainsi, il paraît que le Prince de Monaco est venu voir le spectacle, ou viendra, ou on ne sait pas vraiment mais on a entendu dire. Parmi les nombreuses stars qui hantent les discussions de comptoir, une autre tête couronnée. Roger Federer à la Fête des vignerons?

Quelqu’un m’a assuré que quelqu’un lui avait dit qu’il était assis à côté de lui pendant une représentation, et qu’il portait une casquette. Du côté des organisateurs, on ne se mouille pas trop et on se contente de dire qu’il y a «dans la région un sosie de Federer, qui peut induire pas mal de monde en erreur». Bref, personne n’en sait rien. 

Pourtant, il trouverait certainement très belle cette arène que d’aucuns ont comparé au stade Arthur Ashe où se joue l’US Open, le toit rétractable en moins. D’ailleurs, dans nos colonnes, le metteur en scène lui-même incitait les organisateurs à transformer ensuite les lieux en un court de tennis pour inviter le roi de la raquette à venir y jouer quelques sets. Il suffirait d’afficher un beau gazon anglais sur le sol en LED, d’y ajouter un filet et l’affaire serait jouée. 

Même les vaches sont prêtes à le voir débarquer. Pour ne pas qu’elles dérangent, on a coiffé le battant de leur sonnaille d’une balle jaune. Alors Roger? Il paraît qu’il reste quelques places pour cette fin de semaine. 

 

Saison des transferts

4 août
 

C’est le grand mercato estival. La Fête a rendu les amours aussi légères qu'un verre de rosé acheté aux Terrasses de la Confrérie. La tradition veut que neuf mois après chaque Fête la démographie connaisse un notable sursaut, comme le rot tardif d’un aviné assoupi. Ce que 24 Heures a démenti en se plongeant dans les statistiques des naissances, mariages et divorces post-1999.

On en recausera au printemps prochain, car la saison des transferts bat son plein. Depuis le début de la manifestation, on a vu un compositeur en pincer pour une choriste, un chef de chœur partir avec une effeuilleuse, une effeuilleuse tomber sous le charme d’un Cent pour Cent, une Cent pour Cent ramener un Cent-Suisse à la maison le soir du Couronnement, enfin une fourmi qui frémissait pour une sauterelle bondissante se rabattre sur un congénère hyménoptère.

Pour brasser les cartes et assurer les matches: le compte Crush_at_Fevi sur Instagram. Il permet, dans un mélange de Tinder et de Où est Charlie?, de déclarer sa flamme en toute discrétion. Les paires se retrouvent ensuite au caveau de la Noce, où l’on peut se marier comme à Las Vegas. Pour une thune, un certificat vous unit sous de bachiques auspices.

Les indécis feraient bien de s’activer, il ne reste qu’une semaine de Fête, les jeux sont bientôt faits. Prochain mercato dans 20 ans. 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Ouvre les yeux Joséphine ! Un cent suisse pour une centième publication

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Il y a du relâchement

2 août
 

C’est la mi-Fête, on se détend un peu. Après des mois de répétitions et quelques spectacles fragiles, tout cela semble désormais bien rôdé. Alors les acteurs-figurants prennent leurs aises. Après tout, ils sont en vacances.

Entre deux apparitions, certains boivent volontiers quelques verres dans les parages de l’arène. On en a vu retourner sur scène dans un état fort joyeux. D’autres oublient même d’y retourner. On a aussi vu l’un des trois docteurs, qui avait confondu sa pause courte et sa pause longue, revenir soudainement à lui, courir à grandes enjambées de chaussures clownesques et faire une entrée essoufflée aux côtés des comparses qui l’attendaient. 

Mais c’est dans le grand final que tout fout vraiment le camp. Certains figurants se pointent bière à la main, avec leur sac sur le dos pour ne pas avoir besoin de repasser au vestiaire… La production a donc sévi dans un message envoyé aujourd’hui à tous les figurants. «Pour ne pas dégarnir davantage les rangs et assurer le spectacle dans son intégrité», ils sont priés de ne pas boire, d’être présent à l’heure, en silence et en forme.

C’était sans compter sur le facétieux peuple de la Fête, qui a proposé ce soir un final original. Parmi les 5500 acteurs-figurants, certains s’étaient passé le mot pour échanger leur costume, et aller assurer ce dernier tableau sous une autre identité. Les fins observateurs auront remarqué plus fort encore : une équipe de gaillards, dont certains n’avaient jamais mis les pieds dans l’arène, se sont fait prêter un costume d’effeuilleuse pour aller participer au final en imposteurs travestis… Oui, il y a du relâchement. Elle va être belle, la dernière !

 

La Suisse à l’envers

1er août
 

Ils sont comme ça, les Cent-pour-Cent. Un peu rebelles. Avec leur costume rouge et blanc, on les prend pour des Cent-Suisses, cette compagnie de mercenaires historiques. Ils s’en moquent d’ailleurs volontiers, fiers de porter ces couleurs nationales sans pour autant se draper du même orgueil martial, fiers aussi de féminiser ce mâle folklore.

A midi, lorsque le président de la Confédération Ueli Maurer est arrivé à Vevey, c’est évidemment par une haie d’honneur de véritables Cent-Suisses qu’il a été accueilli, avec de véritables hallebardes émoussées et de véritables épaules carrées pour porter l’UDC en triomphe. Lequel s’est ensuite rendu dans l’arène pour célébrer « l’anniversaire de notre belle Suisse » et se fendre d’un discours du 1er Août aux accents populistes qui ont dû flatter ces virilistes porteurs d’épée.

La troupe mixte des Cent-pour-Cent, elle, a peu goûté, et plusieurs de ses membres sont entrés en scène en renversant sur leur poitrine le blason helvétique. La Suisse à l’envers. Ancien objecteur de conscience, le metteur en scène a dû apprécier.

 

 

 

Des paroles en l’air

30 juillet
 

« La Fête des Vignerons 2019 s’engage à organiser un événement durable et prend des mesures pour encourager les visiteurs à adopter un comportement écologique. » C’est beau, cette fibre verte. Alors tout le monde joue le jeu, vient en train, jette son mégot ailleurs que dans le lac, mange dans une dînette réutilisable et consignée jusqu’à la cuillère à café.

Puis soudain, à l’heure de la sieste, le pinot noir a tremblé dans les éco-verres lorsqu’un F/A-18 est venu rugir dans le ciel. Aux commandes, Nicolas Rossier, un Fribourgeois qui, comme un chanteur du Ranz en fin de soirée, a hurlé son solo au dessus de Vevey. Dans les ruelles, des gamins terrorisés, des passants inquiets aux tympans chiffonnés. Enfin sont arrivés un Airbus vide aux couleurs de Swiss et de la Fête, accompagné de la Patrouille rouge et blanche. Une demi-heure de ballet aérien aussi gracieux qu’une flambée de kérosène.

Ce n’était qu’une répétition, les voltigeurs inutiles seront de retour le 1er août, a-t-on appris des organisateurs de cet événement «conscient de sa responsabilité, et de la nécessité de protéger cet héritage en limitant les impacts négatifs (...) dans un environnement urbain n’ayant cessé de se densifier». Ils ne craignenent pas les paroles en l’air.

 

 

 

 

Qui paie commande

29 juillet
 

Hier, encore, il a plu comme vache qui pisse. Après avoir été repoussé d’heure en heure, le spectacle de 11h a finalement été annulé. Une décision logique, mais qui n’a pas eu l’air de plaire au metteur en scène. Sur Facebook, la compagnie qui porte son nom s’est désolidarisée de la production du spectacle en publiant ce message d’une rare indélicatesse : « Nous tenons à préciser que ni la compagnie ni aucun d'entre nous n'est impliqué dans les décisions organisationnelles et de production de la fête. Les décisions relatives aux changements d'horaire ou aux annulations de spectacles ne dépendent que d'un organisme lié à la production. »

Il doit y avoir de l'orage entre la Confrérie des vignerons qui organise le spectacle et les Tessinois qui le réalisent… Eux qui oublient volontiers que cette Fête des vignerons n’est pas un show de la Compagnie Finzi Pasca, et que qui paie commande. La Fête, comme une vigne, ne leur appartient pas: il n’en sont que les poètes-tâcherons. 

 

La pluie et le beau temps (bis)

26 juillet
 

Hier soir, la Fête devait passer entre les gouttes promettait MeteoSuisse. Et soudain le vent s’est levé. « Un mauvais vent qui vous arrive apportant le froid, qui fait que les femmes ont remis leurs châles, les hommes leurs gilets de laine tricotée ; après quoi, on n’a plus qu’à attendre, comme ils le font, se tenant sur la porte des caves, tandis que l’averse pend en barbes d’eau aux avant-toits », écrivait Ramuz dans Fête des vignerons (1929).

Mais plutôt qu’une romanesque averse, ce fut un puissant orage dont les éclairs ont foudroyé Vevey jusqu’à ce que les organisateurs, enfin, se décident à évacuer cette arène terrorisée. Pour ce soir, encore un peu de Ramuz, qui connaissait fort bien les humeurs du climat lémanique : « Ils ont regardé le ciel de nouveau, se demandant: « qu’est-ce qu’il va nous donner? »

 

Chère Fête

25 juillet
 

Trop chère cette Fête? Déjà il faut se saigner pour déposer sa voiture: 30 francs dans les parkings officiels, 40 francs les 4 heures chez Manor! Puis il y a les billets, dont les tarifs peuvent s’avérer dissuasifs.

L’arène est donc à moitié vide en journée, alors qu’en soirée elle est à moitié pleine. Certes on exagère à peine: les spectacles nocturnes sont complets assurent les organisateurs, qui savent bien que de nuit on voit moins les trous. Mais sous le ciel caniculaire, ça fait mauvais genre ces gradins clairsemés, alors c’est la grande braderie. Après avoir fait appel à Qoqa pour remplir le Couronnement, les prix qu’ils proposent pour les spectacles diurnes ont fondu comme une semelle de figurant sur un sol en LED: la catégorie Premium est passée de 359 à 219 francs.

Que les friqués froissés de s’être fait plumer se rassurent: d’autres ont déboursé 839 francs pour le même spectacle, précédé certes d’un menu gastro servi par un chef étoilé sur la terrasse du Château de l’Aile. Une aubaine! D’autant que la place de parc est offerte. 

 

 

Les vaches, c’est emmerdant

23 juillet
 

Tout devait être étincelant, technologique, onirique. Puis voilà qu’une quarantaine de bestiaux sont venus embardoufler le plancher de leurs étrons grumeleux. On dirait qu’ils n’y avaient pas pensé, les créateurs de ce grand spectacle: le Ranz c’est beau, une poya aussi. Mais une vache, ça défèque. Et parfois généreusement.

En répétition, on a vu l’Abbé-Président cintré d’or et de pourpre contraint de slalomer entre les beuses qui enluminaient l'écran LED tapissé de gazon virtuel. Alors il a bien fallu trouver une solution. « Il y aura une petite pause technique entre les tableaux, nous allons régler deux ou trois choses », a annoncé le metteur en scène, tandis que des machines venaient étaler la fécale matière sur le pourtour de la scène.

Au fil des répétitions, le temps mort s’est animé de techniciens venus soutirer les félicitations du public et faire oublier le laborieux décrottage. Rien n’y fait, on ne voit qu’eux : les ramasse-beuses. « Nous sommes neuf, dont trois qui avons déjà fait ce job en 1999. C’était mon ambition suprême pour cette Fête, ramasser la merde des autres, et à Vevey ce n’est pas ça qui manque… Mais on ne s’occupe que des animaux », badine Jean-Louis Paley. 

Un rôle particulièrement applaudi, et qu’ils incarnent avec une joueuse ferveur. Jusqu’à connaître intimement leurs bovines emmerdeuses. « Elles descendent de l’alpage, donc c’est encore assez liquide. Pendant le Ranz, elles se tiennent, mais ensuite se relâchent dès que la musique s’arrête », a remarqué le vaillant torcheur, très heureux de cette séquence imprévisible dans un spectacle très calibré. « Les vaches compliquent la vie du metteur en scène, mais le public est content de les voir débarquer. Et contrairement aux autres figurants, nous n’avons pas d’oreillette alors on prend notre temps. On y va au nez et au bruit, et on ne quitte pas la scène avant que tout soit nickel! »

 

 

La pluie et le beau temps

22 juillet
 

Il est le maître du Temps, du jour et de la nuit, de la grande ronde des saisons. Après avoir déjà quelque peu réinventé l’année viticole avec son spectacle décousu, voilà que Daniele Finzi Pasca confond soir et matin. «Quelle soirée merveilleuse», a lancé l’un des trois docteurs lors de la représentation de dimanche, sous le fier soleil de la mi-journée. Visiblement, personne n’avait songé à modifier la prose introductive de ce metteur en scène qui se voulait poète.

D’ailleurs, les vrais poètes, eux, y ont bien réfléchi, à la ronde des saisons. Le spectacle se conclut sur l'Hymne à la Terre écrit par Blaise Hofmann, un texte en quatre parties comme les quatre temps de la vigne. Mais voilà, tout cela était un peu long pour Daniele Finzi Pasca, qui n’a pas hésité à en saborder le quart. Ça ne tient plus debout, mais qu’importent les saisons. C’est lui qui fait la pluie et le beau temps.

 

Travailleurs détachés

20 juillet

 

Aujourd’hui, la Fête se décline en noir et blanc. C’est le grand jour pour Fribourg, invité d’honneur de la manifestation où le canton a déposé ses étables et ses écrans, son Lyo’bar et sa Méjon. Au menu du grand Rèchtoran monté au bord du lac, tout a l’air bien de chez nous, du jambon à la moutarde de Bénichon, du gâteau du Vully à la poire à Botzi. Sauf que ladite bâtisse au folklorique intitulé patoisant semble avoir été construite par une entreprise tchèque.

 

 
Après tout, il n’y a pas de raison. les Vaudois ont bien fait construire leur monumentale arène par des entreprises fribourgeoises. Il ne manquerait plus que les Tchèques fassent bosser les Vaudois, et tout le monde serait content. 

 

Guy Parmelin, drapeau blanc

19 juillet

 

Pour le Couronnement, le gratin politique était aux premières loges. On a même vu Guy Parmelin verser une très télévisuelle larme. Après quoi le viticulteur devenu conseiller fédéral est allé s’offrir un bain de foule, se frayant un chemin entre sauterelles, bourgeons et fourmis, qui se retournaient en soufflant: « T’as vu, c’est Ueli Maurer ». Pas loin. 

Puis direction les caveaux, où le Bursinois a enfin pu boire autre chose que du vin de La Côte. C’est sur le stamm des Oriflammes qu’il a jeté son dévolu. J’y dégustais un vin clairet quand il a débarqué, alors tout le monde a chanté « Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres ». Quelques photos plus tard, il était déjà loin, alors on a entonné « ce n’est qu’un au revoir ».

Sur les 46 caveaux de la Fête, pourquoi celui des Oriflammes? Leur brillante cuirasse a sûrement plu à l’ancien chef des armées. A moins que, mis au vert, il ait plutôt été séduit par leur rôle dans le spectacle: ils passent leur temps à agiter drapeau blanc.  


 

Tâcherons, santé !

19 juillet

 

Hier soir, les rois et la reine ont reçu leur couronne. Les autres n’avaient au front que leur déception. Vingt ans de labeur récompensés d’une médaille qui n’est pas d’or; ne demeure au fond du verre que l’amertume. Après le Couronnement, alors que la nuit glissait vers le matin en essorant ses caveaux des fêtards résiduels, j’ai croisé ce vigneron en habit vert-de-grappe, le regard rougi de tristesse, le smartphone aphone dans une main, un verre vidé dans l’autre. Il n’aura pas eu de couronne, et pourtant recommencera, dans quelques jours, à travailler ses parchets comme il sait le faire. Je lui lance un mot réconfortant, il sourit difficilement.

Plus loin, d’autres tâcherons déçus, moins du suprême honneur auquel ils savaient ne pas pouvoir accéder, que de ce banquet expédié à l’heure du goûter. « C’était pas bon, et on a même pas eu droit au café », tonne un vigneron qui semble n’avoir pas lésiné, pour compenser, sur le fruit du travail de ses collègues. Pourtant cette Fête est la leur. Promis, au prochain verre, c’est à leur santé qu’on le lèvera. 

 

Hydratation

19 juillet

Ils ont beau participer à ce spectacle avec tout le sérieux qu’il faut, les figurants finissent légitimement par crever de soif, surtout sous le soleil. Alors certains ne se privent pas de boire un coup à la santé des 20’000 spectateurs, eux interdits de chasselas dans l’arène (bouteilles d’eau en vente pour une thune). Pendant la scène de la Noce, ça ne manque pas, et ces centaines de convives mimant l’agape n’ont pas longtemps le gosier sec. «Les bouteilles sont pleines et les verres régulièrement remplis. Hips!», confirme un figurant.

Mais les vrai spécialistes du tire-bouchon, dit-on, sont les bannerets. Ces porteurs d’étendards qui n’ont rien d’autre à faire que de porter leur étendard, et qui laissent parfois derrière eux quelques cadavres en souvenir de leur fugace passage sur scène. Le rôle est exigeant, il faut bien s’hydrater. Pendant le très solennel Couronnement, l’un d’eux a semblé mal digérer son banquet (voir chronique précédente). Et le drapeau de Vufflens-la-Ville, toujours plus chancelant, soudain s’est effondré au pied d’un Cent-Suisse imperturbable. Sûrement un coup de chaud. 

La charrue avant les bœufs

17 juillet

 

Tout fout le camp. C’était pourtant une tradition presque aussi vieille que Bacchus: après le Couronnement vient le cortège, après le cortège le banquet. On honore, on parade, on ripaille. La fameuse cérémonie qui ouvrira jeudi la Fête était ainsi prévue aux aurores, comme le veut la coutume.

Mais bon, il fallait que les Alémaniques puissent débarquer de leurs trains spéciaux pour venir remplir cette arène vide comme un godet de banneret, alors les organisateurs ont décidé en février de déplacer le spectacle à l’heure de l’apéro.

Puis comme le metteur en scène trouvait que tout cette affaire c'était quand même plus joli la nuit, surtout qu'on y voyait mieux ses onéreuses catelles de lumière, c’est finalement à l’heure du second apéro, à l'heure vespérale, que le Couronnement a été déplacé. 

Alors évidemment, plus question de trop bastringuer après – la grand-messe étant déjà interminable en soi, elle le sera d’autant plus en présence des principaux concernés, les vignerons. La Confrérie a donc mis la charrue avant les bœufs, et dans cet ordre: on parade (14h), on ripaille (16h), on honore (19h).

Moi, je me réjouis de cette Première. Après le cortège de 2h30 sous le cagnard, puis le banquet généreusement arrosé offert au beau peuple des figurants dans tout ce que la ville (et le lac) compte de troquets, on risque bien d’y voir quelques hallebardes obliques, quelques chorégraphies imprévues.

Assis, debout, couché

12 juillet

 

Pour figurer, mieux vaut être motivé. Déjà, il faut payer son costume 400 balles – cher payé pour se retrouver déguisé en six de pique. Puis obéir aux ordres contradictoires qu’on vous meugle dans l’oreillette à longueur de répétition. Enfin, abandonner votre existence à une application qui vous tient en laisse, vous notifiant sans cesse de rappliquer pour un filage, avant de l’annuler, puis d’en ajouter un autre à la der. Histoire qu’il devienne impossible d’organiser ce que certains avaient, avant la Fête, coutume d’appeler la vie.

Tout cela pour taper le carton dans un spectacle à n’y rien comprendre. Alors, certains curieux ont voulu savoir, se faufiler dans les gradins pour voir les tableaux où ils n’apparaissaient pas. Refus catégorique du metteur en scène. «Les gens en ont marre d'être parqués comme du bétail pour être ensuite alignés comme des pions sur scène sans qu'on daigne leur expliquer la trame du spectacle dans lequel ils figurent», assure un bénévole. Lundi soir, quelques indociles ont même menacé de faire grève.

Visiblement, il y a eu de l’orage dans les hautes sphères. Le lendemain, le synopsis du spectacle était enfin envoyé aux vaillants figurants et une répétition était ajoutée au programme, « à la demande de la Confrérie », pour que tous puissent voir à quoi joue le créateur. Il joue aux cartes mais ferait bien de ne pas les battre trop fort.

Coup de rouge

10 juillet

 

Panique au pays du bredzon. Le fier bleu anthracite des vestes de triège brodé a tendance à déteindre en virant au rouge. De quoi faire pâlir tout armailli. « C’est la troisième fois que je refais le mien! Depuis que le tissu n’est plus traité avec des produits chimiques, la couleur ne tient plus», note Fabien Crausaz, l’un des solistes de la Fête. En mai dernier, «La Gruyère» assurait qu’une solution avait été trouvée. Lui n’y croit pas. « Tous les fabricants assurent qu’ils ont le bon tissu, et se permettent des prix hallucinants. C’est une vraie guérilla! Mais on verra bien si ça tient au soleil pendant toute la Fête… »

Ne portera-t-il pas dans les rues de Vevey celui dessiné par la costumière du spectacle, fait de lin couleur crème et flanqué d’une poya? «Il est magnifique! Mais aussi fragile et salissant. Je ne le mettrai donc pas trop en dehors des représentations, et surtout je me tiendrai à distance de ceux qui boivent un coup.» Au risque que ce bredzon aussi se teinte de rouge.

Lire aussi » L‘interview musicale de Fabien Crausaz

Tout feu, tout flamme

7 juillet

Hier soir, présentation à la presse de quelques extraits du spectacle. Deux cent figurants en rouge et blanc claquaient des semelles sur une marche orchestrale lorsqu'une fine stridence est venue se mêler à la bande-son. J’ai cru à une audace moderniste pour revigorer cette musique plan-plan, c’était trop rêver – le sifflement avait cette suspecte ténacité des alarmes.

C’en était une, a-t-on appris ensuite. Mais il n’y avait pas le feu au lac: ce sont les fumées crachées en bord de scène qui, poussées par la brise nocturne, ont déclenché l'alarme incendie. Les organisateurs feraient bien de la désactiver. «Les flammes ont envahi le monde / que pour quelques secondes / le monde n’ait plus froid», lit-on dans le livret de ce spectacle qui semble avoir encore quelques oriflammes et incandescences à proposer. 

Plus soif

7 juillet


Ce dimanche matin, «Le Matin Dimanche» nous apprend que les vignerons de Lavaux ont réduit leur production de 15% pour éviter un effondrement des prix. Car voilà, leur or liquide, coulé de ce paysage ramuzien désormais labellisé UNESCO, ne serait plus du goût des consommateurs helvétiques biberonnés aux crus d'ailleurs.

Un spécialiste recommande d’aller en faire la promotion outre-Sarine, où il y aurait du potentiel. Peut-être que tous les Alémaniques ne l’ont pas encore goûté, ce fameux chasselas lémanique dont on fait tout un spectacle? Ils en auront prochainement l’occasion lors de la Fête des vignerons de Vevey, où ils seront légion à débarquer de leurs trains spéciaux (15% des billets vendus l’ont été en Suisse allemande). Après ça, si le vin de Lavaux continue à se vendre mal, au moins on saura pourquoi.

 

 

Le Ranz dans le vent (bis)

16 juin

 

Samedi 15 juin, la tempête a décimé le Bol d’Or et fait trembler le saladier de métal. Dans cette arène posée au bord du lac, on répétait plein pot le Ranz des vaches pour le faire résonner jusqu’au Moléson, quand la police a renvoyé tout le monde à l’étable avant la pluie. 

Les marins d’eau douce ont bu la tasse au large, mais le stade provisoire a tenu bon. «Cette arène a déjà subi sans problème un tremblement de terre de 4.2 sur l’échelle de Richter, et les mâts de 32 mètres résistent à des vents de 150km/h», rassure Daniel Willi, responsable de la construction.

Reste que les hauts-parleurs, suspendus à ces mats comme des grappes mûres à leur cep, ont voltigé et subi des dégâts, a-t-on appris. «Au niveau statique, il n’y a pas eu de problème, mais les haut-parleurs ont effectivement tapé contre leur mât, ce qui fait que quelques pièces sont tombées au sol», confirme l'ingénieur.

Aux spectateurs de la première: si vous trouvez des bouts de haut-parleur sur votre siège, prière de les ramener à l’accueil. Ça peut servir. Les solistes du Ranz vous remercient d’avance.

Le Ranz dans le vent

10 juin

 

En 2016, le Chœur des armaillis de la Gruyère était allé fanfaronner son Lyôba avec accompagnement de bovidés, de lanceurs de drapeaux et de cornemuses pour le final de l’Avenches Tatoo. Visiblement, les Vaudois amateurs de musique qui marche au pas y ont pris goût, à ce Ranz en tartan.

L’autre soir, à l'inauguration du caveau des Cent-Suisses. Ces mercenaires de parade, à la fierté aussi aiguisée que leurs armes sont émoussées, portent leurs flons-flons bellicistes avec un aplomb à faire pâlir la garde royale édimbourgeoise. C’est donc tout naturellement que l’un de ces troupiers en rouge et blanc s’est pointé en soirée avec sa cornemuse sous le bras. Et Lyôba, Lyôba, repris en chœur beuglard par une troupe de buveurs de chasselas un peu pintés pour l’occasion.

À en donner raison au médisant Dictionnaire de la conversation (1838), où l’on lisait au chapitre Ranz des vaches: «C’est un air bucolique, sans art, grossier même, que les bouviers de la Suisse jouent avec délice sur la cornemuse en menant paître leurs vaches sur les rochers, où ils sont nés ainsi qu’elles.»